Le Nouvelliste
Des morts et des mots
Oct. 12, 2020, midnight
À Port-au-Prince, au Cap-Haïtien et ailleurs, les assassins écrivent jusque dans les marges de ce livre noir. Leur traîne dessine l’immonde, le funeste, la tragédie de ces corps criblés de balles, entourés de curieux passifs, de parents sous le choc et de la police qui arrive toujours après. Comme une vieille rengaine, quasiment un aveu d’impuissance, le président Jovenel Moïse, dimanche, a dégainé des mots, étalé sur tous les tons ses préoccupations et son insatisfaction de la performance de ses troupes dans la lutte contre l’insécurité. Pour nos morts, le premier des chefs et d’autres chefs n’ont souvent que des mots, des mots de sympathie, des vœux. Ils font parfois semblant. Ils passent maitre en opération coup de poing. La police ne tient pas la route, elle multiplie les « operasyon dife pay mayi ». Les rues ne sont pas tenues sur une base régulière. On ne croit plus que la présence est la première de force. On ne croit plus que la présence est la première étape pour développer la proximité, la confiance nécessaire entre la population et sa police. Ici, on a oublié l’égalité, oublié que le décompte de chaque tué, nanti ou quidam, de chaque kidnappé est indispensable. On a oublié les vertus de l’égalité, ciment de la fraternité. On oublie aussi que rendre justice, de manière indiscriminée, est la recette miracle pour retrouver la confiance de la population. Les petits morts, dans la vie réelle, ne sont pas comptés. Ni les braquages perpétrés à l’aube qui décapitalisent des humbles, des gagne-petit, des sans-voix. La police, notre police, n’a pas les moyens de son efficacité. Elle n’a pas seulement un problème d’argent, d’équipements. C’est aujourd’hui l’âme de l’institution qui en prend pour son grade. Les opérateurs politiques en position d’autorité qui veulent l’inféoder, certains tuteurs-avocats de la communauté internationale qui croient la protéger n’aident pas la police à faire mieux. La police, auxiliaire d’une justice malade, rame, fait de son mieux pour ne pas tomber dans le piège du mimétisme. Mais ce n’est pas assez. Pas encore. Les communautés ne portent pas assez la police, notre police. On préfère une police au service de particuliers, de gens puissants. Pas au service du plus petit d’entre nous. Des gens d’ici qui ont fréquenté sans honte ni pudeur les dealers de drogue dans les années 90 fricotent aujourd’hui avec les chefs de gangs. Les bandits sont fréquentés et fréquentables. Entre-temps, la petite armée d’hommes et de femmes pétris par le sens du bien commun, prêts à tous les sacrifices, est attendue au front du renouveau, de la vie à sauver. Autrement, nos morts n’en finiront pas d’être ordinaires. Pour nos morts, nos mots pour changer la donne n'auront jamais été aussi déterminants qu'aujourd'hui. Le silence est abandon de personne en danger. Le silence est abandon de soi en danger!!!