Le Nouvelliste
Deux sapeurs-pompiers gravement brûlés ont récupéré
June 18, 2020, midnight
La population haïtienne a suivi, le regard effaré, en direct sur la Télévision Caraïbes, l'explosion d'un camion-citerne que les sapeurs-pompiers peinaient à contenir. Environ une semaine plus tard, le journaliste Dieunord Joseph de la RTVC a succombé à ses blessures. Les images des trois brûlés à l'hôpital n'ont pas laissé germer l'espoir d'une récupération. Le 10 mai 2020, Sergo Joseph est décédé, laissant une femme et un enfant de 5 ans. La société croisait le petit doigt pour les autres sapeurs-pompiers devenus des héros malgré eux. Transportés tout de suite après l'incident d'un centre hospitalier de Médecins sans frontières (MSF) au très réputé hôpital Bernard Mevs, ces combattants ont bénéficié des meilleurs soins qui existent au pays. Malgré la perplexité des médecins soignants qui s'occupaient de ces cas, aujourd'hui deux d'entre eux ont récupéré grâce au dévouement du staff médical de cet hôpital. Le Dr Adler Emmanuel Francius, médecin-chirurgien, directeur du centre de traitement des plaies compliquées à l'hôpital Bernard Mevs, s'est consacré dès le premier jour à la prise en charge de ces patients. Dans une entrevue exclusive accordée au quotidien Le Nouvelliste, le médecin revient sur la trame de ce qu'il considère comme un « challenge » inoubliable dans sa carrière de médecin. « On était dubitatif à recevoir ces patients, mais les parents ont insisté pour qu'ils viennent à l'hôpital Bernard Mevs. Dans notre tradition, on ne refuse pas les défis dans cet hôpital; on a donc décidé de les prendre en charge », se souvient le Dr Adler Emmanuel Francius, professeur de chirurgie à la Faculté de médecine de l'UEH. Parmi les défis qu'un centre hospitalier pouvait affronter, ces brûlés en sont un exemple parfait. « À l'hôpital Bernard Mevs, il n’y a pas un espace de prise en charge des brûlés. Je dirige un centre de traitement des plaies compliquées par des maladies chroniques, mais on n'est pas équipé pour prendre en charge les grands brûlés. Cela demande un personnel dédié exclusivement à cette tâche et des équipements appropriés », indique le Dr Adler Emmanuel Francius. Le chirurgien souligne qu'il n’y avait pas beaucoup d'espoir pour ces 3 sapeurs-pompiers. Sergo Joseph décédé le 10 mai 2020, avait 80% de surface corporelle brûlée. À ce stade la mort est quasiment inévitable. « J'ai contacté un ami dans un centre spécialisé dans la prise en charge des brûlés, et il m'a fait comprendre que le plus grand exploit réalisé en Haïti se situe autour de 70% de surface corporelle brûlée. On a été plusieurs fois à la salle d'opération avec Sergo Joseph, mais on n'a pas pu lui sauver la vie. C'était trop compliqué », relate le directeur du centre de traitement des plaies compliquées. Malgré la complexité des deux autres patients, le staff médical s'est donné la mission de tout mettre en oeuvre pour les sauver. « En lisant les articles sur Internet, on voyait à quel point la société tenait à ces héros. On s'est dit qu'on devait le faire pour le pays. Il a fallu environ trois heures pour que 3 chirurgiens qualifiés fassent un pansement pour ces 2 malades. La quantité de matériels utilisés à chaque pansement pourrait réaliser environ 5 interventions majeures. On a vraiment mis le paquet sur ces cas », raconte le Dr Francius avec un brin de fierté. J'ai été en première ligne comme médecin traitant, le staff médical, qui n'était pourtant pas entraîné et dédié à la prise en charge des grands brûlés a été exemplaire. « À la moindre inquiétude, les Drs Bitar étaient là pour débloquer la situation. J'ai parlé également à des collègues de Médecins sans Frontières qui m'ont beaucoup aidé. L'expérience était, à la limite, stressante. » Le Dr Francius se rappelle qu'il fallait retourner au bloc opératoire chaque 2 ou 3 jours, notamment pour refaire les pansements. « Cela a pris du temps, comme s'il n'y avait que ces deux patients. C'était le prix à payer. » Ces deux patients ont bénéficié chacun d'un greffage réussi qui a pris pas moins de six heures par intervention. Aujourd'hui, tout va bien, ils sont en phase de récupération, mais.... « Dans le silence de la nuit, ils me rapportent avoir eu de manière incessante des cauchemars ». Ils ne cessent de revivre l'incendie, confient-ils au Dr Adler Emmanuel Francius. À cela s'ajoute le regard de la société. Même s'ils sont très courageux, au bout d'un moment, cela devient insupportable. « Dans mon rapport, souligne le Dr Francius, j'ajoute qu'il faut une prise en charge psychologique pour ces 2 sapeurs-pompiers qui ont rejoint leurs familles après environ 33 jours passés à l'hôpital Bernard Mevs.» Le bon côté dans ce drame regrettable qui n'aurait pas dû arriver, c'est le dévouement d'un staff médical à l'hôpital Bernard Mevs qui, tapi dans l'ombre, enchaîne littéralement les miracles.