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Le Nouvelliste

Contre le désespoir, le fatalisme et l’indifférence

Aug. 21, 2020, midnight

« S’engager jusqu’à se tacher », dit le poète. On peut se fatiguer des discours courants qui prônent le désespoir, le fatalisme et l’indifférence. Le désespoir et le fatalisme : l’éternité d’un rien qui ne changerait jamais. L’indifférence et l’évasion : « moi je n’écoute que RFI », « moi je fais mon travail et je rentre chez moi, et j’épuise en cela mon rapport à l’autre et au monde » ; « moi je ne prends pas de position, il n’y a que des salauds, pourquoi choisir entre les uns et les autres ? » Le blabla du lâche et de l’être moyen, du « petit homme », pour reprendre la formule d’un célèbre psychanaliste. Et toutes les formes de paresse éthique de gens qui pourtant savent et peuvent, pourraient faire tellement plus, donner tellement plus. Le problème de l’action civique, c’est qu’elle produit du dérangement. Mais il y a... Celui qui ne sacrifiera pas son match de foot… Celui qui, comme dans le chef-d’œuvre de David Lean, « Le pont de la rivière Kwai », inspiré du roman de Pierre Boulle, emporté par une obsession, perd l’intelligence de la place des choses dans la réalité globale… Celui qui travaille dans telle grande boîte ou dans telle administration reproduisant les mécanismes d’exploitation et de domination, et se vante de bien faire son travail comme preuve de son honnêteté… Le petit notable qui, pour avoir sa paix, n’appellera pas un fasciste un fasciste, une dictature, une dictature, mais préfèrera gloser sur la fatalité des choses… Celui qui a développé, comme une carapace, une telle capacité de faire la paix avec la « réalité », que plus rien ne l’insupporte, ne l’indigne. En tout cas, pas au point de prendre position, pas même par acte de parole, et surtout pas par la participation à une action concrète et collective. La mollesse, l’aveuglement, le petit confort de l’infirme civique. Celui qui dit que sa fonction lui interdit de prendre position. Face à tout cela, l’appétit du pouvoir et de la richesse facile, la tentation dictatoriale dont les acteurs ne chôment pas. La reproduction du pire est une industrie qui ne chôme pas, travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre et se passe des atermoiements, des hésitations. Elle est conduite par une équipe qui va droit au but. Seul un dévouement qui ne s’ensommeille jamais peut y répondre. Contre le désespoir, le fatalisme et l’indifférence, il faut un regain d’énergie. Il est facile de parler des limites de l’opposition, des actions qui n’aboutissent pas quand on regarde de loin ou de haut, quand on fonctionne comme une sorte d’auditeur libre de la vie sociale. L’auditeur libre a le bénéfice du droit au commentaire sans la contrainte d’un devoir à remettre. Le pire, c’est, par une pirouette intellectuelle qui ne convainc que l’acrobate, de se réclamer d’une lucidité qui commanderait à ne rien faire. Contre le désespoir, la fatalité et l’indifférence, les mots du poète (mais qui lit encore la poésie ?) : « Homme de vigie, ma parole, mais tu dors ! »