Le Nouvelliste
Jeanguy Saintus, une vie dédiée à la danse
May 8, 2020, midnight
Vous vous êtes arrêté de vous produire depuis quelques années en Haïti. Pouvez-vous nous rappeler pourquoi ? On a eu la dernière grande production pour les 20 ans de la compagnie au Karibe en 2008. On a continué avec les « Solid@nse » (Nuit des Solistes), à la Fokal, jusqu’en 2011, si ma mémoire est correcte. Et, on a quand même participé à plusieurs éditions du festival « Destination Aquin » jusqu’en 2015. Pourquoi ? On investit des sommes faramineuses pour la production d’un spectacle en Haïti. Je suis en réalité chorégraphe et le directeur artistique d’une compagnie de danse. Je ne suis ni producteur, ni un homme d’affaires intéressé aux activités culturelles. Les sponsors n’accompagnent pas les créateurs en fonction de la qualité de leurs œuvres, sinon en fonction de qui a téléphoné. Donc, c’est plus facile de faire un récital d’enfants qu’un vrai spectacle de facture professionnelle. C’est pourquoi aux mois de mai et juin, vous voyez tous ces grands panneaux dans les rues. Les spectacles de fin de cours se vendent comme de grandes productions hollywoodiennes. Ne vous inquiétez pas, il y a de l’argent pour ! Pour les vrais projets professionnels, ce n’est jamais le bon moment. Financièrement, ça ne suit pas. Les artistes, plus particulièrement le producteur improvisé que je suis, sont très souvent les grands perdants. Comme le travail est le fruit de notre passion, on a toujours plutôt tendance à consentir toutes sortes de sacrifices pour le partage. Moi, personnellement, j’accepterais de perdre une nouvelle fois. Si j’avais la garantie d’être satisfait au niveau artistique. Non ! Les expériences de 2007 et 2008 m’ont prouvé que je ne pouvais pas faire de miracle. Donc, j’ai décidé d’arrêter. Ça été pénible comme décision. Mais je n’avais plus envie de vendre mon travail au rabais. Comme j’avais accès à l’ailleurs, je savais que ce n’était pas juste ce qu’on proposait au public comme spectacle, puisqu’il ne pouvait pas voir ce qui se passait sur la scène. La majorité des gens assis dans la salle ne voyaient pas le plateau si les mouvements se faisaient au sol... le va-et-vient des serveurs... les conditions lamentables où les artistes évoluent… Je refuse de faire partie de ceux-là qui sont contents juste de faire un dépôt intéressant à la banque le lendemain de la présentation, alors que je ne peux pas regarder dans les yeux un autre collègue artiste professionnel qui connaît mes exigences. Pourquoi « Cri des Nago », « Mangaje », « Rencontres », « Reflections », « Danse de l’araignée », présentés à Port-au-Prince, doivent être des versions haïtiennes de la création ? Pourquoi ne pouvons-nous pas présenter la version originale comme à Miami, Pittsburgh, aux Etats-Unis d’Amérique, à Leicester, au Royaume-Uni, à L’Artchipel en Guadeloupe ou à L’Atrium en Martinique ? Je respire confortablement quand l’artiste est fier de sa performance ; quand les autres acteurs impliqués dans la création ont la satisfaction d’un travail bien fait et quand je vois le regard ou le sourire d’un public comblé (conquis). À 55 ans, les simples soirées mondaines et les fausses fiertés ne m’intéressent pas. Elles ne m’ont jamais intéressé d’ailleurs ! Pourrez-vous un jour revenir sur cette décision ? Bien sûr ! Si les conditions sont réunies, pourquoi pas. Haïti est la source. Tout ce que je vis, tout ce que je vois en Haïti m’inspire. Et je dois beaucoup à ce public qui m’a aidé à grandir, ce public qui m’a embrassé aux balbutiements de ma carrière de chorégraphe. Ces spectateurs qui m’ont dit depuis le « Bal des Gede » : « Vas-y, Jeanguy, nous sommes avec toi. » Il n’y aurait pas une écriture Jeanguy Saintus-Ayikodans sans l’aval de mon premier public, sans l’accès à nos « lakou », sans l’odeur du « kleren » et de la basilique devant Bawon Lakwa et Grann Brigit au cimetière de Port-au-Prince. Je tiens à dire merci à ce public, lui rappeler combien je l’adore et surtout lui dire qu’il mérite mieux. Beaucoup mieux que ce qu’on lui propose encore en 2020. Justement, je souhaiterais voir grandir mon public en Haïti. Un public qui s’installe à l’heure dans la salle. Pas de serveurs offrant griot et bières en plein spectacle ! Pas de photographes et autres personnages qui lui offrent un spectacle parallèle. Pourquoi Haïti ne peut pas respecter les normes ? Pourquoi produire un spectacle en Haïti doit être différent de la République dominicaine ou ailleurs ? Je respecte trop ce public pour continuer à faire le jeu des imposteurs. Je souhaiterais créer cette symbiose entre le danseur sur scène et le spectateur. Moi, quand je vais au théâtre, j’y vais pour rêver. Quand je me lance dans une création, je deviens fou. Depuis mon studio à Puits-Blain, je projette mon œuvre déjà dans les grands théâtres en Occident. Ça m’arrive de me retrouver à certains endroits et de demander des choses qu’ils ne peuvent pas me donner par manque de matériel. Et je souris quand le régisseur me dit : « Désolé Jeanguy, je sais ce que tu veux, mais nous n’avons pas encore fait l’acquisition de ce type d’équipement ici. » Le technicien croirait que malgré les images de misère et de pauvreté qu’il voit dans les médias, Haïti a des salles bien équipées. Puisque nous parlons tellement de richesses culturelles dans nos discours. Vous êtes parti à l’étranger pour des masterclasses et des spectacles. Vous aviez, au cours de la décennie passée, initié des projets ad hoc, dont « Dansepyenu », « Danser les villes ». Pouvez-vous énumérer pour nous les accomplissements réalisés au cours de cette décennie ? "Dansepyenu", c’est mon bébé à moi. J’ai toujours cru et je crois encore qu’il faut retourner l’ascenseur, redonner à la communauté ce que nos aînés nous ont donné. Dansepyenu signifie rendre la danse accessible au plus grand nombre. Je suis fier d’affirmer aujourd’hui que 95 % de nos danseurs, pour ne pas dire presque tous les danseurs de la compagnie, les meilleurs danseurs de la Ayikodans, sont le produit de cette formation. "Dansepyenu" est un projet de formation gratuite supporté en partie par la Fokal de 1998 à 2012. Bien moins médiatisé aujourd’hui, nous continuons quand même avec ce projet avec nos faibles moyens. Je ne cesserai jamais de remercier Viviane Gauthier, Kettly Jean-François, Régine Montrosier Trouillot qui m’ont ouvert leurs bras et m’ont donné accès à la danse gratuitement. Gratitude à tous les professeurs – dont je tairai les noms par crainte d’en oublier un –, qui m’ont nourri, guidé à mes débuts. Solid@nse (Nuit des solistes), les Rencontres de chorégraphes avec des danseurs et artistes internationaux de divers horizons. Ces rencontres visaient à faciliter les échanges entre créateurs haïtiens et étrangers, à encadrer, accompagner les jeunes qui s’intéresseraient à la chorégraphie. Les Solid@nse, c’est six à sept éditions de solos et duos présentés à la Salle Fokal-Unesco et à notre Studio-Théâtre à la rue Chavannes, Pétion-Ville, avec des artistes de la Jamaïque, de Cuba, de Roumanie, des Etats-Unis d’Amérique, de Guadeloupe, de France, de Slovénie… J’avais compris qu’il serait plus facile de créer une plateforme moins lourde qui pourrait s’inscrire dans la durée. Mais, en absence de support financier, l’urgence de trouver un nouveau lieu pour héberger l’école et la compagnie et d’autres soucis m’ont forcé à abandonner ce beau projet. "DanserLesVil", c’est aller à la rencontre des danseurs dans les villes de province. Pas nécessairement avec l’approche misérabiliste des démagogues. La première et unique édition, réalisée en 2014 avec le support du Bureau des affaires publiques de