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Le Nouvelliste

Ile de plastique

Jan. 31, 2020, midnight

Isla de plastico (Ile de plastique) est un documentaire qui mérite la plus large diffusion tant en Haïti qu'en République dominicaine. Utilisant avec talent le choc des images, ce film est un cri d'alarme face à l'envahissement sans cesse croissant de l'île par les déchets plastiques qui mettent des centaines d'années avant de disparaître et contaminent la chaine alimentaire. Le réalisateur José Maria Cabral et l'actrice Nashla Bogaert, deux brillants espoirs du cinéma dominicain, sont à l'origine de ce projet. Impressionnés par le déferlement d'une immense marée de détritus, pour l'essentiel du plastique, sur le littoral de Saint-Domingue en juillet 2018, ils décidèrent d'enquêter, caméra au poing, sur l'ampleur du phénomène, en République dominicaine mais aussi en Haïti. Durant cinq semaines, ils ont sillonné l'île, ses plages, ses cours d'eau, ses mangroves et ses dépôts d'ordures. Ils ont interrogé des experts, des défenseurs de l'environnement, des représentants de l'industrie du plastique, des responsables politiques et des recycleurs informels, ceux que l'on appelle à Saint-Domingue les buzos (plongeurs), car ils se précipitent, le visage masqué sur les cargaisons que déversent les bennes à ordure. « Lorsque nous avons décidé de faire ce documentaire, nous n'avions aucune idée de la taille du monstre que nous allions affronter », expliquait Nashla Bogaert lors de la sortie du documentaire en salles, à la fin de l'année dernière. « Le choc a été rude », confirmait José Maria Cabral. « Les plages, les rivières et même les zones protégées et les parcs nationaux sont remplis de plastiques ». Est-ce la conséquence du succès de ce documentaire et le début d'une prise de conscience qu'appellent de leurs vœux le réalisateur et la jeune actrice-productrice ? Une vingtaine d'entreprises dominicaines produisant et utilisant le plastique vient d'annoncer la création d'une alliance dénommée NUVI afin de réduire et de recycler les résidus plastiques. « D'ici quelques années, les résidus solides ne seront plus un problème mais une opportunité qui permettra de créer des milliers de nouveaux emplois et de réduire les besoins de devises pour importer de la matière première », a promis Celso Juan Marranzini, le président de l'Association des Industries de la République dominicaine (AIRD), partie prenante de l'alliance NUVI avec l'appui de la Banque interaméricaine de développement (BID). Interviewée pour le documentaire, la vice-présidente exécutive de l'AIRD, Circé Almanzar, tentait pourtant il y a encore quelques mois de minimiser l'ampleur du problème, appelant les deux cinéastes à ne pas se montrer « fondamentalistes ». A la différence d'Haïti, la République dominicaine n'a toujours pas interdit les produits plastiques à usage unique et en polystyrène expansé (styromousse). Interrogée par José Maria Cabral qui a repéré plusieurs emballages en styromousse venant de République dominicaine dans des décharges haïtiennes, la porte-parole de l'AIRD rétorquait cyniquement que ces exportations sauvages favorisaient la production nationale (dominicaine). L'embarras d'un député peinant à expliquer pourquoi l'adoption de la loi dominicaine sur les résidus solides avait été retardée et pourquoi elle avait été amputée illustre, mieux que de grands discours, la corruption et la connivence monnayée entre les industriels du secteur et les législateurs. Débarrassés des préjugés qui marquent encore trop souvent les relations bilatérales entre Haïti et la République dominicaine, les deux cinéastes montrent à quel point la menace du plastique, tout comme l'urgence environnementale et climatique ou les épidémies, sont des problématiques qui doivent être abordés au niveau de l'île tout entière.  En attendant les changements législatifs et technologiques qui pourraient permettre d'endiguer le tsunami de plastique, des solutions existent, qui requièrent de nouveaux comportements et une prise de conscience en commençant par l'éducation des plus jeunes. Lueur d'espoir et valeur de l'exemple : le documentaire nous emmène dans la petite communauté de Las Placetas, près de San José de las Matas, au centre de la République dominicaine. Depuis plusieurs années les habitants de cette communauté ont entrepris de recycler tous leurs déchets et obtenu la qualification « zéro ordure ». Jean-Michel Caroit