Le Nouvelliste
Le nouveau droit des sûretés (2)
June 16, 2020, midnight
Nous continuons dans les lignes suivantes la présentation du nouveau droit des sûretés en concentrant notre propos sur les sûretés mobilières. Dans un souci de simplification et de clarification, le nouveau droit des sûretés opère une révolution dans le vocabulaire juridique. Désormais, le terme de gage est réservé aux meubles corporels et le terme de nantissement est réservé aux meubles incorporels, alors que jusqu’ici ces termes étaient employés indistinctement. Pour assurer la cohérence de l’ensemble des textes en vigueur avec les nouvelles dispositions du code civil, l’article 19 du décret prévoit que dans tous les règlements et lois, la référence au gage et au créancier gagiste s’entend de la référence au nantissement et au créancier nanti lorsque la sûreté porte sur un meuble incorporel. Réciproquement, la référence au nantissement et au créancier nanti s’entend de la référence au gage et au créancier gagiste lorsque la sûreté porte sur un meuble corporel. Les dispositions sur l’antichrèse se retrouvent désormais dans la loi sur les sûretés immobilières. D’où le nouveau titre de la loi no. 32 du code civil : « Sur les sûretés mobilières ». Elles sont : le gage de meubles corporels, le nantissement de meubles incorporels et la propriété retenue à titre de garantie (art. 1838 c.civ.). A.- Le gage des meubles corporels Le gage des meubles fait l’objet d’une profonde réforme. Il s’agissait d’en moderniser et clarifier le régime, pour éviter les confusions induites par la Loi du 27 novembre 2008 sur le Gage sans Dépossession. Le gage devenu désormais une sûreté polyvalente et plus facilement réalisable deviendra plus attractif. La transformation la plus spectaculaire en ce domaine a été de transformer le gage en contrat consensuel ; il n’est plus un contrat réel qu’il soit civil ou commercial. Il devient parfait dès la conclusion de la convention écrite contenant la désignation de la dette garantie, la quantité des biens donnés en gage ainsi que leur espèce ou leur nature (art. 1843 c.civ.). La remise au créancier ou à un tiers devient désormais facultative ce qui rend possible le gage de biens futurs (art. 1840 c.civ.). Cette transformation permet encore le gage d’un ensemble de biens (art. 1840 c.civ.), ce qui entraîne que le régime général du gage de biens fongibles constitue un régime souple applicable notamment aux stocks (art. 1849 et suivants c.civ.). Autre innovation importante qui constituera à coup sûr un facteur pour le développement du crédit est la validité du pacte commissoire (art. 1855 c.civ), ce qui en rend la réalisation beaucoup plus aisée. Dans le même ordre d’idées, et pour favoriser la réalisation du gage par des créanciers ne désirant pas faire transiter par leur patrimoine les choses gagées vendues publiquement, il est permis que les parties permettent à ces créanciers de vendre, en cas de défaillance du débiteur, le bien gagé de gré à gré au prix du marché. Ainsi, on évite la procédure difficultueuse des voies d’exécution et la difficulté comptable de l’inclusion même transitoire du bien dans l’actif de l’établissement de crédit (art. 1854 c.civ). En plus de ces principales transformations, mentionnons d’autres traits dominants du nouveau droit du gage. Le gage peut garantir une créance future dès lors qu’elle est déterminable (art. 1840 al. 2 c.civ.). Les règles déjà connues portant sur la propriété du bien gagé sont reproduites, cependant le nouveau texte frappe de nullité le gage d’un bien commun sans le consentement des deux époux dans l’acte de constitution du gage (art. 1842 al. 2 c.civ.). Ce qui est intéressant dans le nouveau régime est qu’il tient compte de la réalité industrielle ou de la construction où des biens gagés sont par la suite mélangés ou incorporés à d’autres pour produire des biens nouveaux. Il était important d’affirmer que le droit du créancier gagiste se reporte sur le bien nouveau (art. 1847 al. 3 c.civ.). Les nouvelles règles du code civil rendent le gage, quel que soit sa forme, opposable aux tiers par l’inscription sur le Registre des Sûretés Mobilières. Le gage avec dépossession étant opposable aux tiers par la détention du bien par le créancier ou un tiers convenu. Les règles de conflits entre plusieurs créanciers gagistes sur un même bien sont incluses dans les articles 1844 à 1847 du code civil. La conservation du bien gagé fait l’objet de règles applicables au créancier gagiste ou au débiteur selon qu’il s’agit d’un gage avec dépossession ou sans dépossession (art. 1850, 1851 c.civ.). Les règles innovantes relatives au gage de biens fongibles (art. 1848, 1849 c.civ.) pourront s’appliquer notamment aux espèces données en gage. Les biens gagés peuvent constituer une universalité, comme un stock, ensemble par essence dynamique où des biens sont aliénés pour être remplacés par d’autres. Le produit de la vente peut n’avoir pas encore été employé et se retrouver dans les caisses du débiteur ou déposé sur son compte bancaire. Dans le cadre des industries de transformation ou d’assemblage, le bien gagé peut se retrouvé mélangé à une masse (p. ex. la farine dans le pain) ou incorporé dans un produit fini (p.ex. un disque dur dans un ordinateur). Il s’agit alors de protéger les droits du créancier qui ne doit pas se retrouver privé de garantie par le fait de l’activité normale de son débiteur. Cette situation est régie aux articles 1849-1 et 1849-2 qui s’inspirent des recommandations de la Commission des Nations-Unies sur le Droit du Commerce International contenues dans la loi-type sur le gage. Le caractère novateur de ces dispositions mérite que l’on en explique le mécanisme. Dans le cas de l’article 1849-1, lorsqu’un stock est gagé, les espèces ou les créances (dans le cas de vente à crédit) nées de la vente de ces stocks sont un produit. Il en est de même des fonds résultant de ces ventes ou du paiement des créances déposés sur un compte bancaire. Ce produit est automatiquement gagé au profit du créancier gagiste titulaire du droit sur le stock. Toutefois en cas de mélanges de fonds, et nous prenons un exemple, si 10. 