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Le Nouvelliste

Charlot Jeudy, disparition du premier activiste LGBTI haïtien

Nov. 25, 2019, midnight

La situation est morne ce matin du 25 novembre dans les locaux de l’association Kouraj. Le chagrin s’abat sur ces quelques membres de la communauté M qui s’y retrouvent. Ces derniers précisent tout de go qu’ils ne diront pas un mot à la presse. Une sorte d’omerta assez compréhensible mais qui laisse planer tant d’incertitudes sur les conditions de la mort de leur leader. Un de ses collaborateurs, sous le couvert de l’anonymat précise que Charlot n’était pas un homme d’excès, qu’il menait plutôt une existence quasi monacale. « Contrairement à la plupart d’entre nous, il n’aimait pas les fêtes, il était toujours chez lui. Il réfléchissait à deux fois avant de participer à certaines activités. Voilà pourquoi sa mort me surprend », témoigne cet employé d’une institution partenaire de Kouraj. L’homme est conscient de son homosexualité depuis l’enfance mais c’est seulement à la majorité que sa famille l’accepte en accueillant son partenaire de l’époque en dépit du fait qu’il résidait dans un quartier populaire. Jugé trop efféminé, on l'a forcé à ne pas soumettre sa candidature pour le poste de délégué de sa classe. Il se voit aussi interdire de soumettre son projet de mémoire à la fin de ses études à la faculté de droit par son professeur qui évoque sa foi religieuse pour justifier son refus. « J’ai fini par comprendre que nous n’avons pas d’autres choix que de nous engager maintenant afin que cela prenne fin », avait-il déclaré, selon le site de son association. Kouraj, au départ, s’intitulait Ami-ami, une structure qui voulait défendre la place des personnes homosexuelles dans la société. L'association adopte l’actuelle appellation au cours de l'année 2010, au constat des discours homophobes véhiculés par les cercles religieux qui voulaient associer le séisme aux péchés. Dès 2011, l’association devient visible et ses menées contre l’homophobie prennent une tournure politique. Charlot Jeudy, en tant que leader charismatique, a mené plusieurs projets en faveur de sa communauté pour indigéniser le terme générique LGBTI. Kouraj a proposé du soutien aux jeunes homosexuels abandonnés par leur famille selon un entretien qu’il a accordé à David Pieto pour le site de la Minujusth. Le militant pour la cause LGBT s’est illustré surtout en 2017 concernant le tollé sur les deux propositions de lois de sénateurs visant la communauté LGBTI. La disparition de l’activiste ne laisse pas tout le monde indifférent. Quelques institutions, dont l’ambassade de France en Haïti, rendent public leur avis sur son départ prématuré. Cette représentation diplomatique dans un communiqué déplore « la perte de ce défenseur courageux des droits de la personne humaine et, tout particulièrement, des personnes LGBTI». Elle invite les autorités haïtiennes à prendre les mesures en vue de faire la lumière sur la disparition de Charlot Jeudy.  Dans la soirée, l'ambassade des États-Unis à Port-au-Prince a aussi déploré le  décès prématuré de M. Charlot Jeudy, président de l'organisation Kouraj. «Nous regrettons sincèrement le départ de ce défenseur infatigable des droits humains et de l'équité en Haïti et nous croyons que sa mémoire perdurera à travers les valeurs et les principes auxquels il a consacrés sa vie », a écrit l'ambassade dans un communiqué, publié sur son compte Twitter.