Le Nouvelliste
Covid-19 : Bruno Lemarquis de l’ONU redoute une « tempête parfaite » et une série de tsunamis…
May 19, 2020, midnight
Bruno Lemarquis, numéro 2 du BINUH et coordonnateur des agences des Nations unies en Haïti, ne fait pas dans la langue de bois. Dans une interview accordée au Nouvelliste, lundi 18 mai, il dit craindre une « tempête parfaite » et « une série de tsunami ». Ses pronostics, revendique-t-il, tendraient à se confirmer avec l’explosion des cas de contaminations à la Covid-19 sur fond d’aggravation de l’insécurité alimentaire touchant déjà 4,1 millions sur 11 millions. « Depuis une semaine, ce que nous savions arrive avec l’explosion des cas », rappelle-t-il, soulignant « qu’il n’y a pas eu beaucoup de tests ». « Nous pouvons extrapoler et indiquer qu’il y a plus de cas. Je ne sais pas quand on atteindra le pic », soutient Bruno Lemarquis qui, au passage, confirme que l’OPS/OMS a fourni 9 000 tests et est prêt à en fournir d’autres, au besoin, sur requête du MSPP. La mise en place de la réponse sanitaire avec l’explosion des cas est la priorité de tous les acteurs, indique-t-il. Si "beaucoup reste à faire" à la frontière où ont traversé plus de 26 000 Haïtiens en provenance de la République dominicaine dont l’économie tourne au ralenti à cause de la Covid-19, l’autre « priorité » concerne l’identification et la préparation des sites de prise en charge des malades, fait savoir Bruno Lemarquis. « Comme pour la frontière, la désignation et la préparation des sites de prise en charge constituaient une priorité des priorités pour accélérer la désignation des centres de prises en charge (…) Un plan complet doit être fait pour chaque lieu de prise en charge. Cela prendra plusieurs semaines entre l’identification du site, la formation du personnel et le déploiement des équipements », souligne Bruno Lemarquis, encouragé par l’opérationnalisation des centres de prises en charge à l’hôpital universitaire de Mirebalais, à l’hôpital St Luc, à Milot, à Delmas 2... Il en faudra plus. L’attaque de l’infrastructure installée à Jacmel fend le cœur de ce fonctionnaire des Nations unies qui a débarqué en Haïti pour la première fois en 1985 avant d’y revenir travaillé dans plusieurs missions de l’ONU ces dernières décennies. «Je souffre quand je vois des centres incendiés. Les centres sont mis en place pour la population. Nous avons besoin de ces centres en condition d’opérations avec l’augmentation exponentiel des cas d’infections à la Covid- 19 », confie Bruno Lemarquis, estimant qu’il faut des discussions, des campagnes de sensibilisation au sein des communautés et l’implication de tous. Le numéro 2 du BINUH qui souligne à l’encre forte que les agences du système des Nations unies sont aux côtés du gouvernement et des autres partenaires, affirme qu’il n’y a aucune tension, aucune friction avec le Premier ministre Jouthe sur des questions financières. Le Premier ministre Joseph Jouthe, sans prendre de gants, avait indiqué début avril, à la matinale de Magik 9 (100.9 fm), qu’il faut demander aux Nations unies de quel montant elles disposent « aujourd’hui pour acheter deux ou trois tests pour Haïti ». « Les Nations unies ne disposent pratiquement de rien », a tranché le Premier ministre Joseph Jouthe un peu agacé. Celui qui doit avoir n’a pas à demander, a-t-il fait remarquer. « Il n’est pas trop tard. Si les Nations unies disposent de fonds, qu’elles les mettent à la disposition du gouvernement du pays », a appelé le Premier ministre Joseph Jouthe. « Je ne vois de tension dans ces discussions entre le gouvernement et des institutions internationales sur la façon dont le gouvernement veut utiliser et canaliser les fonds », assure-t-il. Avec le Premier ministre, le MSPP et la commission multisectorielle de gestion de la Covid-19, il y a un dialogue constructif et ouvert, selon Bruno Lemarquis. L’ONU n’est pas un bailleur de fonds. Pour faire face au Covid-19, les agences des Nations unies ont fait une reprogrammation des ressources. Des ressources limitées, a révélé le numéro 2 du BINUH. Les bailleurs qui passent par des agences des Nations unies augmentent. Cela se fait dans le cadre d’accord tripartite impliquant le bailleur, le gouvernement haïtien et l’agence concernée, détaille Bruno Lemarquis. Entre-temps, l’appel d’aide humanitaire de 100 millions de dollars pour les opérations sanitaires dans le cadre de la Covid-19 n’a pas encore porté ses fruits. Pour Bruno Lemarquis, il faut aussi faire la part des choses entre annonces de fonds effectuées par des bailleurs de fonds et les fonds disponibles dans l’immédiat. « Des institutions internationales ont annoncé des montants. Si vous les additionnez, ils sont impressionnants, c’est à peu près 200 millions de dollars pour la Covid-19 », indique Bruno Lemarquis qui a pris le soin de souligner que tout cet argent ne concerne pas le volet sanitaire des actions à entreprendre. « Ce ne seront pas tous les fonds qui seront disponibles immédiatement. Ces institutions ont des processus internes. Cela prendra du temps. Il y a une mauvaise conception que nous sommes "bons" (qu'il y a de l'argent). « Pour moi, nous ne le sommes pas encore. Pas immédiatement. Nous avons un véritable problème de disponibilité financière immédiate », précise-t-il, appelant à la solidarité envers Haïti qui aura besoin de beaucoup plus d’argent pour face aux conséquences de l’aggravation de la sécurité alimentaire. Le pays, avec 4,1 millions de personnes en insécurité alimentaire, a une situation similaire à la République du Centre-Afrique et la Somalie. « 6 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ce chiffre peut augmenter. Nous avons besoins de ressources pour la réponse sanitaire. Nous aurons besoin de beaucoup de ressources pour la réponse socioéconomique », insiste Bruno Lemarquis.