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Le Nouvelliste

Au cœur de Port-au-Prince, dans les soubassements de la barbarie...         

May 6, 2020, midnight

Des affrontements entre « Baz Pilat » et Grand-Ravine, jeudi, ont fait au moins six morts, a appris le journal de plusieurs sources. Le chef du parquet de Port-au-Prince, Me Jacques Lafontant, interrogé samedi par Le Nouvelliste, dit avoir appris du commissaire principal, Serge Barreau, responsable du commissariat de police de la capitale, que « deux individus ont été tués » en lien avec des accrochages à la sortie sud de la capitale haïtienne.    Le porte-parole de la PNH, Michel Ange Louis-Jeune, interrogé par le journal, attend de recueillir les informations pour les communiquer à la presse. Mais lui aussi a entendu parler des incidents.                                            Le journal, entre-temps, a visionné trois extraits de vidéos circulant sur les réseaux sociaux. Dans l’une de ces vidéos, on voit le cadavre d'un homme présenté comme un policier de « Baz Pilat » tué quelque part à la 4e avenue Bolosse par des individus qui, au moment d’exhiber fusils d’assaut et pistolets, se sont présentés comme les « timoun » (poulains) de Izo, de 5 secondes, des chefs de gang à Village-de-Dieu ayant noué des alliances avec d’autres seigneurs de guerre de Grand-Ravine.             La victime, un homme dans la trentaine, a été décapitée et démembrée. Son sexe, sectionné, est présenté comme un trophée. L’un des «timoun», comme dans un film d’horreur, enfonce ses doigts dans le crâne inerte pour arracher l’œil gauche de la victime. « Ils pensent être des criminels. Il y a pire parmi les criminels », crache l’un d’eux, acide à l’égard de « Baz Pilat». Le travelling de l’horreur est maîtrisé. La mise en scène, les champs, mêmes restreints, permettent de voir les sandales à bon marché de ces jeunes, d’écouter des voix ayant laissé la puberté pas plus tard qu’hier.        Sur une autre vidéo, le corps d’un homme présenté « comme un voleur de Grand-Ravine » gît dans la poussière. Décapité, son sexe tranché est enfoncé dans sa bouche. Son foie est posé devant son visage et le reste de son corps est en arrière-plan avec les viscères à l’air. « Ce que vous avez fait à Big n’est rien. Nous allons donner ce corps à nos chiens », entonnent deux voix, celles de deux hommes, qui agissent pour venger « Big ».  Avant ces images, il y en avait d’autres. Celles de corps laissés sur la chaussée, à la 4e avenue, les récits d’autres carnages, l’écho d’autres vies emportées qui ne comptent pas, que l’on ne compte toujours pas.  Pendant la fête des Pâques, ce sont six personnes qui ont été tuées à la Grand-Rue par des bandits armés de Village-de-Dieu. À Cité Plus, quelques jours plus tard, un autre affrontement a fait plus d’une vingtaine de morts, a soutenu Antonal Mortimé du Collectif  Défenseurs Plus, une organisation de défense des droits humains. Jour après jour, c’est toute une circonscription de Port-au-Prince, la 3e avenue Bolosse, peuplée de gangs que l’on a armés, de contentieux vidés que dans le sang, qui continue de glisser dans la barbarie. Des sources interrogées par le journal ce samedi 2 mai décrivent un climat de terreur dans certains quartiers de la 3e circonscription de Port-au-Prince. Le marché de Carrefour Saintus n’a pas fonctionné. Sur la route des Dalles, les habitants des 4e, 2e et 1e avenues vivent avec la peur au ventre. Ils craignent les incursions des hommes de Grand-Ravine, a confié cette source qui raconte le drame de familles contraintes de se réfugier chez des amis par peur d’être tuées. « On ne connaît pas toujours le nombre de tués de ces derniers jours », déplore cette source.      Face à des problèmes complexes, des responsables de la sécurité publique se perdent en invectives, en propos maladroits. L’annonce d’opération de police avec une licence de tuer ceux qui n’auront pas fui Village-de-Dieu du ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Me Lucmane Délile, a provoqué une levée de boucliers de plusieurs organisations de défense des droits humains.   « Je m’adresse aux citoyens. Je pense qu’il y a des gens de bien qui habitent la zone. Ils ont 72 heures pour partir. Tous ceux qui ne font pas partie des gangs, qui ne mènent pas des activités criminelles, ont 72 heures pour partir. Passé ce délai, nous ne serons pas responsables de ce qui pourrait leur arriver éventuellement. L’État a le monopole de la violence légitime. L’Etat va agir. L’inacceptable ne peut pas être défendu. Nous demandons la collaboration de la population car elle sera libérée incessamment », avait déclaré le ministre de la Justice.  Après l'expiration du délai, le ministre de la Justice, Me Lucmane Délile, s'est fendu d'un commnuniqué : « Le ministère de la Justice et de la Sécurité publique prend acte de l'expiration, depuis le lundi 27 avril 2020 à 5 h pm, du délai de 72 heures décidé par le CSPN et communiqué par le titulaire du MJSP aux riverains de Village-de-Dieu leur demandant de quitter le Village afin de donner libre champ aux autorités qui sont appelées à intervenir incessamment pour déloger les bandits armés qui s'y trouvent." « En conséquence, le ministère de la Justice et de la Sécurité publique espère que les citoyens honnêtes ne s'y trouvent plus. Ce qui revient à dire que l'autorité publique peut, à n'importe quel moment de la durée, intervenir dans ledit village pour déloger ces énergumènes qui ne cessent d'endeuiller les familles haïtiennes », lit-on dans ce communiqué. « A bon entendeur, salut ! », a-t-il ajouté. Le Premier ministre Joseph Jouthe, après avoir révélé des contacts téléphoniques fréquents avec tous les bandits du pays y compris de ceux de Village-de-Dieu, a annoncé que le bal était fini. Ces propos du chef du CSPN avaient provoqué une avalanche de critiques. « La population dans son ensemble était révoltée parce que j’ai eu des communications avec des bandits. Mais le bon côté que je peux tirer de ma démarche, c’est que celle-ci m’a permis de recueillir beaucoup d’informations que je me garde de divulguer. Le président de la République m’a conseillé d’avoir de la retenue. Cependant, je veux dire à tous les chefs de gang que le bal est fini [...] À bon entendeur, salut ! », avait-il prévenu. Entre-temps, le sérieux et la rigueur nécessaires dans les réponses attendues à ces problèmes de sécurité publique manquent, au grand dam d’une bonne partie de la population exténuée par les agissements des bandits qui ne se contentent plus de tuer. Ils se muent en réels sociopathes pour mutiler les cadavres et intimider leurs adversaires. Roberson Alphonse