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Le Nouvelliste

Radiographie d’une PNH anémiée

Aug. 19, 2020, midnight

« La police n’est pas efficace. C’est une vérité », concède tout de go un policier désabusé avec plus de 20 ans au compteur : il ne se voile pas la face. En confession pour le journal début août, deux jours après le désaveu en direct à la télé du DG a.i de la PNH Rameau Normil par le Premier ministre Joseph Jouthe qui veut des résultats et de l’efficacité, il admet que rien ne va plus au sein de l’institution. « La PNH n’a pas les moyens pour être efficace », s’empresse de préciser ce policier, sans faire l’économie d’un « regret » exprimé sur le ton de condamnation du PM, chef du CSPN.  « Le Premier ministre fait le constat d’inefficacité  pour critiquer. Il n’agit pas sur les causes de cette inefficacité », tranche ce policier avant d’égrener comme des évidences les carences aux conséquences certaines sur l’efficacité de la PNH. « Les causes de l’inefficacité de la PNH sont connues de tous. Le maigre salaire mensuel des policiers est souvent versé après plusieurs jours de retard. Les policiers peinent à arrondir leurs fins de mois. Quand ils tombent malades ou se blessent pendant leur service, c’est la galère. C’est la croix et la bannière pour recevoir des soins. Les prestataires de soins refusent d’accepter la carte de l’Ofatma qui est pire que GPS, la précédente compagnie publique d’assurances », balance le policier. Rencontré au commissariat de Port-au-Prince, un agent 1 déballe. « Je gagne 19 000 gourdes de salaire net. J’ai reçu le salaire de juillet le 10 août, 40 jours après le début du mois», peste-t-il, outré que son salaire représente moins que 200 dollars américains. « Je gagne en réalité moins que 5 dollars par jour. N’était les 10 000 gourdes de la carte de débit, « ti kat la », que l’on ne donne pas sur une base régulière non plus, je ne sais pas ce que je ferais », poursuit-il, peignant le policier comme un « abandonné » de la fonction publique. « Le policier confectionne son uniforme. Récemment j’ai dû acheter une paire de bottes sur Amazon. Elle m’a coûté 59 dollars. Cela a fait un trou dans mon petit budget », dit-il avant d’évoquer un autre exemple de la cassure entre la hiérarchie et les policiers en termes de dotation d’équipements et de matériel. « J’ai reçu 30 cartouches en 2013, lorsqu’on a changé les armes de service », poursuit ce policier. « Aucune autre dotation en munitions depuis sept ans. Cela veut tout dire »,  estime-t-il.  Dilemme des chefs… Par rapport à ces problèmes qui affectent le moral des troupes et leurs rendements, les responsables des commissariats peinent à appliquer systématiquement le règlement de discipline générale. « Moralement, je ne peux pas faire appliquer le règlement de discipline quand le policier manque à l’appel et indique qu’il n’a pas les moyens de payer la lessive ou de payer les frais de transport pour venir travailler », confie un responsable d’un commissariat interrogé par le journal. « Il y a des policiers, désabusés, démotivés, qui font d’autres petits boulots de sécurité ici et là », reconnait-il, soulignant que le commissaire de police, malgré ses responsabilités, touche un peu plus de 40 000 gourdes de salaire net. « Je n’ose pas la conversion en dollars », a-t-il lâché dans un sourire gêné. Les hommes en uniforme sévèrement touchés par la crise et démotivés ne sont pas les seules causes de l’inefficacité de la PNH qui a un budget pour cet exercice de 10.9 milliards de gourdes, dont 8.9 milliards sont allouées à « des dépenses de personnel ».  