Le Nouvelliste
Le pays continue de regarder ailleurs…
June 16, 2020, midnight
Lundi soir, à Peguy-Ville, Farah Martine Lhérisson et son mari Lamothe Lavoisier ont été tués par balle. L’assassinat perpétré au domicile du couple a provoqué tristesse et consternation. La police judiciaire a ouvert une enquête pour capturer les auteurs, complices et pour déterminer le mobile de ce crime contre cet ingénieur et sa femme, poète et enseignante. Il faudra sans doute s’armer de patience, attendre l’issue de l’enquête tout en ayant à l’esprit toutes celles que l’on prétend poursuivre, que l’on range dans les tiroirs en attendant la prescription ou que le karma rattrape les assassins. La liste des enquêtes qui se poursuivent, de ces rendez-vous manqués avec la police et la justice est très lente. Chaque nom, celui du commerçant, du journaliste, de l’enseignante, du médecin, de l’ingénieur, du mécanicien, provoque toujours un flash-back, une douloureuse réminiscence et une évidence avec laquelle nous avons malheureusement appris à vivre : celle que les morts ont tort. Ici, à l’exception de quelques manifestations contre l’insécurité, le mal n’est pas attaqué à la racine et les sanctions contre les auteurs, complices et commanditaires des crimes de sang sont quasi inexistantes. La police judiciaire n’a pas les moyens de sa mission. La police scientifique n’a ni les hommes en quantité suffisante ni les moyens nécessaires à sa performance pour sortir le bureau des affaires criminelles de ce taux rachitique d’enquêtes bouclées. La police scientifique est loin, très loin d’être sur toutes les scènes de crime pour relever preuves et indices, des preuves directes et autres éléments matériels pour confondre les assassins devant les tribunaux, lors de nos trop rares assises criminelles. Quand la police judiciaire fait de son mieux, boucle une enquête, il n’est pas rare que ses recommandations ne soient pas suivies. Les dossiers sont parfois confiés à des juges d’instruction partagés entre indolence, surcroît de travail et manque de moyens. Il arrive aussi dans cette belle république que des corps du délit, des armes en particulier, disparaissent de certains greffes. Le déni de justice aux gens aisés, aux gens de la classe moyenne et encore plus aux humbles des quartiers populeux comme La Saline, Pont-Rouge, Cité Soleil elatriye est connu. Pour les malheureux, ce déni, plus caractérisé, ne choque presque plus. Les pauvres des bas quartiers sont tués, leurs corps sont brûlés. La police et la justice, en ce qui concerne ces « zones de non droit », ne s’embarrassent presque plus du minimum à faire, du constat légal à dresser. À quoi bon donner acte à la mort d’un individu dont l’humanité et la citoyenneté n’ont jamais été reconnus ? Sans inhibition, la république d’exclusion s’assume, assume ses choix. Les choix, ces dernières décennies, sont ceux de la prolifération des armes. Nous sommes passés du militant armé dogmatisé à l’entrepreneur du crime sans idéologie qui met ses armes au service de celui qui peut payer, qui peut lui garantir l’impunité. Le pays sait que des armes ont été distribuées à profusion avant le renversement de Jean-Bertrand Aristide le 29 février 2004. Le pays sait aussi qu’une cinquantaine d’armes automatiques ont disparu du palais national à la fin du règne de Michel Martelly. L’un de ces fusils, un Galil, a été retrouvé en possession d’un gang dont des membres sont impliqués dans le massacre de La Saline en novembre 2018. Le chef de gang Odma répète et expose un Galil de la PNH. Il dit l’avoir reçu d’un parlementaire. Le pays regarde ailleurs, acceptant que le bandit soit légal. Au point, ces temps-ci, que certains, phraséologie et scénographie de l’homme politique, annoncent la création d’une association composée des principaux chefs de gangs ou de bandes de la zone métropolitaine. Le pays regarde ailleurs, fait semblant de ne pas comprendre qu’un autre cap a été franchi, que les gangs armés assument à visière levée leur rôle sur l’échiquier politique tout en prétendant instaurer la paix à la pointe du fusil dans les quartiers. Le pays regarde ailleurs, feignant d’ignorer que l’alliance consolidée entre les milieux criminels et politiques devient un cancer en métastase. Il se répand... et le pays continue de regarder ailleurs….