Le Nouvelliste
Concert d’armes, pneus enflammés, routes bloquées… démonstration de force de la fédération de gangs G-9
July 7, 2020, midnight
En milieu de journée, mardi 7 juillet, sans mise en garde ni annonce après trois semaines de répit, des rafales d’armes automatiques ont été entendues à Fontamara, Martissant, Bicentenaire, 1ère avenue Bolosse, au carrefour de l’aviation, bas Delmas, Cité Soleil et en d’autres points de la capitale contrôlés par « G9 an fanmi e alye », un consortium récemment formé par des gangs réputés proches du pouvoir Tèt Kale. Le concert de cartouches a provoqué la panique un peu partout. Plusieurs véhicules ont été utilisés, ainsi que des barricades de pneus enflammés pour bloquer certains axes. Sur les réseaux sociaux, les premières photos et vidéos des jeunes hommes défilant avec leurs fusils Kalachnikov, M-16, M- 14, M-4 et T-65... sont devenues virales. Membres du gang de « Izo 5 segond », ces jeunes ont longé le Théâtre national, vidé leurs chargeurs sous les vivats frénétiques de centaines de personnes, habitants de ces quartiers du littoral, heureux de « la paix » entre gangs rivaux regroupés au sein du «G-9 an fanmi et alye ». « Nous avons fait la paix. Il faut que l’État assume ses responsabilités et débloque la route du Bicentenaire. Cela ne fait aucun sens de passer environ 5 heures pour relier Carrefour au centre-ville. Après chaque petite averse, s'amoncellent des fatras au Bicentenaire », a fait savoir le chef de gang Izo 5 segond, interrogé en direct par une équipe de Télé Pacific. Le chef de gang, s’exprimant à l’étage d’une maison à Village-de-Dieu, était dévisagé par des dizaines d’adolescents admiratifs. Pendant ce direct, des voix se sont élevées pour dénoncer la cherté de la vie et le décret sur le code pénal qui a provoqué colère et réprobation. La police nationale d’Haïti (PNH) a brillé par son absence et laissé libre champ aux bandits armés. Le militant des droits humains Pierre Espérance, interrogé ce mardi, après la démonstration de force des gangs, a souligné que « G-9, des gangs du pouvoir Tèt Kale, imposent leur volonté » face à « la police, réduite à sa plus simple expression ». Le coordonnateur du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) s’est insurgé contre ce climat de peur et l’utilisation des gangs par le pouvoir. La militante de Nou pap dòmi, Pascale Solage, s’est insurgé contre le comportement des autorités qui détournent le regard, font comme si c’était normal que des gangs se fédèrent, donnent des conférences de presse. La militante politique n’a pas raté l'occasion de la comparaison entre l’attitude de la PNH qui est intervenue et a dispersé brutalement un sit-in pacifique, pourchassé et intimidé des jeunes hommes et femmes avec la passivité démontrée face au gang. « Il y a une velléité d’empêcher de manière systématique toute voix qui s’élève contre les machinations du pouvoir », a dénoncé Pascale Solage, scandalisée. Le gang de Village-de-Dieu n’est pas à sa première demande aux autorités pour qu'elles lèvent les séparateurs sur les différentes voies menant au village. Le Premier ministre Joseph Jouthe avait indiqué dans la presse que Izo 5 segond et les autres membres de son gang doivent d’abord remettre leurs armes à la Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR). La mesure du gouvernement d’assiéger ce gang a permis de réduire drastiquement le nombre de kidnappings ces derniers mois. Beaucoup de victimes ont témoigné avoir été séquestrées à Village-de-Dieu. Le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH), dans son rapport présenté mi-juin au Conseil de sécurité, a fait état d’une hausse de 200 % des cas de kidnapping. « Au début de l’année 2020, Haïti a connu une augmentation de 200 % du nombre d’enlèvements signalés, 92 cas ayant été signalés à la Police nationale d’Haïti entre le 1er janvier et le 31 mai (57 victimes de sexe masculin, dont 11 mineurs, et 35 de sexe féminin, dont 8 mineures). Le nombre d’enlèvements a connu un pic en février, 50 cas ayant été signalés durant ce mois, puis a baissé en mars et mai, 25 cas ayant alors été enregistrés », selon ce rapport du BINUH. Durant les fêtes de Pâques, les bandits de Village-de-Dieu, pris dans un étau et contenus dans les limites de leur territoire par la police, des bandits avaient perpétré un carnage à la grand-rue, entre Portail Léogâne et la rue Charéron. Le décompte, macabre, fait état de six morts et au moins une trentaine de blessés par balle, avait confié au journal le juge de paix de la section Est, Jean-Frantz Ducasse. « J’ai verbalisé cinq cadavres et le juge Noël, un autre, non loin de l’ancien ciné Lido », a fait savoir le magistrat. Le gang de Izo 5 second, assiégé, avait montré de signes d’usure avant de rejoindre « G-9 an fanmi e alye ». Des soldats de ce gang ont été appréhendés par la police dans la capitale et en province. Le journal a contacté une source au Palais national en fin d’après-midi. « Le président Moïse a passé des instructions au PM Jouthe », a indiqué cette source. Le chef de la police, Rameau Normil, contacté par le journal, n’a pas répondu aux appels pour un commentaire sur la démonstration de force de « G-9 an fanmi e alye…»