Le Nouvelliste
Covid-19, infrastructures, énergie, Caracol : Yvon Mellinger, nouveau représentant de la BID en Haïti, fait le point
May 5, 2020, midnight
Le Nouvelliste : Pouvez-vous nous dire qui est Yvon Mellinger ? Yvon Mellinger : Cela fait maintenant plus de 15 années que je travaille au sein du Groupe IDB, tant depuis le siège comme dans les pays, ayant été en poste dans les représentations de la BID au Brésil et à la Barbade. J’ai également eu le privilège d’œuvrer tant pour le secteur public de la Banque que pour BID Invest (le groupe qui travaille avec le secteur privé), où j’étais encore récemment responsable du secteur de l’eau et de l’assainissement au sein de la Division d’Infrastructures et Energie. LN : Depuis votre nomination au poste de représentant de la BID en Haïti par le président Moreno, l’occasion de travailler avec votre nouvelle équipe sur place à Port-au-Prince ne s’est pas encore présentée à cause des mesures de prévention en réponse au Covid-19. Avec quel état d’esprit est-ce que vous êtes en train de vivre cette situation pour le moins exceptionnelle ? YM : Une situation exceptionnelle, en effet, qui nous affecte tous dans nos vies personnelles et professionnelles. La BID a pris la décision d’établir le travail à distance tant au siège que dans les Bureaux de pays dès le 16 mars 2020. Ce jour coïncidait avec ma prise officielle de fonctions, ce qui m’a bien entendu privé de la possibilité d’établir des relations avant d’initier ce travail à distance. Il faut cependant reconnaître que ce cadre virtuel permet le travail en équipe, avec quelques nécessités d’adaptation, bien entendu. L’équipe de la BID pour Haïti est motivée et pleinement mobilisée, de même que les services de support du siège. Et nous sommes en relation suivie, avec des réunions hebdomadaires virtuelles de l’équipe BID Haïti, de nombreuses réunions de travail avec les autorités et les équipes de projet. Mais il me tarde de pouvoir rencontrer tous ces interlocuteurs en personne. LN : S’agira-t-il de vos premiers contacts avec Haïti ? Comment appréhendez-vous les défis de votre nouveau poste ? YM : Pas vraiment un premier contact, car j’avais eu le plaisir de travailler avec la BID pour Haïti, dans le cadre des projets d’eau et d’assainissement développés en 2008-2009. Et j’ai eu la chance de faire un passage rapide dans le pays le 2 mars pour une rapide présentation aux autorités du ministère des Finances (visite qui de fait a coïncidé avec l’annonce de la nomination du ministre Jouthe Joseph dans ses nouvelles fonctions de Premier ministre). LN : La BID a été parmi les premières institutions financières internationales à annoncer qu’elle vient en aide au plan national de réponse Covid-19 du gouvernement haïtien, en désaffectant certains fonds pour les réallouer au besoin de financement de ce plan, est-ce que vous pouvez rappeler le montant exact de ces fonds et à quoi ils sont destinés ? YM : Le groupe BID a effectivement réagi rapidement à la crise COVID-19 par une série d’actions d’appui aux pays prestataires. Une des mesures est la possibilité de réaffecter les ressources disponibles équivalentes à 10% du montant des soldes non décaissés du portefeuille ou jusqu’à 50 millions de dollars– ce qui pour Haïti se traduit par la mise à disposition d’un montant de 50 millions de dollars pour financer la réponse immédiate à l'urgence sanitaire. LN : Est-ce que ces fonds seront mis à dispositions du gouvernement haïtien ou c’est la BID et/ou avec d’autres partenaires qui vont s’assurer de la gestion de ces fonds ? YM : La BID met ses financements à la disposition du gouvernement, et n’a pas pour vocation de travailler directement avec d’autres partenaires. LN : Au cas où ces fonds seraient mis à la disposition du gouvernement haïtien, sont-ils soumis à certaines conditionnalités. Si oui, lesquelles ? YM : Plus que de conditionnalités, il s’agit de processus d’exécution ; des accords doivent être établis entre les autorités et la BID sur : les composants et activités à financer, le schéma d’exécution et les éventuels partenaires d’implémentation. LN : La capacité d’absorption d’Haïti a été évoquée lors du panel consacré aux actions de la BID. Est-ce que des mesures sont actuellement envisagées pour améliorer les procédures de décaissements et des dépenses ? YM : Oui, ce sont des préoccupations partagées par le gouvernement et la BID, car les ressources financières doivent se transformer en infrastructures et activités qui bénéficient la population. Les retards d’exécution représentent notamment un coût d’opportunité non négligeable pour le pays. Nous avons des réunions suivies avec le MEF et les unités d’exécution pour résoudre ensemble les situations qui ralentissent les décaissements et accélérer leur implémentation. LN : Quels sont les projets pour lesquels les fonds ont été désaffectés ? Une fois l’urgence sanitaire liée au Covid-19 écartée, ces projets seront-ils repris et refinancés ? YM : Le processus de réaffectation ne doit pas affecter les objectifs d’un projet mais se limiter à certaines composantes ou activités pour lesquelles les indicateurs doivent être ajustés. S’il s’agit de projets en exécution, ils se poursuivent pour le reste de leurs composants. S’il s’agit de projets en exécution, ils se poursuivent pour le reste des activités prévues et composantes réajustées. LN : Votre présentation lors de la première journée du Sommet