Le Nouvelliste
Situation chaotique en Haïti: les responsables d’hôpitaux s’expriment
Sept. 19, 2019, midnight
Les responsables de l’hôpital Bernard Mevs affirment qu’ils seront en rupture d’oxygène dans les 72 heures au max. La situation du pays les empêche de renouveler leur stock. Certains médicaments essentiels utilisés dans la prise en charge des cas spéciaux sont aussi en manque. Du côté de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), la situation est similaire. Des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), enrôlées au service de VIH, n’ont pas eu leur médicament en raison d’une rupture de stock, a affirmé l’une d’entre elles qui a bravé en vain le danger. Le pays est paralysé depuis une semaine, la rareté de carburant. « Je ne fais pas de la politique mais, dans un pays sérieux, l’État via le ministère de la Santé publique et de la Population devait pris des mesures pour faciliter le fonctionnement des hôpitaux. Même en temps de guerre les hôpitaux sont opérationnels», rappelle un médecin de garde de l’HUEH. Pour le moment, le service des cliniques externes de l’HUEH est quasiment dysfonctionnel. « Trouver le sommeil m'est devenu très difficile. Je ne saurais penser au loisir. Je reste affecté ignorant certains de mes besoins primaires, comme l'alimentation par exemple. Une situation qui me rappelle intensément les souvenirs de mon épouse récemment décédée à cause de l'absence odieuse d'un système de santé efficient en Haïti », a confie le Dr Eddy Gédéon, médecin en chef du service des cliniques externes de l’HUEH. Les responsables des structures de santé ne savent pas à quel saint se vouer. « Je vis très mal et avec beaucoup de peine cette situation », a expliqué le Dr Nancy Charles Larco qui dit voir des enfants diabétiques marcher pendant plusieurs heures faute de transport et d’argent, sans manger pour venir récupérer leur flacon d’insuline, médicament salvateur qui, lorsqu’il n’est pas administré, entraîne la mort de ces jeunes. Ils arrivent souvent décompensés et on voit leur situation se détériore. « À la vue de ce flacon, ils versent des larmes de gratitude et de joie tout en sachant que cette situation se renouvellera puisqu’ils n’ont pas la voix au chapitre. Comment intimer l’ordre à ces « sans-voix » que sont nos patients adultes comme enfants, de ne pas sortir alors qu’ils savent que s’ils ne viennent pas à leur consultation médicale et se ravitailler en médicaments, ils peuvent crever chez eux sans que ça n’attire l’attention de quiconque sauf de leur maisonnée », se plaint la responsable de la Fondation haïtienne de diabète et des maladies cardio-vasculaires (FHADIMAC). Les situations de troubles ou de manque d'essence affectent grandement la capacité à fournir des soins. Le Dr Jacqueline Gautier, responsable de l’hôpital Saint-Damien fait comprendre qu’il « est indispensable que les soins de santé soient disponibles en tout temps». « Nous avons besoin d'un système qui prévoit des moyens d'aider la population à accéder aux soins. En général c'est difficile, dans des temps comme ceux-ci, si répétitifs c'est encore plus crucial. Il faut des arrangements spéciaux pour approvisionner les centres de santé en carburant. Un système pour exiger aux manifestants de laisser les ambulances et le personnel de santé de se rendre aux centres de santé et hôpitaux sans subir aucune agression. Ainsi que les malades et les femmes enceintes d'être protégés dans leurs efforts à atteindre des hôpitaux et centres de santé », a exhorté le Dr Gautier. La maternité Isaïe Jeanty est, pour sa part, dans l’incapacité quasi totale de répondre aux attentes de la population. Crise d’énergie l’oblige. « Nous n'avons pas de ligne prioritaire à l'ED'H, malgré notre capacité et notre importance en matière de santé de la reproduction. Plus de 30 accouchements tous types confondus sur 24 heures en temps normal », a affirmé Dr Chantal Sauveur Junior Datus, directeur médical de l'hôpital Chancerelles. « Cette situation complique de plus en plus nos activités voire même notre vie privée. Nous ne pouvons même pas avoir la possibilité d'acheter du carburant, même quand il serait disponible aujourd'hui ou demain. Paske nan anpil enstitisyon sa yo, sitou lopital leta yo, se grès kochon an ki kwit kochon an. L'apport direct n'est que ponctuel », a-t-il ajouté, soulignant qu’il vit la situation très mal en tant que dirigeant d'Hôpital. Face à cette situation, les responsables d’hôpital recommandent aux autorités d'assumer leurs responsabilités. « Prenez vos responsabilités. Assumez vos rôles, que vous soyez élus ou nommés. Servez la population. Arrêtez le marronnage et la corruption. Ceux qui doivent veiller à la gouvernance, faites le bon geste. Fè djòb nou ou bien: partez. Faites un dernier sursaut pour arrêter cette spirale vers l'abîme », a déclaré le Dr Jacqueline Gautier qui encourage les Haïtiens à s'engager pour que la situation, si difficile soit-elle, puisse changer. Le Dr Nancy Charles Larco constate que la santé est totalement bafouée par l’anarchie qui affecte les droits de la personne humaine. « Nous sommes tous responsables de notre pays. Je crie et supplie mes concitoyens que dans leurs revendications ou leurs guerres intestines, ils devraient tenir compte des malades sans voix qui peuvent facilement devenir sans vie puisqu'ils sont incapables d’avoir accès à des soins appropriés à cause de la situation dévastatrice et chaotique que traverse notre pays commun Haïti », a-t-elle exhorté.