l’ambassade américaine à Port-au-Prince, nous a permis de découvrir des associations bien structurées aux Cayes, aux Gonaïves et à Aquin. Ils ont juste besoin d’encadrement. Nous avons accueilli chez nous une trentaine de danseurs sélectionnés dans les différentes villes pour les grands ateliers à Port-au-Prince. Ces ateliers, menés par Kurt Douglas et Edward Lathan venus des Etats-Unis, se sont déroulés pendant deux semaines avec une scène ouverte en fin de session. Nous rêvons de renouveler l’expérience, mais ce genre de projet est coûteux, beaucoup plus qu’on se l’imagine. Pouvez-vous dresser votre bilan personnel ? Devrais-je faire le bilan moi-même, ou laisser aux autres le soin de le faire avec objectivité à ma place ? Rires ! En dehors de l’école et des différents projets réalisés pendant ces trente dernières années, je suis fier d’avoir offert à Haïti une compagnie de danse applaudie et respectée partout : de Miami à Tokyo ; de Santo Domingo à Leicester. Les différents critiques en témoignent. La suite, malheureusement, ne dépend pas de moi. L’incertitude plane toujours sur la survie des structures comme Ayikodans en Haïti. Est-ce qu’on sera encore là la semaine prochaine ? L’avenir nous le dira ! Ce qui me fascine le plus dans ce métier passionnant, c’est cette possibilité de dialoguer avec d’autres corps. Identifier un langage, une écriture propre à soi-même. Arriver à me créer une place sur la scène internationale avec une écriture venue d’Haïti. Fier de me considérer comme un bon produit national. Je pense à la passion de la danse insufflée à beaucoup d’artistes d’ici et d’ailleurs, à mes créations pour National Dance Theatre Company of Jamaica (NDTC), Akademiduka en Guadeloupe, Barbados Dance Theatre, COBA (Collective of Black Artists) Toronto, Canada, Cleo Parker Robinson Dance Company à Denver, Colorado, Ethington Dance Ensemble, Grand Canyon University, Phoenix, Arizona, Palm Beach Atlantic University, Florida. Mon tout dernier projet, la version revisitée du « Sacre du printemps » de Stravinsky, pour la compagnie britannique Phoenix Dance Theatre basée à Leeds au Royaume-Uni, a été vue en six mois par plus de 15 000 spectateurs. La première, présentée au Grand Theatre en collaboration avec Opera North avec un orchestre de 62 musiciens, restera gravée dans ma mémoire. Je me croyais dans un rêve. Cette pièce a été saluée par la presse britannique partout où elle a été jouée. Ma version du « Sacre du printemps » a reçu le BlackBritish Theatre Award de la meilleure production de danse à Londres. Elle sera en tournée en Allemagne au printemps 2020. Avez-vous des regrets, des chagrins par rapport à cette période ? Je n’ai pas envie de faire pleurer. Des chagrins, des regrets, j’en ai trop. Assez souvent, sur le parcours, je me suis considéré comme une sorte de machine à déceptions. Mais, ne vous inquiétez pas, je n’ai pas changé, je suis resté fidèle à ma mission, fidèle à ce que je crois. Ces chagrins, ces regrets, au lieu de m’abattre, m’ont rendu beaucoup plus juste dans mon travail. Et surtout, ils m’ont permis d’avoir une meilleure compréhension de l’autre, de la vie en général. Nous sommes qui nous sommes. A l’inverse, quelle a été votre plus grande satisfaction ? L’acquisition et la construction de notre propre studio en 2013, Artcho Danse, l’école de la compagnie Ayikodans. Notre profonde gratitude à nos danseurs, nos musiciens, aux amis de Ayikodans, plus particulièrement Velina Elysée Charlier,Tom Murphy, Youri Mevs, Adrienne Arsht Center, la Fokal, le Green Family Foundation. Nous ne pouvions plus payer les loyers à Pétion-Ville ; nos projets cesseraient d’exister depuis juin 2012 sans la garantie de ce lieu de création. Nous rêvons encore de voir l’aboutissement d’un deuxième studio, un format studio-théâtre pouvant accueillir des scènes