Manque de véhicules et d’armes… « Il y a un manque cruel de véhicules, de casques, de gilets pare-balle. Au niveau de la juridiction de Port-au-Prince, la capitale, autour d’un demi-million d’habitants,  il y a 30 véhicules, trois brigades d’intervention (BI) dont un est assigné en permanence à Savane Pistache. Le commissariat n’a pas reçu de blindé. Mais les responsables ont bricolé deux véhicules avec un blindage artisanal pour les interventions à haut risque », explique un autre policier frustré. « Quand l’allocation de carburant arrive en retard, comment peut-on être présent dans les rues pour assurer le premier degré de force ? Cela, on ne peut le crier sur tous les toits. Mais tout ça joue dans l’efficacité des troupes », soupire-t-il. Le directeur général lui-même reconnaît que les véhicules de la police ne sont pas en état d'assurer une poursuite. Il sont des petites cylindrées. La PNH est plutôt « affaiblie »… Pour l’inspecteur Jean Elder Lundi du syndicat de la PNH, ce qui s’est passé au Palais national entre le Premier ministre Joseph Jouthe et le directeur général Rameau Normil n’a aucune importance. « Beaucoup de policiers pensent que c’est une bataille entre copains », dit-il, soulignant que le Premier ministre Joseph Jouthe, en tant que chef du CSPN, est le premier à blâmer pour les problèmes d’inefficacité de la PNH. Il devrait s’adresser lui-même les critiques faites au directeur général, « qui est comme lui un élément du système », estime ce responsable du SPNH. L’inspecteur Jean Elder Lundi  pose autrement les problèmes de la PNH. « La PNH est une institution qui a été affaiblie », insiste-t-il, évoquant lui aussi les salaires de misère, les difficultés des policiers à trouver des soins médicaux, à avoir des équipements pour faire leur travail dans une institution où rien n’arrive jamais à temps. Sans mettre une sourdine à ses critiques contre Rameau Normil qu’il accuse de persécuter les membres du syndicat, l’inspecteur Jean Elder Lundi soutient « que la PNH est trop politisée. Cela empêche le DG, qui est un technicien, de faire son travail ». « Qui a fait la commande de ces blindés qui ne répondent pas aux normes ? », se demande l’inspecteur, appelant à ce que « les responsabilités soient fixées ».  L’affaiblissement institutionnel, un choix… Le protecteur du citoyen et de la citoyenne, Me Renan Hédouville, a qualifié de « très regrettables » les échanges survenus au Palais national entre le Premier ministre et le directeur général de la police. « C’est très regrettable. Les mots employés par le PM sont mal venus dans ce contexte », estime le responsable de l’OPC, qui exprime des préoccupations. « Loin de renforcer la PNH, cela va l’affaiblir davantage », indique Me Renan Hédouville avant de décocher une flèche. « Aucune institution ne dispose de moyens pour remplir sa mission. Le pouvoir central ne s’intéresse pas beaucoup au renforcement institutionnel », dit-il au journal. La police fait face à beaucoup de difficultés. Les conditions de travail sont extrêmement précaires, confie lui aussi Pierre Espérance, responsable du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). « Les policiers n’ont pas d’uniforme, pas de gilet pare-balle, pas de bottes, pas de véhicules de patrouille adéquats. La police n’est pas équipée. Depuis environ quatre ans, il n’y a pas d’investissements pour la police. Les autorités investissent beaucoup plus dans les bandits, dans les gangs », affirme Pierre Espérance. Plaidoyer pour l’octroi de moyens à la PNH et à la CNDDR Les  Etats-Unis ont observé que la PNH continuent à faire face à des pressions opérationnelles croissantes et à des contraintes d’ordre budgétaire. Les Nations unies aussi ont rejoint le train du plaidoyer. « Nous voudrions également rappeler au gouvernement l’importance de doter la Police nationale d’Haïti (PNH) et la Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR) de moyens financiers et logistiques adéquats, dans le cadre d’un processus transparent des marchés publics, pour bien remplir leurs missions respectives, et nous encourageons les partenaires internationaux à continuer leur appui à ces institutions clés pour l’État de droit en Haïti », a indiqué la mission des Nations unies, vivement préoccupée « face à la recrudescence de l’insécurité sur l’étendue du territoire national et en particulier dans les quartiers populaires marginalisés de la zone métropolitaine, où des affrontements entre gangs armés