Le Nouvelliste
Des ballons d’essai
Sept. 11, 2020, midnight
Qu’est-ce qui pourrait motiver l’actuelle Administration à vouloir créer, sans aucun préalable et en même temps, un Conseil électoral et une Commission pour une réforme constitutionnelle ? Même quand nous, du parti Rassemblement des Démocrates, Nationaux, Progressistes (RDNP), voulions faire abstraction de la volonté manifeste du régime en place de se maintenir, voire, se perpétuer au pouvoir, nos analyses et réflexions nous indiquent que la démarche est illogique, antinomique, en clair, absurde. Comment peut-on tenir des élections, alors que la Charte fondamentale, sur laquelle doit être fondé «le Droit des élections», va faire l’objet d’une réforme ? Ce n’est pas le lâche assassinat de Me Dorval qui peut rendre possible, académique, voire, scientifique, pareille pirouette de politiciens, à courte vue, entêtés à marquer les pas sur place, à gaspiller les deniers publics dans des initiatives sans issue. Au contraire, l’annonce de ces initiatives est une vaine tentative d’assassinat du rêve, des idées de l’éminent constitutionnaliste de mettre sa science au service de son pays ; question de prouver qu’il y a, en dépit des médisances, des citoyennes et citoyens de bonne foi, de bonne volonté, intègres, détenteurs de savoir, disposés d’honorer les dettes sociales séculaires, et, du coup, de "Changer la vie en Haïti". Heureusement que les idées ne meurent jamais ! En dehors d’une tentative maladroite et risquée de jouer sur différents tableaux, cette démarche de l’Administration Moise/Jouthe échappe au gros bon sens, à divers points de vue. Tenir des élections suppose un minimum de confiance des acteurs impliqués dans le processus, électeurs, partis politiques et autres institutions de la société civile. Là encore, il faudrait un Conseil électoral qui puisse s’imposer, pour tenir son rôle avec professionnalisme, efficacité, honnêteté, responsabilité, crédibilité, indépendance et, en plus, pouvoir s’assurer de l’aménagement d’un climat de sécurité favorable à l’expression du vote libre, populaire et démocratique. À moins que le régime en place veuille bien laisser tomber ses masques et répéter le coup de la dernière réforme constitutionnelle opérée avant 86, pour du beurre, par la dictature, en agonie, s'arcboutant sur l’énergie du désespoir ! Une réforme constitutionnelle, dans le contexte sociopolitique actuel, présuppose une transition de rupture qui ne saurait être l’apanage de cette Administration, même dans ses fantasmes. À savoir cette opération de démembrement/remembrement, déconstruction/reconstruction qui peut même changer le régime politique du tout au tout. Pourquoi faudrait-il former un Conseil électoral, organiser des élections, si une Commission constitutionnelle devant déboucher inéluctablement sur une Assemblée constituante avec le pouvoir de modifier, de retrancher, d’élaborer une Charte pouvant répondre aux revendications populaires, s’adapter aux nouveaux impératifs sociaux, politiques, économiques et culturels ? À moins que le régime en place pense béatement prendre cette initiative monstrueuse pour effrayer et imposer l’alternative d’un «Conseil national de transition à la nouvelle République», généreusement agité comme une bouée de sauvetage national ! Comme s’il s’agissait d’appliquer la politique du bâton et de la carotte. Il semble qu’elle envisage d’imposer la carte d’identification ''Dermalog'' aux citoyennes et citoyens de la nouvelle République. Un Conseil électoral formé par les institutions choisies par celui se disant investi du pouvoir du Grand Dieu. Une Commission pour une réforme constitutionnelle sur mesure, amnistiant, dans ses clauses transitoires, tous les dilapidateurs des ''Fonds Petro-Caribe'', tous les chefs de gangs armés, tous les bandits légaux, tous les criminels responsables des assassinats dans des quartiers populaires… Et le tour sera joué, au grand détriment du bien public, des légitimes aspirations des populations au bien-être, à la justice sociale. Pour nous, du RDNP, la démocratie dont nous rêvons pour Haïti ne peut se passer de la jouissance pleine et entière du «Droit des élections» par l’ensemble des citoyennes et citoyens, dans leur universalité; et ne saurait se priver de la participation des institutions de la société civile dans les décisions engageant l’avenir de la Nation, comme une réforme constitutionnelle. Ce qui nous porte à nous interroger sur les réels objectifs, inavoués et inavouables, de ces initiatives, annoncées dans la presse, sous couvert de l’anonymat, comme des ballons d’essai. De telles mesures - pour être viables, fiables, conformes aux normes démocratiques - devraient préalablement trouver l’adhésion de la majorité de la population et faire l’objet d’un consensus politique national. Les voies constitutionnelles, légales étant épuisées ou ayant été écartées, nous nous demandons : quels peuvent être les fondements de cet entêtement, mieux, de cette assurance affichée par un pouvoir si peu efficace dans l’application de politiques publiques, si impliqué dans des scandales de corruption, si peu respectueux des échéances ? Étant membres du RDNP, parti responsable et sérieux, nous luttons pour la conquête et l’exercice du pouvoir dans les conditions optimales de la jouissance de la souveraineté nationale et populaire. C’est pour cela que nous voulons rassembler tous les nationaux, démocrates et progressistes, pour un sursaut collectif vers un véritable changement de système politique. Ensemble, ensemble, ensemble, jusqu’à la victoire finale. Met men, pran desten nou anmen. Eric Jean Baptiste Secrétaire Général du RDNP