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Le Nouvelliste

Covid-19: les enfants sont-ils à risque?

April 2, 2020, midnight

Parmi les comorbidités qui exposent l'organisme humain face aux infections telles que le Covid-19, le cancer est un des plus redoutables. Ceci est valable pour les adultes comme pour les enfants, parce que le cancer aussi bien que son traitement entraînent l'affaiblissement du système immunitaire. Si des pathologies comme l'hypertension artérielle, le diabète, la tuberculose sont moins fréquentes chez les enfants, il reste un fait indéniable que le cancer infantile est un fléau qui ravage de plus en plus les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire. Le Dr Pascale Yola Heurtelou Gassant, chef de service d'oncologie pédiatrique à l'hôpital Saint-Damien, a attiré l'attention sur le nombre grandissant de cas de cancer infantile et la difficulté des pays pauvres à faire le diagnostic à temps.  « The Lancet oncology commission », un journal scientifique de référence, a publié un article le mercredi 1er avril 2020 dans lequel les scientifiques ont sonné le glas de l'augmentation du nombre de cas de cancer infantile, trop souvent non diagnostiqués dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire.  Cet article vient à point nommé dans un contexte où l'immunodépression est un facteur de risque qui aggrave le tableau clinique du Covid-19.  « Nous estimons qu'il y aura 13,7 millions de nouveaux cas de cancer infantile dans le monde entre 2020 et 2050. Au niveau actuel de performance du système de santé (y compris l'accès et la référence), 6,1 millions (44,9%) de ces enfants seront  non diagnostiqués.  Entre 2020 et 2050, 11,1 millions d'enfants mourront du cancer si aucun investissement supplémentaire n'est fait pour améliorer l'accès aux services de santé ou au traitement du cancer infantile. Sur ce total, 9,3 millions d'enfants (84,1%) se trouveront dans des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure », ont fait savoir plus d'une trentaine de chercheurs qui ont travaillé sur le sujet. Loin de rester dans l'expectative, ils proposent d'augmenter les fonds alloués à la santé afin de résoudre ces problèmes récurrents qui vont indubitablement s'aggraver et mettre la vie des enfants en danger. « Ce fardeau pourrait être considérablement réduit avec de nouveaux financements pour intensifier les interventions rentables. Une intensification globale simultanée des interventions pourrait éviter 6,2 millions de décès d'enfants atteints de cancer au cours de cette période, soit plus de la moitié (56,1%) du nombre total de décès autrement prévu.  Compte tenu du risque de surmortalité, cette réduction du nombre de décès devrait produire un gain de 318.  De plus, les gains de productivité mondiaux sur la durée de vie de 2 580 milliards de dollars en 2020-2050 seraient quatre fois supérieurs aux coûts de traitement cumulés de 594 milliards de dollars, produisant un avantage net de 1 986 milliards de dollars sur l'investissement mondial: un rendement net de 3 $ pour chaque dollar investi. » Le risque que les enfants atteints de cancer soient parmi les victimes du Covid-19 inquiète l'équipe d'oncologie pédiatrique de l'hôpital Saint-Damien. « Comme vous le savez les enfants avec un cancer sont vulnérables face à cette infection, car ils sont par eux-mêmes immunodéprimés aussi bien par leur pathologie cancéreuse que par le traitement. Donc il nous faut à tout prix trouver où développer des stratégies pour les protéger au maximum. Cependant, vu leur immunosuppression, cette infection peut être fatale, et ceci constitue une préoccupation majeure pour tous ceux qui sont affectés à la prise en charge des patients avec cancer », se désole le Dr Pascale Yola Heurtelou Gassant.  Les professionnels de santé qui œuvrent pour sauver la vie des enfants à l'hôpital Saint-Damien expliquent également que « 80% des enfants avec cancer vivent dans un pays à revenu faible; l'estimation annuelle du nombre de cas de cancer infantile en Haïti est d'environ 504 nouveaux cas par année. Or, l'hôpital Saint-Damien ne reçoit que 18% des cas. Cette pandémie va retarder encore plus le diagnostic des enfants, car les parents auront peur de se rendre à l'hôpital où en cas de confinement de la population, il y aura une impossibilité de sortir, donc plus d'enfants à venir avec un stade avancé de leur pathologie. » Le Dr Gassant ne cesse depuis le début de cette pandémie d'attirer l'attention des autorités sur la façon dont il faut aborder ce problème avec les hôpitaux, qui sont obligés de consentir d'énormes sacrifices.  À l'hôpital Saint-Damien, il y a maintenant une réduction du staff afin de ne pas trop exposer le personnel. « Nous ne pouvons plus envoyer les patients  réaliser certains examens hors de l'hôpital. Par exemple, la réalisation de CT scan en dehors de l’hôpital est suspendue provisoirement, donc le bilan d'extension nécessaire pour le staging est pratiquement compromis pour le moment. » Elle poursuit pour souligner à l'attention des autorités sanitaires que les molécules (anticancéreux et autres)  disponibles couvrent une période allant de 2 mois à 25 mois, selon les protocoles. Probablement, si la crise perdure avec fermeture des ports, aéroports et frontières, nous ne pourrons plus avoir les médicaments nécessaires à administrer aux enfants. Nous irons probablement à la réduction de certaines doses de médicaments, ce qui augmentera le taux de rechute/récidive et changera le pronostic du patient. La radiothérapie a été suspendue provisoirement non pas à cause d'une contre-indication mais de la fermeture de la frontière avec la République dominicaine, donc certains traitements seront incomplets, les chirurgies électives pour les patients atteints de tumeurs solides seront retardées et la chimiothérapie se poursuivra. Certains patients pour le moment sont en attente, les produits sanguins sont encore plus rares qu'avant cette crise », a conclu la cheffe de service d'oncologie pédiatrique à l'un des plus importants hôpitaux pour enfants en Haïti.