Le Nouvelliste
L’éducation, un bien collectif
Sept. 11, 2020, midnight
Je suis enseignant de carrière. Et pour paraphraser Darline Desca, je le suis “dans l’âme et dans le sang”. J’enseigne à l’université depuis 1995. Dans le public comme dans le privé, les salaires, conditions de travail et traitements aussi bien dans le primaire, le secondaire et l’enseignement professionnel et supérieur sont loin d’être à la hauteur de la valeur du travail à fournir et souvent fourni. Les revendications des enseignants du secteur public de l’éducation sont donc compréhensibles. Cependant, il y a lieu de s’interroger sur le timing de la grève lancée le 10 août dernier à la reprise des activités scolaires d’une année scolaire 2019-2020 difficile, véritablement lancée en décembre 2019 soit avec 3 mois de retard et de nouveau interrompue le 20 mars 2020 suite à l’état d’urgence sanitaire décrété sur tout le territoire par le gouvernement en raison de la présence du virus Covid19. Les syndicats croient sans doute le moment parfait pour la négociation estimant sans doute le besoin du ministère de l’éducation nationale de boucler l’année scolaire comme une faiblesse à exploiter pour obtenir gain de cause à des revendications infructueuses depuis des années. Le ministère lui joue la corde raide et cherche à présenter les enseignants comme des insensibles, des anti nationaux, des mesquins surtout qu’eux contrairement à ceux du privé ont été payés durant tous les moments d’arrêts des activités scolaires. Le ministère cherche aussi à casser le mouvement par des transferts de professeurs syndiqués, des sanctions aux leaders, la division entre autres. Ce sont des pratiques qui, dans le passé, ont donné la paix pour un temps à leurs initiateurs. La tentation de sortir les vieilles recettes est sans doute naturelle. Les élèves se retrouvent pris au milieu de cette guerre et en font les frais. Les attaques subies par des écoles du privé sont le résultat d’une frustration. Quelle société sommes-nous en train de construire si dès l’école nos enfants réalisent que la violence est la seule forme d’expression pour faire entendre leurs revendications et faire savoir qu’ils existent? C’est très dangereux. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Cela ne peut plus continuer. Enseigner est un sacerdoce. Si on n’aime pas ce travail, si on ne l’a pas dans l’âme et dans le sang, il est difficile d’exercer le métier d’enseignant tant la rémunération, les avantages sociaux sont en dessous du minimum requis. Les professeurs qui ont la vocation du métier se retrouvent ainsi avec le dilemme du cœur et de la raison. La raison incitera sans doute à rester en grève alors que le cœur devrait leur dire d’ aider de préférence les élèves à boucler cette année scolaire déjà si lourde de conséquences sur leur futur. Je ne suis pas dans la situation de ces enseignants du secteur public de l’enseignement primaire et secondaire. Je ne peux leur dire quoi faire mais mon âme d’enseignant me dit que les élèves méritent de terminer l’année scolaire. Le pouvoir en place n’a pas la pratique de l’écoute attentive, du dialogue, du compromis. Grèves, manifestations , locks de 10 jours et même de plus de 60 jours ne l’ont pas fait changer de vision, d’approche et de comportement. C’est un pouvoir sourd et insensible, qui donne l’impression d’être plus soucieux de la conservation du pouvoir que de tout autre chose. Je continue malgré tout d’espérer que les responsables du ministère choisiront l’option de l’écoute et de la négociation en lieu et place de la ruse, de l’intimidation de la répression ou de la corruption. La stratégie de la corde raide de chacun est compréhensible dans une logique égoïste et partisane mais tout irait mieux si chacune des parties acceptait de faire un pas vers l’autre sachant que dans le raidissement tout le monde (ministre, ministère, syndicats, syndicalistes, enseignants, professeurs, élèves, la société, le pays) risque de perdre au final. L’éducation est la base de tout. La nation se construit par l’éducation. Elle ne peut ainsi être prise en otage par aucune des parties prenantes. Il est temps d’agir en conséquence. Les parents des élèves des écoles publiques devraient dans tout le pays se montrer avec leurs enfants en uniforme. Des organisations de la société civile devraient aussi monter au créneau pour les accompagner et inciter les parties à une sortie de crise négociée. Des enfants non éduqués ou mal éduqués constitueront une menace pour toute la société. Claude-Bernard Célestin 11 septembre 2020