Le Nouvelliste
Continuité et désastre
March 10, 2020, midnight
« Désastre, parlez-moi du désastre ». Qu’est-ce qu’un premier ministre qui dit fièrement entrer dans le bureau de « son chef » avec des idées et d’en sortir avec celles du « chef » ? Qui parle d’or pour ses amis et de plomb pour ses ennemis ? On se souvient de tel ministre du bon docteur François Duvalier qui répondait aux questions de son chef, lâcheté ou malice, par un judicieux « parfaitement, excellence ». On se souvient de tel médecin devenu homme de main qui annonçait une montagne de cadavres si l’on s’en prenait à son « chef ». « Désastre, parlez-moi du désastre » Un journaliste qui interroge une écrivaine à l’occasion du 8 mars et lui rappelle que « la Bible dit que la femme doit être soumise ». Oui, soumise, en plus d’être battue, violée, sous-payée, sous-éduquée. Et les bisous, les petits cadeaux, les « bonne fête, maman, chérie, ma puce… » pour cette journée internationale des droits de la femme transformée en remake de la Saint-Valentin et de la fête des mères. « Désastre, parlez-moi du désastre ». Des étudiants de l’ENS qui bloquent le fonctionnement de la faculté. C’est une promotion qui réclame d’être nommée par le ministère de l’Education nationale. Une convention lie les deux institutions, que le ministère ne respecte pas toujours. La stratégie de revendication : bloquer le fonctionnement de l’ENS. Des injures, les dirigeants en prennent pour leur compte, même leurs mères ne sont pas épargnées. Les cours ne seront pas donnés, au diable la formation des promotions actuelles. Solidarité ou égoïsme que de s’en prendre aux plus vulnérables et non aux vrais responsables ? « Désastre, parlez-moi du désastre ». Pourrissement de la situation politique. Dégradation des conditions de vie. Opération « fèmen bwat Leta yo ». Revendications et absence de canaux institutionnels pour les exprimer. Banditisme et utilisation politique du banditisme. Un kidnapping par-ci, une mort violente par-là. Port-au-Prince déserte la nuit, sanglante le jour sur fond d’exactions, de débrouillardise et de mendicité. Et, comme pour rappeler que c’est en grande partie l’indifférence de la classe des affaires, son mépris de la condtion générale, son mimétisme sous-raciste qui ont conduit à cette catastrophe, dans son traditionnel français maison une animatrice qui conseille à ses auditrices des produits de beauté hors de portée. A qui parle-t-elle ? Pas à celles et ceux que les élites économiques et politiques n’ont jamais voulu écouter, celles et ceux auquels elles n’ont jamais parlé que pour leur mentir et leur demander de la fermer. « Désastre, parlez-moi du désastre ». L’ancien se meurt à petits feux, le nouveau a du mal à naître et brûle comme un feu sous la paille que la paille ne sait plus contenir. Le nouveau n’a pas forcément trouvé sa voie ni ses voix, ses formes ni ses propositions. Mais il se cherche, et c’est le seul espoir. Tout le reste est désastre. Vous avez dit continuité ? De quoi ? Continuité, avez-vous dit ? Alors : « désastre, parlez moi du désastre ».