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Le Nouvelliste

Mamoune Régis, morte à 14 ans : un meurtre à complicité sociale ?

July 7, 2020, midnight

Notre pays se transforme en un vaste champ mortuaire. Nous comptons les morts. Même les enfants des rues, qui, en général, ne comptent pas de leur vivant, viennent grossir les statistiques des décès… Une semaine que je suis tétanisé devant mon ordinateur, les mots se taisent devant le cadavre ensanglanté de cette jeune fille de 14 ans. La mort d’un adulte est un drame, celle d’un enfant une catastrophe. Personne ne devrait mourir avant d’avoir vécu. Mamoune Régis a-t-elle eu une vie avant sa mort ? La jeunesse haïtienne est une majorité délaissée en Haïti. La manière dont nous traitons nos enfants explique en partie l’état de délabrement de notre société. Aviez-vous réalisé qu’aucun gouvernement, de Dessalines à Jovenel, n’a jamais appliqué un plan viable et cohérent d’encadrement, d’éducation et de développement de la jeunesse haïtienne ? Qui s’occupait de Mamoune Régis ?  En 1894, dix ans avant de fêter notre centenaire d’indépendance, seulement 8% des jeunes de la République étaient scolarisés. Il nous a fallu un siècle pour atteindre 52% de taux de scolarisation en 1995… À ce rythme, le chiffre de 99,9% de scolarisation, comme à Cuba, ne sera atteint que vers l’an 3000. Mamoune Régis n’allait pas à l’école, à 14 ans. Vous ne vous en souciez pas, moi non plus, d’ailleurs. Encore moins les autorités. Des enfants comme Mamoune meublent le décor de nos villes. Leur présence si attendue, si régulière, si… normale, les a fait disparaitre devant nos yeux, les rendant absents dans nos priorités. De temps en temps, quand ils sont trop insistants, nous leur refilons quelques pièces, pour mieux les éloigner, comme le ruminant chassant des mouches avec sa queue. Ce vigile voulait, lui aussi, éloigner Mamoune de cette rutilante voiture qui ne méritait pas d’être nettoyée. D’ailleurs, lui, c’est son travail de faire place nette, devant ce restaurant…  Il paraît qu’il a fui, le vigile, après son forfait. Il a détalé comme une balle. Maintenant c’est à la compagnie de sécurité qui l’a engagé d’essayer de s’esquiver, selon certains Capois. Ceci sera très vite démenti par le propriétaire du restaurant, qui affirme que le responsable de la compagnie a entrepris des pourparlers avec la « famille » de Mamoune. Une famille posthume ? La compagnie de sécurité affirme, selon Port-au-Prince News, une revue web, que « les négociations sont difficiles car la famille est exigeante ». Combien vaut la vie d’un enfant des rues ? On paie comptant ou par virement ? Est-ce que les proches de Mamoune ont un compte en dollars ? Mais que dit l’Etat haïtien qui a signé et ratifié toutes les conventions relatives aux droits et à la protection des enfants ? Où sont les responsables de l’Institut du Bien-être social et de Recherches (l’IBESR), cette institution dont 90% du budget servent à payer des employés qui sont incapables d’assurer l’autorité de l’État ? Quel rôle devrait jouer la Brigade de protection des mineurs de la PNH, sa mission : prévenir les abus à l’endroit des enfants ? Qui assumera la responsabilité de la mort de Mamoune ? Qui sont les complices ? Personnellement, je me sens pas concerné, et vous ? Merci. Mamoune, en guenilles, sans encadrement, abandonnée, ignorée, méprisée, était celle que nous qualifions de « grapyay ». Ils sont des orphelins, d’anciens « restavèk » fuyant la misère et la violence du foyer naturel ou d’accueil. Les enfants des rues, ce n’est pas un problème mineur.  Si c’est sur les enfants que repose l’avenir de la nation, alors, assiste-t-on au suicide de la société haïtienne ? Si nous échappons à notre jeunesse, qui garantira la viabilité et la pérennité de notre société ? Abandonner nos pauvres est une euthanasie collective… Le décès de Mamoune Régis fait partie de notre agonie commune. On rapporte que deux associations capoises, Association femmes Soleil d'Haïti et Inisyativ Jen Okap, appuyées par l'association Marijan de Port-au-Prince, ont organisé un sit-in pour réclamer justice pour Mamoune, et déposer une gerbe de fleurs devant le restaurant où elle a été assassinée. En Haïti, la valeur de la vie est relative et élastique. Cette partialité de classes, même devant la mort, l'unique égalité dans ce monde, est contradictoire avec le vivre-ensemble et le projet de nation haïtienne.