ouvertes. Ce qui nous permettrait de rester en contact à nos fans en Haïti. On ferait au moins une générale même pour un nombre limité d’invités comme nous le faisions avant nos tournées en dehors du pays. Ce lieu sera mis à la disposition d’autres chorégraphes de la place aussi. On n’est pas obligé d’avoir une école de danse ou d’être professeur de danse pour s’intéresser à la création chorégraphique. Quel est votre regard en tant qu’observateur perspicace sur la pratique de la danse en Haïti de nos jours ? Je vois qu’il y a beaucoup de choses intéressantes qui se passent dans la danse en Haïti. L’un des acquis majeurs, c’est cette forte présence masculine dans la danse aujourd’hui. J’étais le seul danseur au cours de ballet chez Viviane ; un ami m’a rejoint par la suite à l’Institut de danse Kettly Jean-François Durand et nous avons été ensemble à la RMT (Académie de danse Régine Montrosier-Trouillot). Les garçons dans les écoles de danse, c’était chose rare. Il y avait Edmond Bailly, Patrick Grob à l’Institut de danse Lynn Williams Rouzier, Vadim Cameau chez Régine et Ted Lubin chez Rachel V. Jean-Louis. Les hommes pratiquaient plutôt les danses folkloriques et les danses sociales (ballroom). Aujourd’hui, 75 à 80 % des meilleurs professeurs de danse sont des hommes. Ils sont aussi de beaux danseurs. Nous avons dans certaines de nos classes et nos compagnies plus de corps masculins que de femmes d’il y a 30 ans. Chapeau pour les danseuses et danseurs qui pratiquent le hip-hop. Je les trouve constants et justes dans leurs démarches. Comme le vodou est mieux valorisé ces derniers temps, je constate aussi allègrement plus d’intérêt pour nos danses traditionnelles et les approches inspirées de notre culture. Mais le chemin est encore long parce que la colonisation a laissé des traces profondes, indélébiles dans bien des cas. Il y a ceux qui croient encore que la valorisation de nos danses, la qualité de nos œuvres dépendent ou passent par les cultures et les critères techniques imposées par l’Occident. En gros, je me réjouis de ce qui se passe dans la danse chez nous aujourd’hui. Mais je n’ai de cesse de le répéter à mes danseurs : « On peut toujours faire mieux. » Suivez-vous le travail des autres chorégraphes ? Oui. Mais ceux-là qui s’intéressent vraiment à la création n’ont pas toujours la chance de faire évoluer leur art ou leurs rêves de chorégraphes. Cette envie de créer, d’explorer autre chose. Oser. Puisqu’ils n’ont pas toujours la matière, les corps qu’il faut pour faire bouger les codes. Malheureusement, le seul marché en Haïti, ce sont les écoles de danse. Donc je sais que les possibilités sont extrêmement limitées. Il y a pas mal de jeunes avec de très belles idées. Ça n’ira pas plus loin à cause des mêmes problèmes évoqués plus haut : pas de lieux de création bien équipés de son, de lumières et de plateau pouvant accueillir les œuvres. Selon vous, qu’est-ce qu’Haïti peut apporter à la danse ? Haïti dans la Caraïbe, et de par sa belle histoire, est en quelque sorte le bastion de la diversité culturelle qui a beaucoup à dire et à partager non seulement avec son public, mais aussi avec d’autres publics. Nous avons tellement de belles histoires qu’on n’a toujours pas racontées 216 ans après. Quels sont, selon vous les danseurs et danseuses qui ont marqué la danse ces dernières années ? Comme je vais très peu aux spectacles de danse en Haïti, c’est difficile pour moi d’émettre mon opinion là-dessus. Mais, en toute honnêteté, je crois que parler de danseuses, de danseurs qui ont marqué la danse serait un « overstatement », un peu pompeux. Je vois quand même les photos publiées par Ticket et d’autres sources. Je vois aussi des vidéos publiées sur les réseaux sociaux. Les spectacles se font dans des conditions lamentables. 