Le Nouvelliste
Récit glaçant d'un double assassinat
June 18, 2020, midnight
Lundi 15 juin 2020. Le soleil a pris congé depuis au moins deux bonnes heures. Sur Péguy-Ville, l’étau de la chaleur se desserre. Un petit tourbillon provoqué par le cisaillement des vents de la plaine du Cul-de-Sac et des hauteurs de Diègue flirte avec les arbres majestueux de la rue A. Q. En la résidence de Farah Martine Lhérisson et de son compagnon Lavoisier Lamothe, c’est un soir comme un autre. Le personnel de maison pose des gestes cent fois répétés à la cuisine et dans la salle à manger. Laurent Lamothe, 12 ans, le fils du couple, ne prête pas trop attention au « thé du soir » siroté par sa mère ni à sa conversation avec la servante sur le menu du petit déjeuner. Pour Farah Martine Lherisson, 48 ans, voir demain est ordinaire, quasiment une évidence au moment de clore l’échange avec la servante, celle venue de Marchand-Dessalines. Sans crier gare, deux hommes armés pénètrent dans la propriété. Le gardien, J L, braqué, est maîtrisé par des assaillants opérant sans cagoule mais portant des cache-nez en ces temps de Covid-19. Rapidement ils se font agressifs et logent deux balles dans le corps du gardien dont un en plein visage. « Taisez-vous, sinon on vous tue », lance l’un des assassins aux deux servantes tétanisées, tenues en joue à l’intérieur de la maison et de son imposante bibliothèque. « J’ai vu la mort en face », conte l’une des servantes au journal, mercredi soir. Le cœur au fond de la gorge, incapable de regarder le visage des assaillants, elle dit s’être allongée sur le parquet, au rez-de-chaussée. Les époux, en haut dans leur chambre, ne se doutent de rien. En progressant à pas feutrés dans la maison, les assassins sont brusquement remarqués par L L qui, pris de panique, alerte ses parents. Farah Martine bondit de sa chambre comme une lionne, vole au secours de son fils. L’un des assassins lui met à bout portant une balle en pleine poitrine. Elle s’écroule. L’assassin lui loge une balle au cou. Elle meurt sur le coup. Son mari, lui aussi, est touché en pleine poitrine, puis au cou. Les assassins, après leur forfait, quittent en courant la propriété. Appelés de toute urgence, deux proches sont venus au secours du couple. Sans pouls, Farah Martine, l’enseignante passionnée, la mère, la poète, était déjà ailleurs, empruntant l’itinéraire pris par un, deux et tant d’autres personnes avant elle. Son mari, indiquent des témoins du drame au journal, avait des spasmes, luttait contre la mort. Conduit au centre hospitalier le plus proche, l’hôpital de La Santé, communément appelé hôpital Margareth Dégand », à la rue Lambert, à Pétion-Ville, le couple n’a pas franchi le seuil de l’admission. Ils sont déclarés morts officiellement dans les deux véhicules qui les ont emmenés à l’hôpital. « C’est sur place, en face de l’hôpital, que j’ai effectué le constat légal », confie au journal le juge de paix Fidélito Dieudonné. « Ils ont chacun reçu une balle au cou », poursuit-il. Pour compléter le constat, le juge, rendu au domicile du couple, relève des traces de sang. Le sang du mari qui s’est traîné vers les toilettes. « Les assassins n’ont rien volé. Même pas une épingle », rapporte le juge de paix, citant des témoins, eux aussi interrogés dans le cadre de l’enquête diligentée par la DPCJ. Encore émue, la servante venue de Marchand-Dessalines s’accroche à ses souvenirs, conte la bonté de M. Lamothe, un ingénieur de 56 ans. « Ce dimanche, après lui avoir préparé du homard, il a dit à sa femme, avec un large sourire, qu’il allait signer mon diplôme de grande cuisinière », raconte-t-elle. Il est tué lundi. Si le ciel lui est tombé sur la tête, cette servante se réjouit cependant d’une «bonne nouvelle » dans ce décor peuplé de bruits, de traces de sang, de hurlements et du ballet de la police judiciaire au moment d’examiner les scènes du crime. Jean Louis, le gardien, est en vie. « Il est vivant, admis à ..... de l'hôpital.... On lui a donné la nouvelle de la mort de madame. Mais il ne sait pas pour monsieur », suffoque la servante. Les familles sont dévastées par ce double assassinat et la tentative d’assassinat du gardien, Jean Louis. « Les deux filles d’un premier lit de Farah Martine sont inconsolables. Son fils L L, présent au moment des faits, est sous le choc. En plus, il culpabilise », se lamente un membre de la famille de Farah Martine, interrogé par le journal. « Farah Martine était une belle femme, une belle âme », sanglote-t-elle, encore horrifiée par le récit de ces corps ensanglantés, troués de balles. Reçu par la famille, le petit L L, vu par un psychologue, peine encore à s’exprimer sur cet évènement dévastateur et traumatisant. Sensibles à l’avalanche de sympathies, les familles ne souhaitent cependant pas communiquer pour le moment sur la date des funérailles de Farah Martine et de Lavoisier, apprend le journal… Roberson Alphonse