Le Nouvelliste
Ce pays qui glisse…
Sept. 9, 2020, midnight
L’aube, enveloppée dans un manteau de silence, est déchirée par le bruit terrifiant des rafales d’armes automatiques, au bas de Delmas, mercredi 9 septembre 2020. Avec les premiers rayons du soleil, quelques vidéos, partagées via whatsApp, apparaissent et plantent un décor de zone de guerre, d’angoisse. La cadence des tirs, l’accélération de la respiration de celui qui filme l'une de ces vidéos laisse peu de place au doute sur le vécu des hommes, femmes, enfants et personnes âgées du quartier. Sur Magik-9, un peu après 9 heures du matin, des auditeurs s’épanchent. « Je crois n'avoir jamais entendu le bruit de ces armes auparavant », raconte un résident du bas de Delmas, fief de Jimmy Chérizier, alias Barbecue, le meneur d’une fédération de gangs, « G-9 an fanmi ak alye ». Sans être capables de fournir des preuves outre leurs témoignages, d’autres auditeurs expliquent que les positions de Barbecue sont attaquées. L’un signale que des maisons sont incendiées à Delmas 4 et la police est en opération afin de capturer le plus célèbre chef gang d’Haïti aujourd’hui. La police, contactée mercredi matin par Le Nouvelliste, est en mode silence radio. C’est sur les réseaux sociaux que l’on voit des photos de véhicules blindés de la PNH avec plusieurs impacts de balles sur la carrosserie et les vitres. Un blindé a été immobilisé sur la route de Delmas, non loin du sous-commissariat de police de Delmas 3. Comme une baleine hors de l'eau. En milieu de journée, Jimmy Chérizier « Barbecue », interrogé par Télé Pacific, à Delmas 4, indique avoir choisi de ne pas riposter. « J’ai choisi de ne pas riposter parce que j’ai porté l’uniforme de la police pendant 14 ans », a-t-il dit. Pour Jimmy Chérizier, des policiers de « la police mafia d’Haïti » et des éléments armés, ses adversaires, se sont ligués pour l’attaquer. Le puissant chef de gang a indiqué que des policiers ont tiré à tout va et blessé des innocents, dont un homme de 69 ans. Des maisons ont été incendiées à la rue Barosy, à Delmas 4, a expliqué Jimmy Chérizier. Ce qui se passe est plus qu’un affrontement entre groupes armés. C’est un acte pour déstabiliser le pays, a affirmé le chef du G-9, qui nie toute connexion avec le pouvoir du président Moïse, sans jamais faire l’économie de critiques de figures de l’opposition. Ils n’ont pas le contrôle de G-9, a indiqué Jimmy Chérizier. En milieu d’après-midi, le commissaire Michel Ange Louis-Jeune, porte-parole de la PNH, a confié que l’opération ne visait pas spécifiquement à appréhender Jimmy Chérizier. « Non », a-t-il répondu au journal Le Nouvelliste, soulignant que l’opération visait à renforcer la présence de la police dans la zone, rassurer les habitants qui ont dû fuir à cause des affrontements entre « groupes rivaux ». Dans un second temps, la PNH a continué une série d’interventions contre des bandits, a-t-il dit dans la presse. Le porte-parole de la PNH, Michel Ange Louis-Jeune, a également indiqué dans la presse que les policiers ont été accueillis par des tirs de bandits. Il a reconnu une performance inadéquate de blindés engagés dans cette opération, ce qui a nui à l’efficience des policiers, a soutenu Michel Ange Louis-Jeune, porte-parole de la PNH, cloué au pilori par certains. Bel-Air et d’autres quartiers limitrophes du bas de Delmas ont été le théâtre de violence ces derniers jours. Des victimes ont indexé Jimmy Chérizier et ses alliés dans des attaques à Bel-Air, à la rue Mayard… qui ont fait des victimes et des dégâts matériels. Ces quartiers dont les habitants ont la pauvreté en partage sont pris dans une spirale. Des groupes armés se rendent coup pour coup, lavent l’affront du sang versé par le sang, du feu par le feu. Sans souci des victimes collatérales, ces vies et ces biens que les autorités peinent à sécuriser, ont indiqué certains observateurs. Sur les terres d’alliés de Jimmy Chérizier, à Cité Soleil et dans ses environs, la tension a régné au petit matin, en milieu de journée et en début d’après-midi. Coup de feu, barricades et colonnes de fumée ont illustré cette colère. Plusieurs centaines de partisans du chef de gang de Simon-Pelé, Jouma, appréhendé par la police, ont manifesté pour exiger sa libération. Le face-à-face avec la police, pendant la journée, a été tendu. Des policiers anti-émeutes ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser la manifestation d’habitants de Simon-Pelé, quartier de Delmas, limitrophe à la route de l’aéroport où il y a une forte concentration d’entreprises. En milieu d’après-midi, des barricades de pneus enflammés ont été érigées et ont rendu impossible la circulation en certains segments de cette route, l’une des portes d’entrée d’Haïti. Le porte-parole de la PNH, Michel Ange Louis Jeune, indique que Jouma sera transféré sous peu à la justice. La police arrête, c’est la justice qui peut libérer, a-t-il indiqué. Entre-temps, la zone métropolitaine vit ses paradoxes. En d’autres points, la vie a suivi son cours comme si rien ne se passait à Bel-Air et dans ses environs, à Butte-Boyer et dans ses environs dans la plaine du Cul-de-Sac. Les concerts d’armes automatiques, les morts par balle, les maisons incendiées, les populations jetées sur la route d’un inconfortable petit exode interne semblent être enveloppée d’une forme de banalisation, comme la violence exercée par des enfants des écoles publiques qui, laissés sans professeurs, sont prêts à tout casser pour mériter le regard des autorités, de la société sur l’école à plusieurs vitesses, sur l’injustice mise sur un piédestal. Ce construit d’échec qui glace d’effroi l’aube et le crépuscule dans ce pays qui glisse…