international de la Finance était articulée autour de la réponse de la BID au Covid-19 en Haïti déclinée sur 4 axes. Le troisième axe, qui se rapporte à la productivité économique et l’emploi, compte venir en appui aux petites et moyennes entreprises. Or, la BID Invest dispose aussi de solutions de financement pour les PME. S’agit-il ici d’une seule et même réponse ou bien d’une réponse distincte de la BID et de la BID Invest ? YM : Les quatre axes correspondent effectivement à la réponse du groupe BID que je représente et qui inclut le secteur public, BID Invest et BID Lab. Les activités de ces trois entités ont pour vocation d’être complémentaires. Naturellement, ce troisième axe, Productivité économique et Emploi, est très aligné avec les produits de BID Invest. LN : Quels sont ces PME qui vont recevoir cet appui de la BID ? De quel type d’appui s’agit-il ? Quelles sont les conditions pour que ces PME bénéficient de l’appui de la BID ? YM : BID Invest offre des financements aux grandes entreprises (à partir de 2 millions de dollars américains) par le biais d’outils adaptés aux caractéristiques des projets (prêts, prêts subordonnés, équité, quasi-équité, financement à court terme ; fonds de roulement, import/export). Les PME (prêts entre USD 10.000 et 500.000 dollar américains) sont ciblées à travers du financement des institutions financières locales à des taux de marché qui peuvent être accompagnés d’assistance technique. BID Invest peut en effet octroyer des financements directs aux banques commerciales ainsi qu’aux institutions de micro-crédit. Dans le contexte du Covid-19 où la tendance est à l’assèchement de la liquidité, BID Invest offre le programme de facilitation du financement du commerce (TFFP) qui apporte un soutien aux banques d'Amérique latine et de la Caraïbe (LAC) pour leur permettre d’augmenter l’accès aux marchés du financement du commerce international en offrant une assistance technique, des connaissances et des produits financiers (garanties et prêts). Le programme comprend un réseau de plus de 100 banques à l'extérieur et à l'intérieur de LAC et vise à élargir les sources de financement du commerce disponibles pour les importateurs et exportateurs haïtiens, et soutenir leur internationalisation. De plus, le Haiti SME Fund est également disponible pour fournir du financement aux PME haïtiennes à travers des institutions financières locales. Ce fond dispose de produits adaptés au marché haïtien qui inclus des prêts directs ainsi qu’un produit de cofinancement qui inclut le partage des pertes du portefeuille cofinancé. LN : Dans le deuxième axe de la réponse de la BID au Covid-19, il est question d’un programme d’accélération de l’agriculture visant l’augmentation la capacité de production. Quels sont les projets qui seront financés dans ce volet et pour quel montant ? YM : Il s’agit en fait d’une accélération des actions prévues dans le cadre des programmes PMDN et PITAG en cours (Réorientation des ressources de projets en cours en maintenant les objectifs établis pour ces financements). LN : Quelles sont les priorités de la BID pour l’après Covid-19 ? YM : Bien que nous intervenions dans le court terme face à l’urgence de la crise, le partenariat de la BID avec Haïti s’inscrit dans la durée et dans une perspective de développement à long terme, pour laquelle nous maintenons les axes de priorités établis dans la stratégie de la BID pour Haïti. Et, comme indiqué auparavant, nous poursuivons nos efforts pour l’exécution du portefeuille en cours. LN : Que fait la BID dans les infrastructures routières et l’énergie qui sont les secteurs réputés être ses points forts ? YM : Effectivement le portefeuille de projets en exécution est très axé sur les infrastructures Transport, Eau et Assainissement et Energie, le secteur transport étant celui qui dispose de l’enveloppe la plus élevée. Et vous avez raison, ces deux secteurs bénéficient de financements nouveaux ; dans le domaine des Transport, il s’agit d’un projet visant à améliorer la connectivité départementale et en Energie, d’un projet pour l’amélioration de l’accès à l’électricité en Haïti, notamment en zones rurales. LN : Un état des lieux du Parc industriel Caracol avant Covid-19 et quelles perspectives post-Covid-19 pour le Parc ? YM : Une nouvelle opération de financement a été sollicitée par le gouvernement pour augmenter la capacité du Parc Industriel de Caracol (PIC) et renforcer sa gestion, ce qui démontre la consolidation de l’attractivité du PIC. Il est certain que l’impact du COVID-19 sur l’industrie de manufacture sera fort, avec des opportunités liées aux accords commerciaux privilégiés d’Haïti, mais aussi des risques liés à la demande de ces produits. LN : Que se passe-t-il à la représentation de la BID ? Vous êtes le troisième représentant résidant en deux ans. YM : La BID a une politique de rotation pour tous ses représentants, ce qui n'est pas inhabituel. Dans le cas d'Haïti, il est vrai que cela s'est produit assez rapidement, ce qui n'est pas étrange non plus, car ce genre de décision est accompagné d’éléments institutionnels (caractéristiques du poste qui en 2019 est devenu «Non-Family» pour s’aligner sur d’autres agences multilatérales), professionnels et personnels. Cela dit, je suis très enthousiaste du travail de l’équipe de la BID en Haïti qui fait honneur à l'engagement de notre institution avec Haïti. Propos recueillis par Patrick Saint-Pré