20 danseurs sur scène, entassés sous des tentes comme des sardines. On peut difficilement apprécier la qualité du travail proposé ou les qualités de l’interprète. La preuve : tous les spectacles sont jolis ! Taille unique (one size fits all) ! Puisqu’on n’a rien d’autre à dire. Et 95 % des spectacles sont des spectacles de fin de cours, des spectacles d’enfants dédiés aux parents et amis des élèves. Les 3 à 5 % qui restent sont organisés par des gens qui essaient de profiter du vide laissé par l’absence de compagnies de danse structurées, de professionnels. Je ne vois pas comment dire qu’un enfant – qui a bien exécuté les pas appris ou une danseuse ou un danseur, sans formation ou expérience dans le domaine qui a participé à un de ces spectacles – aurait marqué la danse juste le temps d’une soirée. Plusieurs de vos anciens collaborateurs, dont Mackenson Blanchard, ont ouvert leur propre école de danse ou sont partis vers d’autres projets. En un mot, vous avez fait école ? Comment sont les relations avec les anciens élèves ? (Rires !) Vous m’apprenez bien des choses. À ma connaissance, aucun de mes danseurs n’a ouvert d’école de danse en Haïti. Ils m’auraient probablement invité à l’inauguration. Tous mes élèves savent que je ne suis pas dans le business traditionnel des écoles de danse ici. Je leur aurais même envoyé des élèves. C’est vrai que j’ai vu d’anciens élèves de l’école profiter de la conjoncture politique pour se positionner, trouver des fonds pour produire des spectacles. J’en ai vu lors de Carifesta en 2015|2017 et d’autres événements. J’en ai vu qui ont essayé de s’accrocher à des gens jouissant d’une certaine visibilité « politique » pour faire de l’argent. Ces individus-là, je les considère comme des éternels opportunistes prêts à changer leur fusil d’épaule à la moindre occasion. Ceux-là sont à éviter parce qu’ils constituent un danger pour la profession. Mackenson Israël Blanchard est un membre actif de la compagnie Ayikodans. Après "LDIF" à Leicester au Royaume-Uni, "Temps de danse" à L’Artchipel en Guadeloupe, Blanchard vient de danser le spectacle « Cri des Nago » à Tropiques Atrium en Martinique avec Ayikodans. Le projet Equality mené par Blanchard en danses urbaines est une initiative noble pour la vulgarisation et un geste mérité vers la professionnalisation des différents courants du hip-hop en Haïti. Equality a travaillé son premier spectacle dans nos studios à Puits-Blain 4. Il fait partie des danseurs qui m’accompagnent lors de mes stages à l’étranger. Nous sommes partis pour le montage de ma troisième création pour le National Dance Theatre Company (NDTC) à la Jamaïque en 2018. Et là, ils l’ont presque adopté. Il en est à sa deuxième sortie comme professeur invité. Je suis honoré de pouvoir créer ce genre d’ouverture pour mes danseurs. L’écriture de Jeanguy Saintus s’exporte à travers les corps formés à Artcho Danse, l’école le Compagnie Ayikodans. La relation avec les anciens danseurs de la troupe est sublime. Partout où je vais, mes anciens élèves me suivent. Ils enfilent leurs leotards et leurs jupes pour prendre la classe, même celles et ceux qui ont arrêté de danser. Je revis la classe à Montréal quand j’y suis allé en 2007. Récemment les masterclasses donnés à Ron K Brown Evidence à New York. Mes anciens danseurs sont venus de partout pour prendre ces classes. Des danseurs des années 90 qui ont dansé « Le bal des Gede » à date. Quand nous sommes allés à Genève, en Suisse, Jeanine Pierre-Louis Catalan a fait le voyage de Alby-sur-Cheran (France) pour se joindre à nous. Et nous avions aussi d’autres danseurs qui vivaient en Suisse. Des exemples pareils, j’en ai beaucoup. Avez-vous des conseils, des suggestions pour eux... pour un jeune qui commence la danse demain, pour un danseur qui souhaite faire carrière ? Discipline, persévérance, persévérance ! Soyez vous-même. Ne