Le Nouvelliste
Léogâne : un week-end pascal inédit
April 13, 2020, midnight
Un dimanche de Pâques sans les bandes de rara sur la grand-rue de Léogâne, sans le son des instruments qui défie les décibels sur les stands, notre génération ne l'a vu qu'une fois. C'était il y a dix ans, après le séisme de 2010 qui avait interrompu la répétition des bandes à pied. Mais cette année, c'est différent. Contrairement à 2010, la saison avait déjà démarré quand les deux premiers cas de coronavirus ont été déclarés dans le pays, obligeant les autorités à interdire tout rassemblement de foule sur le territoire. Autre différence majeure : les esprits n'étaient pas au rara, après que la cité d'Anacaona eut été sévèrement endommagée occasionnant des morts le 12 janvier 2010. En 2020, les Léogânais regrettent l'interruption de la saison. Le coronavirus n'occupe pas les esprits. C'est donc sous le coup de la nostalgie que s'est déroulé le reste de la période pascale, après la troisième semaine jusqu'à la semaine sainte. Les adeptes de rara n'ont pas cessé de se plaindre de ces jours qui paraissaient lugubres. La nostalgie était tellement forte que l'on s'est mis, à travers les réseaux, à rêver que le défilé se tenait réellement. " Où est telle bande? Telle bande est à tel endroit." publiaient certains. D'autres ont défilé avec leur vélo à travers les rues, en souvenir de YAP (Yogann ap pedale), marathon qui draine depuis trois années chaque dimanche de Pâques des milliers de "cyclistes" à Léogâne. Les petits marchands doublement touchés Ils se plaignaient déjà de rater une opportunité de gagner un peu plus d'argent avec l'interruption de la saison du rara. Maintenant, le petit commerce à Léogâne doit en plus faire face à un couvre-feu, appliqué à moitié par le commissariat de Léogâne. Depuis quelque temps, les marchands, en particulier ceux qui pullulent dans les périmètres de la place publique, sont obligés par le commissariat de Léogâne de plier bagage dès 9 h p.m. Parfois, à grand renfort de tirs, de gaz lacrymogène et de coups de baton. Ce dimanche de Pâques, jour généralement très rentable, a été plutôt déficitaire pour les petits commerçants, comme les jours d'avant. Ce jeune homme qui fait griller des fruits de mer en face de la place publique affiche sa colère après l'intervention de la police. Je n'ai même pas encore gagné 100 gourdes ce soir et je suis forcé de rentrer. C'était comme ça les soirs d'avant. Le virus n'est pas un vampire qui sort uniquement le soir. Les marchés publics fonctionnent pendant la journée. Pourquoi nous, les petits marchands, ne pouvons pas nous débrouiller en soirée ? fulmine-t-il. «Nous avons des crédits à rembourser. C'est dans la rue que nous devons trouver l'argent. Sans le rara et avec ce couvre-feu, nous sommes perdus», renchérit une marchande de fritures. La colère des marchands est encore plus vive quand ils font remarquer que des bars fonctionnent pendant qu'eux sont obligés de fermer. En effet, des espaces un peu éloignés du centre-ville reçoivent beaucoup de monde, encore davantage quand les espaces au milieu de la ville sont obligés de fermer leurs portes après 9 h p.m., et ne s'inquiètent pas d'une quelconque intervention policière, a-t-on observé. Par ailleurs, les habitants des " lakou " des bandes de rara ont été sensibilisés à se protéger du Covid-19 au cours du week-end pascal. Il s'agit d'une initiative de l'ADBRAL (Association des dirigeants des bandes de rara de Léogâne), une structure de la diaspora. Dans les lakou habitent ceux qui en grande partie restent éloignés des centres urbains, qui n'ont pas forcément accès à l'information, nous explique Marie Claude Phylistain, représentante de l'ADBRAL en Haïti. Nous avons souhaité leur apporter le message de sensibilisation chez eux, poursuit-elle. Des sceaux et des produits de purification d'eau ont été placés dans chacun des lakou en vue d'encourager les occupants à appliquer les règles d'hygiène.