ont récemment occasionné d’importantes pertes de vie. « La population des quartiers contrôlés par des bandes armées endure un niveau de violence intolérable : entre janvier et juin 2020, le BINUH a documenté qu’au moins 159 personnes ont été tuées et 92 autres blessées, y compris des enfants, en raison de la violence liée aux gangs », a indiqué l’ONU, rappelant  « que ces violations pourraient constituer des crimes internationaux en vertu du droit relatif aux droits de l’homme et constituent également des crimes relevant du droit pénal haïtien ». L’ONU a encouragé l’exécution des actes judiciaires contre des chefs de gangs, dont Jimmy Chérizier, alias « Barbecue », visé par un mandat émis en février 2019 pour son implication présumée dans les attaques de Grand-Ravine, en novembre 2017. La CNDDR n’est pas mieux lotie Le budget de 105 millions de gourdes de la Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR) n’est pas approuvé jusqu’à nos jours. La réinsertion ne se fait pas qu’avec des paroles, a confié une source proche de la CNDDR. Inquiète, cette source souligne des conditions de plus en plus en favorables à l’armement des jeunes dans les quartiers. « Avant, les politiques et des ONG s’adressaient à des jeunes leaders dans ces communautés. Maintenant, ces leaders sont remplacés par des chefs de gang », explique cette source. Plus loin, elle a qualifié de démagogie l’attaque du PM Joseph Jouthe contre le directeur général de la PNH, Rameau Normil. « Normil Rameau fait un bon travail », dit-il, sans rentrer dans les détails. Les informations sur les personnes impliquées dans le trafic d’armes et de munitions ont été remises depuis plusieurs mois aux autorités, explique cette source, soulignant que les armes se retrouvent dans tous les camps, ceux d’anciens présidents, de sénateurs et autres parlementaires. Les engagements du Premier ministre Joseph Jouthe « Le gouvernement est très conscient que la PNH et la CNDDR ont beaucoup de manques qui doivent être comblés. Ces besoins seront en grande partie adressés dans le budget 2020-2021 en préparation », a confié au journal le Premier ministre Joseph Jouthe. « Nous sommes en train de faire les prospections et les études nécessaires pour bâtir le budget d'investissement de la PNH qui sera pris en compte sur le FIOP du ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP). Nous sommes également en train de prendre des mesures pour considérer le budget de fonctionnement comme incompressible. La sécurité étant un bien commun urgent, on ne peut pas faire l'économie de le considérer en tant qu' "urgence" », explique le chef du CSPN, Joseph Jouthe. Il a souligné que le gouvernement travaille « également pour ouvrir l'hôpital de la PNH », sur « une meilleure assurance pour chaque policier et 5 de ses dépendants ». « Nous sommes conscients que les salaires des policiers et des policières ne répondent plus à leurs besoins vu l'inflation, les coûts des produits de première nécessité et la décote de la gourde », dit le Premier ministre Joseph Jouthe, soulignant que « le gouvernement est aussi alarmé » par l’amenuisement au fil des jours du pouvoir d’achat des employés de l’administration, du secteur privé, des ouvriers de la sous-traitance. Pour la CNDDR, le Premier ministre Joseph Jouthe a confié avoir « demandé à la CNDDR de préparer son budget ». « Je l'ai reçu la semaine dernière et le MEF a été déjà instruit pour faire le suivi », indique le chef du gouvernement, qui annonce un audit à la PNH. Sur la transparence dans les passations de marchés évoqués par le BINUH, le Premier ministre Jouthe a confié qu’il ne « voit pas vraiment ce que la BINUH veut insinuer ».  « Mais nous sommes conscients que la façon dont les autorités de la PNH/DAP procèdent pour donner à manger aux policiers n'est pas tout à fait transparente. C'est pourquoi nous avons instruit le MEF qui a dépêché la direction concernée pour conduire un audit de la PNH en vue de remédier à la situation », révèle le chef du gouvernement. Roberson Alphonse