laissez jamais aux autres le choix de décider pour vous, à votre place. Surtout, n'ayez pas peur. Rejetez toute idée associée à la peur. Il doit cultiver la patience, se donner du temps, du temps pour apprendre. C’est ce qui manque aux jeunes d’aujourd’hui. Ils veulent brûler les étapes. Ils ne font aucune recherche pour connaître un peu l’histoire de la danse en Haïti, pour ne pas dire l’histoire de la danse en général. Il y a malheureusement chez certains jeunes une tendance à vouloir se considérer, juste après 2 à 3 années dans la danse, comme ceux-là qui ont 30 à 50 années dans le domaine. Comment comptez-vous aborder cette nouvelle décennie ? Avec beaucoup plus de réalisme. Là, je suis certain qu’il y a une évolution que je ne verrai pas demain en Haïti. Donc, je vais faire plus de démarches pour que Ayikodans puisse continuer à se produire ailleurs et surtout trouver d’autres ouvertures, d’autres invitations pour de nouvelles créations avec d’autres danseurs, d’autres troupes. Quand on connaît l’ailleurs, c’est difficile, c’est une honte de s’adapter à cette médiocrité latente du « Sa w vle nou fè », « Pito nou lèd nou la », « Ayiti pa bezwen tout bèl bagay sa yo ». Toutes les vilaines excuses pour faire du surplace. Je vais m’accrocher davantage à mes rêves et rester toujours fidèle à mon art. Avez-vous des projets, de nouvelles ambitions, voire un vœu pour la danse ou le secteur de la culture en général en Haïti ? Ouf !!! Des projets, j’en ai plein : Dansepyenu, Danser les villes, Solid@nse. Une vraie compagnie avec de vrais moyens sur 10 ans. Nos bons danseurs partiraient pour se former, faire d’autres expériences. Mais ils auraient un lieu, un boulot, de beaux projets qui les attendent s’ils souhaitent revenir. Je souhaiterais trouver des partenaires, amants de la danse qui nous permettraient d’inscrire nos projets de formation, de création et de diffusion dans la durée. Je ne parle pas de sponsors qui s’intéressent à l’événementiel qui ne laisse rien de concret en réalité pour le secteur d’activité en fin de compte. Pourquoi les jeunes formés grâce au projet Dansepyenu ou dans les autres écoles de danse en Haïti doivent abandonner la danse ou le pays une fois qu’ils atteignent une certaine maturité ? Pourquoi tout arrêter juste au moment qu’ils sont prêts pour danser ? Pourquoi un visa, ou plus précisément le visa américain est encore considéré comme un prix d’excellence, comme des études supérieures, un doctorat ? L’aboutissement d’un rêve, malgré les problèmes et les nouvelles restrictions liées à l’immigration à travers le monde. Nous sommes conscients que les problèmes socio-économiques et les conflits politiques affectent tous les secteurs du pays, plus particulièrement les artistes. La danse n’en parle pas ! Comment convaincre les bailleurs, les partenaires, les amis d’Haïti que la danse est un domaine qu’il ne faudrait pas négliger. La danse est un outil utile dans l’éducation. La danse peut être un outil de développement extrêmement utile. L’éducation par la danse. Entrez dans la danse, mettez-y des fonds. Investissez dans les jeunes talents. Impossible de penser l’épanouissement du secteur sans investissement direct dans le domaine, sans investissement direct dans les danseurs (pratiquants). Si on n’y met pas de l’argent, ça n’ira jamais plus loin que la belle petite danse pour grand-mère... "bravo ! bravo !". Nos bons danseurs, ceux qui ont du talent, ceux qui ont envie de danser, continueront à s’exiler, à la recherche de l’Eldorado. D’un bien-être qui n’est pas toujours évident. Parce que quand on a 30 ans en Haïti, on peut croire facilement qu’on en a 15. La réalité en Occident qui nous fait tous rêver est différente. 30 ans n’est pas égal à 15 ! J’espère que dans 20 à 30 ans, un autre Jeanguy Saintus n’aura pas à répéter les mêmes choses.