Le Nouvelliste
Le décret sur le bail à usage professionnel : une douche froide pour les preneurs
June 18, 2020, midnight
Le décret sur le bail à usage professionnel : une douche froide pour les preneurs Dans le journal officiel de la République (Le Moniteur) a été publié, le 11 mai 2020, un décret portant sur le Bail à usage professionnel. Au regard de l’un de ses considérants, ce texte vise à « encourager l’investissement productif dans l’immobilier ». D’aucuns diraient que ce décret a un caractère réformateur voire révolutionnaire. Que faut-il y voir ? D’entrée de jeu, il faut dire que les questions préalables de nature constitutionnelle, d’opportunité, de nécessité et même de contexte se posent. Celles-ci sont des axiomes devant guider dans l’édiction d’une norme unilatérale. Il semble que ces préoccupations, à l’adoption du texte en Conseil des ministres sans débats, n’aient pas été considérées. Si les géniteurs du décret jubilent et que les opérateurs immobiliers y voient une grande opportunité, il faut reconnaitre que ce décret qui a force de loi constitue une douche froide pour les preneurs. Loin d’établir l’équilibre bailleur/preneur, ce texte vient plutôt pencher la balance trop du côté des bailleurs. L’augmentation des loyers La législation en vigueur jusqu’avant l’adoption de ce décret avait interdit l’augmentation des loyers même en cas de changement de locataire, ce qui était une opportunité pour le preneur qui réalisait ses activités professionnelles dans un immeuble loué. Aujourd’hui, à la faveur de ce nouveau décret, le preneur peut voir son loyer augmenter sans possibilité de recours. D'aucuns diraient que cette augmentation n’affecterait pas le bail en cours. Mais qu’adviendra-t-il à la fin de ce bail ? Son loyer risquerait de subir une augmentation de plus de 100/100 du montant initial puisque l’augmentation ne va pas prendre en compte le montant du bail initial, mais tiendra compte de la situation des locaux, de la superficie, de l’état de vétusté, du prix des loyers commerciaux couramment pratiqué dans le voisinage pour les locaux similaires Congé de location fictif Si l'on se réfère à loi du 17 mai 1948, le preneur qui bénéficiait d’un bail à durée indéterminée pourrait obtenir un délai raisonnable pour trouver un autre local pour loger son entreprise qui se traduit par un congé de location allant de 3 à 5 ans. Cette même loi déterminait les délais du congé de location en cas de bail civil et de bail commercial. En revanche, le décret de mai 2020 préconise plutôt un délai de préavis d'au moins 6 mois sans préciser si ce préavis devra être validé par le tribunal, autrement dit une simple notification du bailleur manifestant son désir de ne pas renouveler le bail suffit. Après le délai de 6 mois, le preneur devra faire place nette des lieux. Le législateur de 2020 n’a pas reconnu que le preneur bénéficiant d’un bail professionnel est aussi un investisseur qui a besoin de stabilité et d'un délai raisonnable pour plier bagage tout en ayant suffisamment de temps pour déménager et en aviser sa clientèle. Ce décret, de façon subite, est venu ravir aux preneurs la possibilité de planifier son départ et de retrouver en un temps raisonnable un autre local pour loger son entreprise, son bureau. Le législateur de 2020 a remplacé le congé de location par un préavis de congé de 6 mois ; ce qui se traduit à l’article 8, paragraphe 8 « en cas de renouvellement pour une durée indéterminée, la durée du préavis de congé ne peut être inférieure à six mois». La question qu'il convient de se poser est la suivante : qu’arrivera-t-il si le preneur n’accepte pas ce délai en le jugeant insuffisant ? Le décret n'a pas apporté la réponse et n’a même prévu la validation du congé préavis par un tribunal. Déguerpissement ou expulsion expéditif Le législateur de 1948 avait prévu une action en justice pour non-paiement de loyer avant de procéder au déguerpissement du locataire; ce qui aurait permis au juge compétent de vérifier la régularité de la sommation de payer, la qualité du demandeur et de s’assurer que l’immeuble est en règle avec le fisc eu égard au paiement de l’impôt locatif, protégeant ainsi le locataire de l’arbitraire éventuel de son bailleur. Cependant, le législateur de 2020 se passe de cette procédure. Et pour trancher le contentieux des loyers, le bailleur n'a qu'à sommer le preneur en paiement (demande de paiement). Si ce