this used to be photo

Le Nouvelliste

Dieu et la chance

June 1, 2020, midnight

La saison cyclonique commence ce lundi 1er juin. On aimerait tous que cette information n’ait qu’une importance toute relative, parce que c’est la même chose chaque année. Que nenni ! L’année 2020 cumule un peu plus de drames pour les Haïtiens comme s’il fallait enlever les derniers cache-misères, faire disparaître les derniers paravents et donner à voir les carcasses d’une nation à bout de souffle et sans perspectives. Depuis le passage de Matthew en 2016, les ouragans, cyclones, dépressions majeures nous ont épargnés, comme pour nous donner un répit parce qu’il n’y a plus rien à dévaster. Cette année 2020, la Covid-19 taillade dans la chair et l’âme du monde ; le chiffres des personnes contaminées explosent ; des secousses ont été ressenties dans la région nord du pays dans la nuit du 30 au 31 mai et les spécialistes prévoient, pour 2020, une saison cyclonique plus active dans le bassin caraïbe. On a raison, sans être fatalistes, de se sentir plus menacés, d’être pétrifiés et paranos. Les emmerdes, ça vole en escadrille, disait Jacques Chirac... Ce n’est pas faux. Il faut nous préparer à toute éventualité et se dire que le pire est devant nous. 2020 est l’année où les contradictions se sont le plus aiguisées dans notre pays. Le premier trimestre de l’année fiscale a donné le ton, une radicalisation charriant toutes sortes de revendications et d’intérêts a mis à l’arrêt des secteurs vitaux et essentiels, comme les écoles. La reprise au mois de janvier a été contrariée deux mois plus tard par la pandémie de coronavirus. L’addition est salée pour la majorité qui assiste à une dévaluation accélérée de la gourde et les conséquences qui viennent avec. Nous avons chacun, chacune, à partir de ce que nous voyons, constatons, entendons, un diagnostic de notre pays. Dans tous les cas il est mauvais. Et les problèmes économiques peuvent sembler secondaires quand on pense à ceux soulevés par cette impossibilité de se parler, de fonder les institutions utiles à la République que nous voulons tous. Chaque journée amène son lot de palabres, de prises de position, d’opinions, de disputes, sans une hiérarchisation sensée des problèmes, sans que personne au fond ne souhaite un règlement, même provisoire, d’un dossier ; et on achève la journée sans avoir rien compris, pour recommencer à faire pareil le lendemain. On aimerait tant entendre ceux qui interviennent dans le débat public expliquer ce qu’il faudrait faire pour que cela aille mieux, et quelles bonnes volontés mutualiser pour le bien commun. Les protestations qui ont émaillé la vie de la République ces deux dernières années sont révélatrices de beaucoup de choses. L’invention de la formule « peyi lòk » a porté beaucoup d’entre nous à réfléchir sur ce qui en fait peut être compris comme un concept et utilisé pour comprendre 216 ans d’histoires chaotiques nous empêchant de nous dépasser et de faire nation. Notre pays a toujours été fermé à toutes formes de compromis, de débats, et enfermé dans le mensonge et le déni. Les solutions les plus adoptées jusqu’ici ont été de détruire ce qui gênait, ce qui n’est pas compris où ce qui ne convient pas à un petit groupe. L’assassinat de Dessalines en 1806 a été en cela un tournant aussi important que la victoire de 1804 elle-même. Il a annoncé, et ce n’est pas peu dire, le début d’une politique ouverte contre les intérêts de la majorité et la normalisation de l’inacceptable. Nous avons cumulé bouffonneries et indignités depuis et dégradé les mémoires. Les 30 ans de règne des Duvalier ont marqué le plus long épisode de « peyi lòk » que nous ayons connu et des profanations en série et systématique du signifié haïtien : la première République noire du monde. De petites guerres en défaites communes, nous avons, dans l’indifférence pour certains, sciemment pour d’autres, dégradé nos lieux de vie, accru nos vulnérabilités et tout confié à Dieu et à la chance. On aura de la chance si les cyclones nous épargnent cette année. Dieu nous protégera aussi... Mais les deux ne suffiront pas pour contrer nos années de fureur destructrice et d’indifférence.