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Le Nouvelliste

La métamorphose du président Jovenel Moïse….

Nov. 29, 2019, midnight

Le président Jovenel Moïse généreux en promesses non réalisées n’est pas une nouveauté. La surprise, au palais, jeudi, à la cérémonie pour annoncer 282 millions de gourdes de financement à des coopératives agricoles de la vallée de l’Artibonite, est ailleurs. Après avoir annoncé que les bandits seront mis « hors d’état de nuire », le chef de l'État a souligné « de quelque façon que ce soit ». Le président Jovenel Moïse, sans avoir à chercher l’appui de tous dans une vraie lutte contre les bandits, a cependant fait dresser des poils en s’affranchissant du corset de la Constitution, de la loi et de certaines conventions internationales. Avec ces quelques mots, après les massacres de La Saline, de Tokyo…, le président Moïse lance un mauvais signal aux forces de l’ordre et aux magistrats, oubliant que la loi détermine les formes des recours à la force mortelle, que les garanties judiciaires sont indispensables dans un Etat de droit ou dans un Etat qui aspire à le devenir. La loi haïtienne et des conventions internationales exigent des traitements non attentatoires à la dignité humaine, à l’intégrité physique du pire des criminels. Si le président Jovenel Moïse s’est laissé aller en s’exprimant comme n’importe quel quidam au coin de la rue, l’Etat haïtien se doit finalement d’être sérieux dans la lutte contre les bandits qui, au Bicentenaire, donne des envies de fuir à des sénateurs et à d’autres fonctionnaires qui vivent grassement de l’argent du contribuable. Le président Jovenel Moïse, plus loin, a soutenu que l’Etat doit être un « démon  pire que le démon qui s’en prend à un enfant ». Sa métaphore est un désastre pour certains, un passage révélateur de son moi profond pour d’autres. Il a aussi évoqué les recommandations de paysans pour qu’il durcisse son action, « met pantalon l nan tay li ». Le champ lexical du président Moïse est celui d’un président de la droite dure qui brûle du désir d’avoir les pleins pouvoirs. Sans se voiler, le président Jovenel Moïse s’est aussi plaint de cette constitution de 1987 qui a fait son temps, qui limite les pouvoirs du président. A quelques semaines du dysfonctionnement du Parlement, ce président qui gouvernera par décret esquisse plus que des tendances. Il est dans un processus de métamorphose.   Le président Jovenel Moïse, qui soutient par ailleurs avoir trébuché sans tomber après deux mois de « peyi lòk » ayant des conséquences terribles pour l’économie, est revenu à ses petits projets. Il a fait -avec son Premier ministre Jean Michel Lapin et son cabinet- comme s’il dirigeait un pays normal, heureux de ses petits coups de communication, convaincu d’avoir gagné la manche aux dépens de l’opposition. Face aux représentants de coopératives agricoles de la vallée de l’Artibonite, il s’est aussi attelé à se donner le beau rôle, celui du défenseur des agriculteurs, des « tèt kana ». Son procès du système financier qui n’accorde que 1% de son portefeuille de crédit au secteur agricole qui génère des emplois et représente 25 % du PIB de plus de milliards de dollars américains ne manque pas d’aplomb. Cependant, il y a eu un couac, presque une imposture. Le président Jovenel Moïse a omis de dire que lui, l’entrepreneur, a obtenu des millions de dollars de ce système financier, grâce à ses pistons politiques. Il a pu lancer Agritrans. La grande ferme qui devait exporter d’importantes cargaisons  de bananes en Europe n’a pas atteint cet objectif. La plantation, comme beaucoup d’autres en Haïti, n’a pas été épargnée par la maladie, la sigatoka noire. Au regard de son expérience, le président Moïse sait que le niveau de risque est élevé dans le secteur agricole. Il sait mieux que quiconque que sans financement, sans subvention publique massive, sans recherche, sans un paquet technique adéquat et l’accès à des services à un coût abordable, sans assurances agricoles et sans une politique commerciale agressive, progressiste, des barrières tarifaires et non tarifaires, les agriculteurs haïtiens resteront très peu compétitifs. Le président Moïse, dans son show, a annoncé l’arrivée d’une certaine quantité d’engrais dans la vallée de l’Artibonite. Cela permettra de casser les prix de moitié, a-t-il avancé. Cependant, rien ne garantit que les prix de ce produit importé, exposé aux fluctuations du change, va baisser durablement. Pour encore plus de spectacle, le président Jovenel Moïse a annoncé l’arrivée d’une usine, de tracteurs. Il est entré dans le détail de la création d’une banque de développement agricole qui sera capitalisée à hauteur de 500 millions de gourdes. Il rejoue la carte de l’Etat qui investit gros alors que le Tableau des opérations financières de l’Etat, posté sur le site du ministère des Finances, peint un Etat qui n’a investi que 2 milliards de gourdes sur l’exercice précédent. Le président Jovenel Moïse, sans trembler, a ressorti son vieux slogan de campagne, la mise en commun de l’eau, de la terre, du soleil et des hommes au service d’un objectif : mettre de l’argent dans les poches et de la nourriture dans les assiettes. Lui, le champion de l’agriculture, a fait comme si, à son initiative, le pays ne venait pas à peine de tendre son « kwi » aux Américains pour solliciter de l’aide alimentaire. Il a fait comme si le nombre de chômeurs, de pauvres, de personnes en insécurité alimentaire, plus de trois millions, n’avait pas augmenté sous sa présidence. Le président Jovenel Moïse a soigneusement esquivé les mauvais chiffres de l’économie haïtienne qui est entrée, pour la première fois depuis le séisme du 12 janvier 2010, en récession avec -1,2 % de taux de croissance et un taux d’inflation supérieur à 20 %. Il est resté lui-même tout  en poursuivant sa métamorphose…