this used to be photo

Le Nouvelliste

Les écoliers meurent, sont kidnappés, manifestent 

Jan. 25, 2021, midnight

Lundi 25 janvier. À Montrouis, aux portes de l’Artibonite, il est treize heures passé. Sur les trottoirs, au milieu d’autres piétons, une lycéenne de 16 ans, Jocelyne Julien, rentre chez elle. L’adolescente ne pouvait pas  savoir que la mort serait au bout de ce geste simple qu’elle reproduit tous les jours après l’école. Touchée au cou par une balle perdue, Jocelyne s’effondre et meurt sur le coup. Son sang encore vif coule dans le caniveau au moment où son corps encore chaud est filmé, photographié avec son petit ruban bleu pour garder intact son chignon, les yeux mis-clos, son sac d’école presque en bandoulière et son uniforme aussi propre qu’elle peut l’être un lundi, première jour de classe. Autour de la lycéenne, des pleurs éclatent. Le juge de paix de Montrouis, Jones Surpris, contacté en début de soirée par le journal Le Nouvelliste, confie l’arrestation de trois suspects, une femme et deux hommes, dont un policier. C’est ce policier, pris à partie par des chauffeurs de taxis-motos après un accident qui a ouvert le feu avec un fusil automatique Galil, poursuit le juge de paix,  la femme, résidente de Limbé, protégée contre la fureur de la population qui a voulu la lyncher. Les deux hommes sont gardés à vue au commissariat de l’Arcahaie. Le Galil est au commissariat de Montrouis, explique le juge de paix, Jones Surpris. Pendant tout l’après-midi, la route nationale numéro 1 a été bloquée par la population de Montrouis, en réaction à ce drame. « Je me débrouille afin de convaincre la population à débloquer la route », révèle au journal Elysée Blaise, l’agent exécutif intérimaire qui fait office de maire. Plus tôt, en début de matinée, ici ou tout part en vrille, un autre drame, moins sanglant, s’est produit. Encore une fois, c’est un écolier la victime. Dix ans, Madens Michel a été kidnappé, pratiquement arraché des mains de sa mère devant la barrière de l’école Basile Moreau, à Bizoton. La population, une énième fois, a laissé éclater sa colère en obstruant la circulation avec des barricades et des autobus garés au milieu de la chaussée. L’enfant a été libéré dans les heures qui ont suivi son enlèvement, révèle dans la presse Jude Edouard Pierre, l’agent exécutif intérimaire de Carrefour. La direction de l’Ensemble scolaire Père Basile Moreau, dans un note de presse, après l’enlèvement du petit Madens Michel, est revenue sur les kidnappings du directeur de la section des deux premiers cycles du fondamental en août 2020 et d’un des enseignants, a partagé son « indignation » et ses regrets. « Angoissés et indignés, nous regrettons le fait que ces actes déshumanisants aient débordé de leurs rives sans que les responsables sachent y apporter la réponse qui s’impose », selon cette note de l’école. L’école a lancé un appel pressant « aux autorités concernées afin que des mesures concrètes soient prises pour que la société haïtienne en général puisse convenablement respirer ». D’autres institutions, lit-on dans la note, « tout en envisageant de suspendre provisoirement ses cours, invitent les établissements scolaires, voire toutes les forces vives de la nation, à définir des actions concertées, positives et éclairées, en vue d’une coercition évidente, efficace et intégrale à la stupide machine infernale qui terrorise les familles ». Ce lundi aussi, une foule d’écoliers a battu le pavé, à Tabarre, en face de l’ambassade des États-Unis pour exiger la libération de  Mme Magloire Sherley, membre du conseil éducationnel de la Fondation St-Luc, kidnappée depuis le 22 janvier 2021. « Libération sans condition », ont scandé ces écoliers. La fondation St-Luc, dans une note de résolution rendue publique, après le kidnapping de Mme Magloire a indiqué que « toutes les activités non essentielles au fonctionnement administratif » de ses 36 institutions académiques sont suspendues du 25 au 26 janvier 2021. « Elle compte fermer les portes de ses 36 institutions scolaires, de ses  hôpitaux et de ses 7 centres de santé satellites, celles de son centre de production Francisville et de son programme outreach ; dès le mercredi 27 janvier 2021 si les ravisseurs de Mme Magloire ne la libèrent pas saine et sauve en date du 25 janvier 2021 », lit-on dans cette note de la Fondation St-Luc qui fait savoir aux « ravisseurs, qu’en aucun cas, elle ne disposera de ses maigres ressources financières pour contribuer  à payer la rançon de cet acte criminel ». « La Fondation St-Luc condamne avec la plus grande rigueur ce climat d’insécurité généralisé qui s’installe à travers le pays et exige des plus hautes autorités du pays que toutes les dispositions soient prises pour enfin garantir la sécurité des vies et des biens, et que tout soit mis en œuvre pour la libération inconditionnelle de notre dévouée collaboratrice », selon cette note. Le président Jovenel Moïse, ce lundi, a dégainé des mots, offert son analyse du phénomène que son régime assimile à une déstabilisation et a annoncé la mise en place d’un task force pour « travailler sans relâche afin de découvrir la vraie source du problème ». Il en a appelé, comme avant, comme l’an passé à la collaboration de la population avec les forces de l’ordre. Entre-temps, de manière systématique, des sit-in et des marches contre le kidnapping et l’insécurité sont dispersés par les forces de l’ordre depuis plusieurs mois. En fin de semaine dernière cependant, les forces de l’ordre ont regardé ailleurs au moment où des chefs de gang du G-9, Jimmy Chérizier  et Chrisla, recherchés par la police, ont pris la tête de deux manifestations pour dire « aba kidnapping », non à un remake de « peyi lòk » annoncé par une frange de l’opposition politique et pour supporter l’administration Moïse. Pour Pierre Espérance du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) qui a toujours dénoncé l’alliance entre le pouvoir Tèt Kale et G-9, ces deux manifestations constituent une nouvelle illustration de ce partenariat. Alors que les autorités sont incapables d’endiguer le kidnapping, des syndicats de transport ont appelé à deux jours de grève nationale contre l’insécurité. Les conducteurs sont parmi les principales victimes des kidnappeurs, ont-ils indiqué. Roberson Alphonse