dernier n’obtempère pas dans un délai de huit jours, le bailleur a le droit de requérir le juge de paix. Ce dernier pourrait se faire accompagner de la force publique et des hommes de peines pour expulser le locataire. Au moment de cette exécution, le locataire ne sera pas admis à payer le montant dû car il sera déclaré irrecevable. L’article 9 de ce nouveau décret dispose, et nous citons : « Le non-paiement de loyer pendant deux mois consécutifs entraine de plein droit au bailleur de faire expulser le preneur et ses ayants droit. Dans ce cas, huit jours après une sommation de payer qui demeure vaine sur la réquisition du bailleur, le juge de paix de la localité procèdera à l’expulsion du preneur en se faisant accompagner au besoin des forces de l’ordre et d’hommes de peine». Il s'agit là d'une exécution qui vise à requérir un juge de paix pour un constat. Cette fois-ci, c’est pour expulser un locataire. Est-ce que le juge de paix aura besoin de savoir si le locataire a été touché effectivement de la sommation ? Est-ce que l’huissier instrumentant était compétent ? Est-ce que l’acte est régulier ? Est-ce que le locataire aurait droit de produire une demande de référé ? Qui protègera le locataire d’un éventuel abus du bailleur ? Le preneur est livré à lui-même. Primauté de la loi du plus fort C'est la primauté de la loi du plus fort. Le législateur de 2020, quoiqu'il reconnaisse le droit du preneur à se faire rembourser par le bailleur la réparation par lui effectuée dans la maison louée avec le consentement du bailleur, devra faire place nette des lieux à l’expiration du bail ou du congé préavis. Il ne pourra pas rester dans la maison à titre de compensation par rapport au montant des réparations non remboursées par le bailleur. Que le preneur aille devant les tribunaux pour obtenir un jugement pour se faire payer, pas question de déduire le montant sur les loyers ni rester dans l’immeuble loué à titre de compensation des montants non remboursés ayant servi à la réparation de l’immeuble. Quand le locataire doit deux (2) mois de loyer, il pourrait être expulsé par le Bailleur mais quand ce dernier doit au preneur les montants des réparations et que le bail arrive à expiration, celui-ci est tenu de laisser sans pouvoir exiger le paiement préalable de son dû et qui certainement apporte une valeur ajoutée à l’immeuble selon l'article 8 du décret modifiant l’article 1727-6 « L’obligation de délaisser a l’extinction du bail ou a l’expiration du conge doit être respectée nonobstant le différend amiable ou judiciaire portant sur le montant des aménagements ou constructions.» Le bail à usage professionnel emporte sur le bail à usage d’habitation. Si dans le cours d’un bail d’habitation, le preneur exerce une activité professionnelle quelconque, ce dernier automatiquement perd le statut de bail d’habitation et tombe sur le coup d’un bail à usage professionnel, alors même que le preneur habite la maison avec sa famille. À ce titre, on se demande quel est le sort d’un tailleur qui reçoit chez lui des clients. N’en parlons pas des artisans qui font des sandales, de la broderie et autres objets a la résidence louée et qui y reçoivent ses potentiels acheteurs, voire un petit boutiquier. La résidence est faite pour dormir, certes, pas pour exercer une activité professionnelle, mais quand on connaît la réalité du pays, il fallait mettre un bémol à l’article 3 en y incorporant des exception voir. L'article 3 dudit décret se lit ainsi : «Est réputé bail à usage professionnel, le bail qualifié par les parties de bail à usage d’habitation mais dans le local duquel s’exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale ou professionnelle quelconque». Le décret sur le bail à usage professionnel, s’il a la vertu de venir venger les torts du législateur de 1948 aux bailleurs des baux commerciaux, est loin de rétablir l’équilibre bailleur/preneur. Il vient de préférence donner une douche froide aux preneurs qui en constituent les grands déshérités. Si les bailleurs sont des investisseurs qu’il faudrait encourager, il faut avoir à l’esprit aussi que les preneurs des baux à usage professionnel sont tout aussi des investisseurs, des créateurs d’emplois qui méritent d’être encouragés et protégés. Bailleur/Preneur utilisant le bail à usage professionnel : un arbitrage s’impose au plus vite pour recadrer la balance, ce, dans l'intérêt de la stabilité sociale.