Le Nouvelliste
Choléra : l’ONU très critiquée par les experts indépendants des Nations unies
May 6, 2020, midnight
Un groupe de 13 experts indépendants des Nations unies ont critiqué vertement l’ONU pour son inaction à rendre justice et à dédommager les victimes du choléra en Haïti. Dans une lettre adressée à son secrétaire général, Antonio Guterres, ils ont relaté que l’ONU n’a jamais versé aucune compensation aux victimes et ses efforts, en matière de secours, très peu financés, sont limités à des projets communautaires symboliques. Trois ans après avoir reconnu sa responsabilité morale dans l’introduction du choléra en Haïti, l’ONU n’a jamais reconnu sa responsabilité juridique. C’est en effet ce qu’ont conclu 13 rapporteurs spéciaux des Nations unies qui ont été invités à analyser la situation des victimes du choléra en Haïti. Le Bureau des avocats internationaux (BAI), International Human Rights Clinic de la Faculté de droit de Harvard et Institute for Justice & Democracy in Haiti (IJDH) leur ont soumis une pétition dans laquelle ils ont condamné le comportement de l’ONU. Dans un contexte où la pandémie de Covid-19 gagne du terrain en Haïti, les experts indépendants ont appelé le secrétaire général de l’ONU à intensifier de toute urgence les efforts pour aider les victimes du choléra, maladie introduite en Haïti en 2010 par les Casques bleus népalais. L’épidémie a fait 800 000 victimes, dont 10 000 morts. « L’importance des secours est encore plus urgente à la lumière de la pandémie de Covid-19 qui pourrait porter doublement atteinte aux victimes de l’épidémie de choléra et à leurs familles », ont déclaré les experts qui, sans langue de bois, ont critiqué l’organisme mondial pour avoir fait des promesses « illusoires » au peuple haïtien. En 2016, l’ONU cherchait 400 millions de dollars sur deux ans pour lutter contre l’épidémie en Haïti. Après trois ans, elle n’a recueilli que 21 millions de dollars et dépensé « un pitoyable » 3 millions de dollars. « Le secrétaire général a refusé de financer le plan par le biais des contributions fixées, ce qui fait qu'il est fort probable que l'ONU ne sera jamais en mesure de respecter ses engagements au titre de la nouvelle stratégie. Le manque de financement – et non les droits des victimes – a déterminé le contenu et la portée de la nouvelle stratégie », a constaté le président de BAI, Me Mario Joseph. Les experts ont également pointé du doigt l’organisme mondial pour avoir mis de côté les victimes dans la conception des recours. L’ONU table sur une assistance communautaire plutôt qu’un soutien direct. « Certaines victimes préfèrent des versements d’argent, une option qui était autrefois sur la table, mais les Nations unies ont écarté cette possibilité apparemment sans mener de consultations ou produire une évaluation de faisabilité détaillée», ont-ils deploré. Selon Me Mario Joseph, unilatéralement, l’ONU a pris la décision d'exclure toute compensation en faveur de projets communautaires. La seule assistance matérielle offerte par l'ONU à ce jour concerne cinq projets d'infrastructure de 150 000 dollars autour de Mirebalais, avec des projets similaires prévus pour le Nord. L'ONU continue de refuser d'établir un mécanisme indépendant pour déterminer les recours appropriés pour les victimes. En agissant ainsi, Me Joseph estime que les Nations unies violent les règles de droit. C’est pourquoi l'homme de loi invite l’État haïtien à demander justice pour les victimes. « Il revient à l’Etat de prendre ses responsabilités. Si nous avons encore des hommes dans ce pays, qu’ils prennent leurs responsabilités », a lancé le défenseur des droits humains. Depuis janvier 2019, le pays n’a recensé aucun cas de choléra à travers le pays. Me Mario Joseph plaide pour la poursuite des efforts visant l’élimination du choléra en investissant dans les infrastructures d’eau, d’assainissement et de santé nécessaires. Le financement des recours pour les victimes du choléra par le biais de contributions fixées, conformément au droit international et aux cadres des Nations unies est non négociable. « Impliquer les victimes dans la conception conjointe des recours et hiérarchiser l'aide qui répond aux besoins, droits et priorités des personnes les plus touchées, y compris l'indemnisation ; établir un processus par lequel les victimes du choléra peuvent demander une indemnisation pour leurs blessures ; garantir la non-récurrence en prenant des mesures immédiates pour corriger la gestion de l'assainissement dans les bases des Nations unies dans le monde », sont entre autres recommandations du BAI et de IJDH. Dans une lettre responsive, le porte-parole du secrétaire général, Stéphane Dujarric, rappelle que l'ONU reste déterminée à aider Haïti et son peuple à bâtir un avenir meilleur. « Depuis son entrée en fonction, le secrétaire général a été fermement engagé à soutenir le peuple haïtien et la lutte contre le choléra. Il réitère les profonds regrets de l’ONU pour les pertes en vie humaine et les souffrances causées par l’épidémie de choléra », a-t-il declaré.