Le Nouvelliste
Frantz Jacques, dit Guyodo, l’Empereur peinture et sculpture
Jan. 29, 2021, midnight
Guyodo est à l’apogée de l’art contemporain haïtien. Qualité, beauté chez l’artiste jonglent avec fécondité. Il est l’un des peintres les plus prolifiques de l’époque, c’est une véritable machine de production. Pour se préparer à l’exposition « Rèl », il a eu besoin seulement de deux mois, octobre et novembre, pour réaliser 21 tableaux, dont 12 de dimension 51×61, deux de dimension 128×64, d’autres de dimension 130×63, ou 64×173 et autres. « Il a travaillé comme un fou », affirme le directeur exécutif du Centre d’art, Jean Mathiot. Né en 1973 à Port-au-Prince, Frantz Jacques pratique l’art dès son plus jeune âge. Il sculptait, dans des ateliers de la grand-rue, des objets en bois pour les vendre aux touristes. À l’invitation de Jean Hérard Céleur, il intègre « Atis rezistans », un collectif qui regroupe des artistes plasticiens de récupération. Animé constamment par le désir d’aller plus loin, Frantz Jacques ne se limite pas à la récupération de métal uniquement, mais tout ce qui lui paraît utilisable. Certaines de ses plus belles récupérations sont les «pèpè» (fripe) ; il les réutilise dans la réalisation de nombreux tableaux. Il aime dire à ce sujet : « Blan yo voye yo ban nou pou pa bon, mwen menm mwen pran yo m fè bèl tablo ak yo, m ekspoze yo nan mize lakay yo. » En 2006, Avec Céleur, André Eugène et Mario Benjamin, il contribue à la construction de «Freedom culture», une pièce sculptée en commémoration de la 2000e année de l’abolition de l’esclavage, à l’initiative des commissaires du Musée international de l’esclavage à Liverpool. Depuis lors sa carrière prend une autre tournure ; il commence à jouir d'une reconnaissance internationale. Très sollicité, il représente Haïti à Londres, New York, Milan, Bordeaux, Chicago, Genève, Brooklyn, Edinburgh, Pittsburgh, Bruxelles. Toutefois, l'épreuve nous révèle une autre face de l’artiste. Nous sommes à l’aube du 1er mars 2020, un feu dont on ignore encore l’origine s’est répandu à la grand-rue, son habitat et son atelier. Pas moins de 2000 œuvres, soit près de 20 ans de productions artistiques, sont parties en fumée. Un véritable désastre pour le natif de la grand-rue qui connaissait pas mal de problèmes économiques. Il confie au journal Le Nouvelliste qu’il vient de perdre « l’essentiel de son imposante collection », dont des œuvres qui ont été exposées à l’extérieur du pays, au Grand Palais, par exemple. Presque une année après, Guyodo n’a pas encore rouvert ses portes. « J’ai besoin de 30 000 dollars pour reconstruire et relocaliser mon atelier. Je ne les ai pas encore. Un artiste comme Guyodo peine à collecter 30 000 dollars », se plaint-il. Cependant, penser que cette fatalité condamnerait l’avenir de l’artiste, c’est mal le connaître. Frantz Jacques n’en démord pas ; le jour même de l'incendie, il révèle à Le Nouvelliste son intention de ne pas baisser les bras. « Depi menm yèswa a, gason m, mwen mete pantalon m nan tay mwen pou m rekòmanse travay ». Des propos qui, plus de 11 mois plus tard, se manifestent à travers ses réalisations. Il est l'artiste le plus représenté à l’exposition qui se réalise depuis le 14 janvier par le Centre d’art à Maison Dufort. Il occupe le rez-de-chaussée à lui seul, et partage l’étage avec d'autres artistes. Ses œuvres à l’exposition « Rèl » expriment un cri d’espoir, de joie. « Se pa tout lè rèl la se kri lamizè, dezespwa, rèl la tou se yon kri jwa, yon kri espwa », martèle-t-il. C’est un Guyodo heureux que l’on a retrouvé ce jeudi à Maison Dufort pour des prestations en live. Il a chanté, défilé, peint un tableau sur place sous le charme d’un public curieux de voir un artiste qui dégage une énergie d’espérance et qui témoigne d'une grande fierté pour sa terre natale.