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Le Nouvelliste

Jacky Lumarque : « Notre plus grand ennemi après le coronavirus, c’est nous-mêmes… »

March 27, 2020, midnight

Le tableau peint par le recteur de l’Université Quisqueya sur la situation sanitaire du pays peut faire peur. Cependant, dans cette situation troublante et inquiétante caractérisée par la propagation du coronavirus dans le pays, Jacky Lumarque estime que nous avons des atouts. Dans ses propositions de gestion de la crise, l’universitaire appelle à un dialogue sanitaire, un dialogue social, à faire de la place aux scientifiques du pays et aussi à un rejet de la stigmatisation. Selon lui, dans l’état actuel des choses, « notre plus grand ennemi après le coronavirus, c’est nous-mêmes… » Le coronavirus nous trouve avec un système de santé fragile qui fait face à un problème de financement, d’infrastructures, de ressources humaines et de gouvernance, selon le constat du professeur Jacky Lumarque, qui intervenait vendredi matin à l’émission Panel Magik sur Radio Magik 9. « On doit faire face à cette maladie sans pardon et sans discrimination avec tous ses problèmes », a-t-il dit. En 2014, le pays avait environ 2 600 médecins, aujourd’hui on a peut-être entre 2 800 et 3000, a  indiqué le recteur de l’Université Quisqueya, citant des études réalisées en ce sens.  « Nous avons 150 internistes dans tout le pays, dont 80% sont à Port-au-Prince ; sur les 234 pédiatres dont dispose le pays, 91% sont dans l’Ouest. Il n’y en a pas dans la Grand-Anse ni dans le Nord-Est. Nous avons 30 radiologues dans le tout le pays, 29 sont à Port-au-Prince. 107 chirurgiens, ils sont tous à Port-au-Prince dans le département de l’Ouest. Parmi les 600 obstétriciens-gynécologues du pays, dix sont au Cap-Haïtien, cinq aux Gonaïves, quatre aux Cayes et le reste du pays n’en a pas », telle est la réalité décrite par Jacky Lumarque. « Nous avons six facultés de médecine qui forment entre 300 et 500 médecins l’an, or il n’y a même pas 150 places pour les formations spécialisées », a-t-il ajouté. Le professeur Lumarque a fait remarquer que les chauffeurs dans les ONG sont de loin mieux traités, mieux rénumérés que les médecins internes qui reçoivent 10 000 gourdes alors qu’ils sont en première ligne dans le système sanitaire. En regardant ce que le coronavirus fait ailleurs et en regardant notre situation, la fragilité du système sanitaire du pays, l’universitaire estime que des gens ont raison d’avoir peur. Le recteur de l’Université Quisqueya n’est visiblement pas favorable à un confinement de la population pour éviter la propagation du virus. Selon lui, le confinement est un paradoxe. « Nous sommes déjà confinés de facto. Combien d’entre nous peuvent se déplacer librement dans les départements du Sud, du Sud-Est, des Nippes, de la Grand-Anse ? Nous avons quatre départements confinés… Nous sommes déjà dans un confinement de facto accepté par les autorités et maintenant nous allons faire un confinement officiel… », a-t-il avancé comme pour exprimer son opposition à un confinement de la population. Jacky Lumarque prévoit qu’un confinement va casser la chaine de production du pays. C’est-à-dire, notre capacité productive nationale, la capacité de production de biens et de services seront détruites, les travailleurs ne pourront plus satisfaire leurs besoins de base, a-t-il énuméré, soulignant que les 80% de la force de travail du pays qui se trouve dans le secteur informel qui vivent au jour le jour seront affectés. Pire. Pour le professeur, nous n’avons pas la capacité de compenser les manques à gagner pendant le confinement, contrairement aux autres pays qui font le confinement pour lutter contre le coronavirus. En outre, il a souligné que le pays ne dispose pas d’informations sur les divers secteurs concernés par le confinement comme les écoles, la santé… « Nous avons un déficit d’informations extraordinaire… », a-t-il dit. Que faire ? Le que faire face à la propagation du coronavirus ne dépend pas uniquement du gouvernement, selon le professeur. D’abord, Jacky Lumarque propose un dialogue sur la question de la santé dans le pays avec tous les partenaires comme les hôpitaux privés, les ONG, le secteur privé des affaires, les universités, les collectivités. Parce qu’aujourd’hui les pouvoirs publics sont discrédités, le professeur estime que les autorités ne peuvent pas à elles seules faire des injonctions à la population. Encore une fois, il revient avec le concept de dialogue, le dialogue social avec tous les acteurs. Parce qu’il y aura rapidement une pénurie dans les produits de première nécessité, Jacky Lumarque appelle le gouvernement à booster le secteur agricole, accorder du crédit aux paysans, lancer des travaux d’irrigation, sécuriser les moyens de transport, et ce, dès maintenant. Jacky Lumarque a mis en évidence des atouts sur lesquels le pays peut compter dans cette situation. Il a cité à titre d’exemple la capacité de la population à résister à des catastrophes naturelles comme des intempéries, le tremblement de terre, le choléra, entre autres. « Ces 15 dernières années, la population a résisté à quatre cyclones, le tremblement de terre, le choléra, des maladies virales comme le zika, la conjonctive, le VIH et le PHTK. Nous avons un peuple fort », a-t-il dit. Comme atout aussi, le professeur prévoit la chute de ce mode de gouvernance imposé à Haïti. Comme autre atout avancé par M. Lumarque, les forces externes « qui ont l’habitude d’intervenir dans les affaires du pays de façon maladroite vont s’occuper de leurs propres affaires en laissant Haïti seule, ce qui nous permettra d’avoir une réponse haïtienne à nos problèmes… »    Selon Jacky Lumarque, le coronavirus n’est pas uniquement le problème du gouvernement, mais aussi celui de la société. Dans l’état actuel des choses, Jacky Lumarque estime que les politiques devront laisser plus d’espace aux scientifiques pour parler à la population, pour donner les consignes et les directives. Selon lui, les gens font plus de confiance aux scientifiques qu’aux politiques. « Les dirigeants doivent comprendre que diriger, c’est faire appel à la science », a avancé le professeur Jacky Lumarque. Il a dit n’avoir pas connaissance de la formation du comité scientifique annoncé par le président Jovenel Moïse pour combattre le coronavirus. Enfin, dans cette interview accordée à Radio Magik9, Jacky Lumarque appelle la population à rejeter la stigmatisation des personnes infectées par le coronavirus. « Notre plus grand ennemi après le virus, c’est nous-mêmes, notre comportement, nos réactions… », a-t-il dit. Encore une fois, l’universitaire a appelé à un dialogue social, un climat d’apaisement, la transparence dans la gestion de la maladie, une bonne communication… Selon Jacky Lumarque, le président de la République doit en toute humilité faire appel aux gens d’en face, autres forces dans la gestion de la maladie. « La société n’est pas la propriété des dirigeants, du gouvernement. Le pouvoir passe… », a-t-il rappelé.