Le Nouvelliste
Et si nous nous occupions de nos enfants...
March 6, 2020, midnight
15 enfants pauvres et « orphelins » meurent de brûlure et d’asphyxie le vendredi 14 février 2020. Ce sont les manchettes de la presse internationale qui m’informèrent de la tragédie. Un orphelinat américain « insalubre et surpeuplé » (Church of bible understanding), non autorisé par les institutions haïtiennes (leur permis a été révoqué en 2013), selon l’AFP. Ce drame supplémentaire, qui a fait les manchettes, est le symptôme d’une déchirure sociale et de l’effondrement total de l’État, s’il faut le rappeler. Comme société, nous avons failli à notre première responsabilité : la protection et l’émancipation de nos enfants. Si les enfants des Haïtiens des strates supérieures sont hyper protégés et vivent dans la ouate, les droits de ceux de la majorité démunie sont totalement et continuellement bafoués. Certes l’Etat haïtien n’a jamais considéré les masses comme prioritaires. Aucune politique viable de contrôle de naissances, alors que la population croît plus rapidement que notre production nationale. Déjà nous ne nourrissons pas adéquatement la moitié de la population. D’ailleurs nos orphelins sont souvent des enfants abandonnés par des parents incapables de leur donner à manger ! C’est une chaîne d’abandon qui profite aux pédophiles, aux trafiquants d’humains, et à tous ceux qui profitent de cette main d’œuvre misérable et fichue. Certains d’entre eux, aujourd’hui, préfèrent grossir les gangs et les zones de non droits. Collectivement, nos comportements, nos agissements et l’expression de nos préjugés ont maintenu, le long de notre histoire, cette hiérarchie déshumanisante, intégrée et partagée comme valeurs communes à tous les Haïtiens, sauf rares exceptions. Notre société produit des monstres égoïstes, des humanoïdes, plutôt que des citoyens. Réfléchissons à notre regard sur les autres. Cela explique d’ailleurs la réaction d’indifférence généralisée de la société civile enregistrée après le drame de Kenscoff. Cela explique l’arrogance de cet avocat qui presse, sans une once d’humanité, les parents des victimes d’accepter dans un accord scélérat, quelques gourdes, pour se vêtir afin d’assister aux funérailles. Cela explique que la présidence n’ait jamais pensé à décréter de deuil national pour ces victimes. Un proverbe africain dit que cela prend un village pour élever un enfant. A quand la Constitution du village haïtien pour prendre soin de ses enfants ? Cet esprit communautaire se heurte à notre conception individualiste, matérialiste et classiste. Souvent nous n'agissons pas de manière délibérée. Nous accordons une telle importance aux strates et aux classes dans nos relations interpersonnelles que cela éclipse une réalité : nous sommes une nation. Haïti ressemble trop à un territoire peuplé de groupes d’individus peu ou pas conscients de leur appartenance commune et de leur complémentarité. La notion de corps social est à construire, nonobstant l’urgence des problèmes conjoncturels : changement de régimes, lutte contre la corruption et l’impunité, élection ou transition. Rendre possible une autre société haïtienne est le défi. Pour cela deux changements majeurs s’imposent. D’une part, une révolution intérieure, un chambardement de nos valeurs est la condition préalable à l’avènement des transformations sociales basées sur le bien commun et des pratiques raisonnables et modernes. D’autre part, l’engagement citoyen à travers un investissement dans les structures institutionnelles pour rendre possibles les conditions d’expression du raisonnable et du droit, articulées autour d’une autre vision de ce qui représente notre avenir : les enfants d’Haïti de toutes conditions et origines sociales. De 1804 à nos jours, nous n’avons jamais conçu de plan national de développement et d’épanouissement des jeunes. Il nous revient de construire un état qui tienne compte des droits fondamentaux de nos enfants. La route amorcée voilà plus de deux siècles ne peut plus se poursuivre sans la participation qualitative et quantitative de tous les haïtiens.