000 gourdes provenant de la vente du stock sont déposées sur un compte dont le solde est de 50.000 gourdes, le gage est limité à 10.000 gourdes. Si le solde devient inférieur à 10.000 gourdes, le montant du gage sera le montant le plus bas entre le moment du mélange et celui de la réalisation du gage. Dans le cas de l’article 1849-2, le gage du créancier se reporte sur la masse ou le produit fini dans la limite de la proportion de la valeur du bien gagé par rapport à la valeur totale du bien issu du mélange, de la transformation ou de l’assemblage. Enfin la distinction de régime entre gage commercial et gage civil est abolie, le régime défini dans le code civil devenant désormais le droit commun du gage auquel se référeront les commerçants comme les non-commerçants pour leurs opérations de crédit et la vente forcée du bien gagé. Les articles 1611-1 et 1611-2, ci-devant articles 91 et 92 du code de commerce ont été modifiés en ce sens. B.- Le nantissement de meubles incorporels Alors qu’il n’était qu’évoqué dans les dispositions du code civil, le nantissement de meubles incorporels fait l’objet de douze articles dans le décret. Ils concernent surtout le nantissement de créance, sa constitution (art. 1858-2 à 1858-4 c.civ.), sa publicité (art. 1858-8, 1858-9 c.civ.). Les articles 1858-10 à 1858-12 du code civil réglementent désormais le mode de perception des créances nanties. Les règles de conservation des sommes perçues sont particulièrement strictes et assorties de dispositions pénales pour protéger le débiteur de créanciers de mauvaise foi. Les modes de réalisation du nantissement de créance (art. 1858-10 al. 3 c.civ.) et le privilège qui y est attaché constituent un attrait pour le créancier qui n’est plus soumis aux aléas de l’action oblique (art. 956 c.civ.). Des dispositions particulières sont consacrées au nantissement de compte, qui s’entend du nantissement du solde créditeur, provisoire ou définitif, au jour de la réalisation de la sûreté sous réserve de la régularisation des opérations en cours (art. 1858-6 c.civ.). Une fois les conditions légales respectées, en cas de défaillance du débiteur, le solde créditeur sera acquis au créancier. C.- La propriété retenue à titre de garantie Les contrats de vente contiennent actuellement de plus en plus des clauses de réserve de propriété par lesquelles le transfert de la propriété est conditionné au complet paiement de sa dette par le débiteur. Cette pratique contractuelle exposée tantôt, ignorée de la loi, en dépit de ses indéniables avantages pour le créancier, n’assurait pas une sécurité juridique parfaite. Le texte actuel en obligeant à la publicité de cette sûreté la rend opposable aux tiers et permet le droit de suite. Il reprend aussi les solutions dégagées de la pratique pour la procédure de restitution ou de reprise du bien garanti (art. 1858-13 à 1858-21 c.civ.). Il innove en instituant au profit du créancier une subrogation légale de l’indemnité d’assurance à la créance au cas de perte du bien ; ce qui veut dire que même dans l’absence de stipulation dans le contrat de financement, le créancier aura droit au versement de cette indemnité. L’adoption du mécanisme de propriété retenue à titre de garantie par notre législation entraîne que soit modifiée la liste des biens pouvant faire l’objet de revendication en cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation de biens. En plus des propriétaires de produits déposés en consignation ou des vendeurs de marchandises livrées mais impayées, les bénéficiaires d’une clause de réserve de propriété dont la sûreté est régulièrement publiée pourront revendiquer les biens garantis avant toute liquidation des biens du failli. Cette modification est effectuée à l’occasion de la réforme du régime de l’insolvabilité entreprise au livre III du code de commerce, plus précisément au nouvel article 3347-6 du code de commerce qui remplacera l’actuel article 600. D.- La publicité des sûretés mobilières Pour une meilleure protection des créanciers, des débiteurs et des tiers, le nouveau texte conditionne les droits des créanciers à une mesure de publicité consistant à l’inscription sur le Registre des Sûretés Mobilières. Les sûretés concernées sont le gage, le nantissement de meubles incorporels, la propriété retenue à titre de garantie. Les dispositions relatives à ces sûretés ne deviendront applicables que par la promulgation d’un arrêté du Premier Ministre créant et organisant ledit Registre et définissant les modalités d’inscription des sûretés. La législation sur le crédit-bail prévoit aussi que les droits du crédit-bailleur soient rendus opposables par leur inscription au Registre des Sûretés Mobilières. Le présent décret élargit cette compétence en prévoyant l’inscription sur ce registre ou à la conservation des hypothèques des ventes avec faculté de rachat encore appelées ventes à réméré (art. 1449 al.2) selon que ces ventes auront pour objet des meubles ou des immeubles. L’habilitation donnée au Premier Ministre se retrouve dans l’article 159 de la constitution et dans le nouvel article 1839 du code civil. Maintenant que le décret est promulgué, il est nécessaire que paraisse au plus tôt l’arrêté organisant le Registre des Sûretés Mobilières. La technique de l’arrêté permet une souplesse d’adaptation des modalités d’inscription et de fourniture de renseignements à l’évolution des technologies de l’information, souplesse que ne permet pas la procédure législative. Dans le prochain article, nous présenterons les réformes relatives aux sûretés immobilières et aux privilèges.