Le Nouvelliste
Quand le secteur privé a des ambitions pour l’agriculture, entretien avec Patrick Bonnefil
Jan. 23, 2020, midnight
Le Nouvelliste : Pouvez-vous nous présenter brièvement le projet de la RB Ferme La Chapelle ? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : La banane est le fruit frais le plus exporté au monde, tant en volume qu'en valeur (plus de 7 milliards de dollars US par an). En Haïti, la banane est largement cultivée par les petits agriculteurs. Pour des milliers de ménages ruraux de la région du Nord, la filière banane demeure une source importante en nutrition, en revenu et emploi. La plupart des bananes sont produites sur de petites parcelles de 0,5 hectare. Le développement de la production intensive de bananes, en particulier dans les plantations de monoculture à grande échelle dédiées à l'exportation et au marché local en Haïti, fait face à un certain nombre de défis. D’où la vision de Reynold Bonnefil. Nous sommes un investisseur privé haïtien, associé à de petits producteurs, pour établir une ferme moderne (Ferme RB La Chapelle) et mécanisée, capable de développer l'emballage de bananes et leur expédition en Haïti. Le projet proposé couvrira plus de 1000 hectares de terres irriguées au cours des cinq premières années. Une première phase pilote est déjà lancée sur une cinquantaine d'hectares. Avec le soutien technique du Costa Rica et de la République dominicaine, nous avons installé des équipements modernes pour l'irrigation, pour la récolte et l'emballage des bananes pour le marché local et pour l'exportation. Le projet vise à développer des plantations à l'échelle commerciale comprenant des investisseurs privés, petits/moyens producteurs et des emballeurs/expéditeurs. Le projet produit des bananes de haute qualité grâce à l'introduction de nouvelles substances végétales à haut rendement et résistantes aux corps nuisibles et aux maladies. Le Nouvelliste : Le projet existe depuis combien de temps ? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : Le projet a 2 ans 3 mois d'existence, il a débuté en 2017. Le Nouvelliste : Quelle est l'implication de la population locale dans le projet ? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : Le projet proposé contribuera à la durabilité environnementale et sociale de la production de bananes en favorisant l'adoption de bonnes pratiques agricoles. Étant donné que le projet comprend des certifications pour le commerce équitable, il sera conforme aux normes sociales en promouvant le développement socio-économique des agriculteurs et des travailleurs, en préservant les ressources naturelles ainsi que la biodiversité. Le projet favorisera la croissance économique en soutenant le développement de petites et moyennes exploitations commerciales, l'innovation par le transfert de technologie et la création d'emplois. L’Association des Planteurs de La Ferme de La Chapelle (APFL) y joue un rôle intégral. Dans le cadre du partenariat, un don de terre a été fait pour la construction d’un centre de santé communautaire et d’un tribunal. Le Nouvelliste : Vous produisez seulement de la banane ? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : Nous produisons essentiellement la figue-banane (culture dominante), la mangue, l'avocat, « lam veritab », du nom scientifique artucarpus, et le sorgho/petit mil, nous produisons du miel à base de moringa également. Le Nouvelliste : Est-ce des cultures bio ? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : Dans un premier temps, nous avons pensé à la production organique de figue banane, tenant compte des dégâts causés par la cercosporiose noire, couramment appelée sigatoka noire ; nous sommes contraints de recourir au conventionnel. Par contre, nous ne faisons usage d’aucun produit toxique, nuisible à l'environnement comme le glyphosatre par exemple. Nous n'utilisons que des fertilisants et des pesticides organiques pour combattre la sigatoka. Nous donnons aussi à des travailleurs la possibilité d'éliminer la contamination des eaux de surface et souterraines pour une production en harmonie avec la nature. Le Nouvelliste : Avez-vous reçu des supports de l'Etat ou d'autres institutions ? Si oui, sous quelles formes? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : Nous recevons le support de l'USAID en : - plantules de qualité - Infrastructure pour l'irrigation et la récolte - Equipements pour notre centre de conditionnement et d'emballage moderne, le seul centre du genre dans les Caraïbes. Tout ceci à travers leur projet d’« Appui à la Valorisation du Potentiel Agricole Nord pour la Sécurité Économique et Environnementale » (AVANSE). Cette collaboration nous a donné droit à une visite de Marc Green, administrateur en chef de la USAID, car la ferme RB La Chapelle figure parmi les Top 8 projets d’envergure de cette organisation. De plus, nous avons établi une étroite collaboration avec les autorités locales, dont la mairie de Limonade. Nous avons investi plus de 200 000 USD dans le renforcement des bordures de la Grande-Rivière du Nord qui inondait régulièrement toute la communauté du bord de mer de Limonade dont la dernière inondation est datée du 17 septembre 2017 suite au passage du cyclone Maria. Le Nouvelliste : Vous produisez pour quel marché ? La consommation locale ou l'exportation ? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : Nous produisons pour la consommation locale et l'exportation à travers des systèmes de certification tels que Global Gap, pour le commerce équitable. L'objectif est d’exporter vers l'Europe d'ici les 6 prochains mois. Le Nouvelliste : On parle toujours de blocage de toutes sortes pour les projets dans l'agriculture, est-ce les cas pour vous ? Si oui à quel niveau ? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : Tout projet est confronté à ses propres challenges. Les blocages qui nous ont le plus touchés sont dus récemment à la situation sociopolitique du pays. Les turbulences de 2018 et 2019 ont entraîné des pertes directes de plus de 150 000 USD à cause de l'immobilisation des conteneurs destinés à l'exportation, au manque de carburant et aux retards dans la production. Par contre, nous sommes en train de mettre en œuvre tout un plan de redressement pour remédier à la situation. Nous sommes activement à la recherche de nouveaux investisseurs au niveau du secteur privé et du soutien d'autres institutions internationales, tel la IFC qui s'intéresse à de nouvelles initiatives de développement en Haïti par le secteur privé. Nous avons établi des bases solides pour que ce projet puisse croître et arriver à exporter vers l'étranger. Mais il y a encore beaucoup à faire, et l'appui d'investisseurs et d'acteurs nouveaux serait très important pour réaliser le vrai potentiel de ce projet. Le Nouvelliste : Quelles sont les prochaines étapes du projet ? Patrick Bonnefil/G. Ovidio Rojas : Nous envisageons, dans une seconde phase, d’étendre la production de bananes sur 60 hectares et de développer un réseau d’énergies renouvelables pour les besoins de la ferme et ceux de la communauté du bord de mer de Limonade. Propos recueillis par Frantz Duval et Jose Flécher