this used to be photo

Le Nouvelliste

Mon ami Fred

June 5, 2020, midnight

J’ai eu l’opportunité et le plaisir de recevoir à la maison, à la fin du mois de septembre dernier, mon grand ami Fred. Je lui ai montré Séville et il a été impressionné par la beauté de la ville, son architecture, ses terrains de football et son climat. Pour ceux qui ne le connaissent pas et qui jusqu´à présent n'avaient pas entendu parler de lui, Fred Paul, de son vrai nom Frédéric, n´est pas un homme anonyme. Il est l´un des plus grands producteurs de la discographie haïtienne et créateur du label Mini Records qui naquit au début des années 1970. En tant que producteur, il a récolté de nombreux succès, dont la célèbre chanson “New York City”, de l'album “8th Sacrement” du groupe Tabou Combo qui a connu une large acclamation tant en Haïti qu'en Amérique et qui arriva à occuper la première place dans le hit-parade en France, en 1974. Lutteur inlassable, il a collaboré avec les meilleurs groupes musicaux de son pays et a produit d´innombrables albums. De plus, en tant que mélomane, il est l´auteur d´une mélodie traduite en espagnol intitulée “Je ne peux pas oublier” (“Ou pi la” en kreyòl). Il y raconte avec une élégante prose, en laissant percevoir ses sentiments et son caractère romantique, un chagrin d´amour ; l´échec de la relation conjugale d´un homme qui, en dépit d´être encore amoureux de sa femme, est forcé de la quitter, en raison des divergences insurmontables qui se sont glissées dans la coexistence. Les paroles de la chanson sont accompagnées d´une musique rythmée et très appétissante et qui invite à danser. Fred est fasciné par le folklore andalou et nous sommes allés un jour au coucher du soleil à un spectacle au Patio Sevillano. Il profita pleinement de l´évènement, mais il laisse l'Espagne quelque peu frustré de n´avoir pas pu concrétiser l´un de ses désirs : incorporer dans sa chanson des sons de flamenco. Fred effectua différents voyages à travers le monde et accorda de multiples entrevues à titre professionnel. Cependant, c´est une personne qui se caractérise par sa simplicité, son affabilité, sa sympathie et son sens de l´amitié. D´une éducation très exquise, il saluait tous les matins ma femme en lui donnant un baiser et s´efforçait de s´exprimer, avec sa grâce particulière, en espagnol, afin de la faire participer à nos conversations. L´année dernière, quand il m´a téléphoné, coincidant par hasard avec mon anniversaire de naissance, pour m´informer qu´il pensait visiter Séville au cours de sa tournée en Europe, cette nouvelle me remplit de joie. J´attendis son arrivée avec impatience, car je ne l´avais pas vu depuis plus de cinq lustres. Lors de son court séjour, je l´ai accompagné à Cadix où il a passé environ trois jours avec son cousin Kern, et nous avons tous les quatre joué aux cartes : Kern, un bon ami Henri-Robert, Fred et moi. Nous avons passé une nuit entière avec cette distraction. C´était un petit matin de plaisanteries, de rires, se moquant l´un de l´autre, et en nous nous souvenant, par moments, de notre malheureux pays, Haïti. Mon amitié avec Fred remonte à plus de cinquante ans. Ensemble, nous avons fait trois des quatre dernières années de l´enseignement secondaire en Haïti. C´était un élève très irrégulier, peu conforme aux règles qui imposent d´être un étudiant appliqué. Joueur de football, il préférait quelquefois ne pas aller à l´école afin de se rendre aux entraînements du Violette A.C. Mais l´un de nos professeurs souligna qu’il était très doué en intelligence, ce qui ressort de ses conquêtes professionnelles. D’une santé robuste, jusqu´à présent il ne souffre d´aucune maladie, il remercie Dieu et j’ai vu comment il s’est recueilli pour prier devant la Vierge de la Rosée, dans l’ermitage du même nom. Il fuit le sujet de la mort, parce que je crois qu´il aimerait avoir une vie éternelle. Donc brièvement, c’est mon ami Fred, qui a aussi parmi ses réalisations le mérite d´avoir popularisé le rythme musical “Konpa Dirèk”, l’une des marques d´Haïti, qui s’écoute dans la comédie dramatique française “So close, So far” (titre original “Deux moi”) écrite et dirigée par le réalisateur Cédric Klapisch et sortie en septembre de l´année dernière. Il vit actuellement une relative retraite après une carrière fulgurante et satisfaisante. Cher frère Fred, merci beaucoup d’avoir fait connaître la musique haïtienne dans les coins géographiques les plus reculés du monde et d´avoir contribué à la rehausser à travers les multiples disques vendus. Ad multos anos. Article traduit de l’espagnol et paru dans l´édition du 26 septembre du journal digital espagnol “El Correo de Andalucía“.                                                 Séville, 27 mai 2020.