Le Nouvelliste
Le dialogue et Jovenel Moïse, une série de rendez-vous manqués
Sept. 25, 2019, midnight
Alors qu’il jouissait encore à ce moment-là d’un pouvoir de convocation acceptable pour un chef d’Etat, Jovenel Moïse avait, créé le 28 mars 2018, les Etats généraux sectoriels avec pour mission de « créer les conditions pour rendre possibles des changements majeurs dans divers domaines couvrant les quatre grands secteurs d’activités : politique, économique, social et culturel… » Le comité de pilotage et d’organisation des Etats généraux sectoriels de la nation étaient composés au départ des personnalités importantes comme Monseigneur Louis Kébreau, Jean Claude Desgranges, les anciens Premiers ministres Jacques Edouard Alexis, Michèle Duvivier Pierre-Louis, Evans Paul, Rony Alexy Desroches, Amary Joseph Noël, Claude Moïse, Paul Gustave Magloire, Frantz Bernard Craan, entre autres. Très vite, il y aura des démissions et des défections au sein de cette structure présidentielle. Les personnalités les plus crédibles s’en éloigneront. « Les Etats généraux sectoriels de la nation sont conçus comme un espace de dialogue entre toutes les filles et tous les fils de ce pays », avait discouru le chef de l’État en présence de son Premier ministre, du président du pouvoir judiciaire, des présidents des deux branches du Parlement, entre autres. Il était question pour l’ensemble de la collectivité de repenser le cadre de notre existence collective et de faire émerger de leurs discussions un nouveau modèle qui doit inspirer le Pacte pour la stabilité et le progrès économique et social. Sans prendre en considération les travaux des Etats généraux sectoriels qui ont coûté au pays plus de 47 millions de gourdes, le chef de l’Etat a, un an après soit le 21 février 2019, créé le Comité de facilitation du dialogue interhaïtien. Un autre nom, une autre structure, mais la même mission. Faciliter le dialogue. L’arrêté créant le Comité de facilitation du dialogue national interhaïtien a été publié le jeudi 21 février dans le journal officiel Le Moniteur. Selon l’arrêté, ce comité a pour mandat de « définir le cadre méthodologique approprié devant faciliter le déroulement des discussions, recommander toutes mesures favorisant la création de conditions favorables à la réalisation du dialogue interhaïtien ». Il devra « mettre en œuvre toute stratégie garantissant la réalisation d’un dialogue national interhaïtien franc et sincère, soucieux des intérêts supérieurs de la nation, dans un esprit de concorde et de paix, en vue de retrouver des solutions durables aux problèmes majeurs qui freinent le développement économique du pays depuis plusieurs décennies, suivant les termes de référence définis par la présidence.» Le Comité de facilitation du dialogue interhaïtien était formé au départ de sept personnalités pour la plupart inconnues du grand public. Il s’agit de Kettely Julien, Charles Suffrard, Marie-Carmel Mentor, Carlo Joseph, Dorothie Sénatus, Marie Michele Sylvie Rameau et Rudolf Dérose. Là encore, il y a très vite des défections. Dès le départ, le chef de l’Etat avait minimisé ou négligé cette structure qui a eu toutes les peines du monde à faire son travail faute de moyens économiques et matériels. Après des mois de rencontres à Port-au-Prince et dans plusieurs villes de province, ce comité a soumis son rapport et ses recommandations au chef de l’Etat. Les travaux des Etats généraux sectoriels et ceux du Comité de facilitation du dialogue sont dans les tiroirs du président de la République. Ils n’ont jamais été rendus publics par le palais national. Entre-temps, le chef de l’Etat avait aussi sollicité la plateforme "Religions pour la Paix Haïti'' pour être l’un des facilitateurs du dialogue interhaïtien. Cette organisation interreligieuse avait repoussé la demande de Jovenel Moïse. Après avoir échoué avec les Etats généraux sectoriels et le Comité de facilitation du dialogue, après avoir aussi lui-même échoué à initier ce dialogue entre tous les acteurs de la société, Jovenel Moïse a mandaté son Premier ministre d’alors, Jean-Henry Céant, homme politique très connu, ancien candidat à la présidence, notaire, de mettre tous les acteurs de la société sur la table du dialogue. A la suite des mouvements violents de protestation à Port-au-Prince et un peu partout à travers le pays après le 18 novembre 2018 et face à son manque de pouvoir de convocation, le chef de l’Etat avait dans une adresse à la nation mandaté son Premier ministre Jean-Henry Céant pour mener le dialogue afin de trouver une solution consensuelle à la grave crise politique. « J’ai demandé au Premier ministre de rencontrer des gens dans tous les secteurs et de toutes les tendances… », avait-il exigé. Après deux mois de rencontres, de discussions et de négociations avec les acteurs politiques et des acteurs de la société civile en général, Céant a fait salle comble au Convention Center de la BRH pour le lancement officiel du dialogue autour du Pacte de gouvernabilité. Cela devrait être un moment de gloire pour le Premier ministre. Mais c’était sans compter sur les caprices d’un chef de l’Etat qui déteste qu’on lui fasse de l’ombre. Alors que Jean-Henry Céant s'était targué d'avoir rencontré tout le monde, puisque des leaders politiques, membres de la société civile, officiels du gouvernement, l’ex-chef de l’Etat Boniface Alexandre, des anciens Premier ministres, parlementaires, figures de la communauté internationale, personnalités de tout secteur étaient là, le chef de l’Etat estimait qu’il y a des gens importants au processus de dialogue qui ne sont pas dans la salle. Le locataire du palais national avait donc demandé au chef du gouvernement d'aller convaincre les absents. Une déception suprême pour Jean-Henry Céant qui n’oubliera jamais ce mardi 22 janvier 2019. Depuis, tout est parti en vrille entre lui et Jovenel Moïse jusqu’à son renvoi le 18 mars par la majorité qui supporte les actions du président. Ce que Jean-Henry Céant ne savait pas, parallèlement à cette mission de dialogue que lui avait confiée le président, Jovenel Moïse avait en secret confié la même mission à Gabriel Fortuné, le maire des cayes, proche du chef de l’Etat. Après toutes ces initiatives manquées, aujourd’hui encore le président de la République se retrouve une fois de plus à appeler les acteurs politiques au dialogue. Sauf qu’aujourd’hui, il perd pratiquement tout pouvoir de convocation. L’opposition politique ne jure que par son départ du pouvoir. Sa dernière adresse à la nation le mercredi 25 septembre 2019 n’a fait qu’attiser les tensions à Port-au-Prince et dans certaines villes de province qui ont connu une nouvelle journée de violence et de paralysie totale des activités commerciales, des transports en commun, scolaires…