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Le Nouvelliste

Présidence de la BID. Les Etats-Unis, l’Amérique latine et les Caraïbes (LAC) : un pacte brisé ?

July 2, 2020, midnight

En octobre de cette année 2020, un nouveau président de la Banque interaméricaine de développement (BID) entrera en fonction. La liste complète des candidats pour ce poste n’a pas encore été officiellement définie, mais dans un mouvement tout à fait contraire à l’histoire de la BID, les Etats-Unis ont annoncé la candidature de Mauricio Claver-Carone, un ressortissant américain d’origine cubaine. A première vue, rien d’extraordinaire. Sauf que, historiquement, l’accord politique en vigueur stipule  que le président de la BID doit être un ressortissant de LAC et le vice-président exécutif un ressortissant des Etats-Unis. Cet arrangement, c’est ce que les deux parties avaient négocié tout au long des discussions laborieuses ayant  abouti à la création de la Banque interaméricaine de développement en 1959. Dans un discours capital aux Nations unies le 13 août 1958, c’est le président Dwight Eisenhower lui-même qui avait défini les critères de réussite pour les  banques de développement régionales. Il avait fait valoir que pour assurer le succès de ces institutions, les pays en développement qui en sont membres devront  être prêts à les appuyer avec leurs ressources propres et elles  devront  être dirigées par les ressortissants desdits pays.  «  J’espère qu’il est clair que je ne propose pas une position de leadership pour mon pays dans la création de ces institutions et que, pour que celles-ci  puissent  connaitre  du succès, la fonction de leadership doit appartenir aux pays en développement qui les composent », avait conclu le président Eisenhower. L’idée que les pays membres en développement devaient allouer des ressources importantes  et être responsables du leadership reflétait également le point de vue  des pays de LAC et ils l’ont acceptée avec enthousiasme. Ainsi, le capital ordinaire d’origine provenait à soixante pour cent de LAC et 40 pour cent des Etats-Unis. Par la suite, avec l’incorporation à  la BID des pays européens et asiatiques, la région LAC a conservé un peu plus de cinquante pour cent du capital et les Etats-Unis trente pour cent. Au fil des ans, environ soixante dix pour cent du capital ordinaire accumulé à la BID provient des intérêts payés par les pays emprunteurs. Par conséquent, l’accord historique qui a créé la BID reflète  à la fois les intérêts de LAC et ceux de l’Administration Eisenhower. Le fait que les pays emprunteurs sont à la fois  clients  et propriétaires de la Banque  a fonctionné très bien. Cette  structure actionnariale a permis à la BID d’être plus attentive aux besoins de la région et d’être innovante dès le départ. D’autre part, le fait que les pays emprunteurs et non emprunteurs détiennent maintenant des pourcentages presque égaux, cela rend impératif, pour le bon fonctionnement de la Banque, que tous les pays membres engagent un dialogue ouvert et respectueux afin de parvenir à un consensus sur des questions vitales. Cet arrangement a très bien fonctionné au cours des 60 dernières années. Les pays membres, emprunteurs et non emprunteurs, ont tiré des avantages économiques, sociaux et géopolitiques de leur participation à cette institution qui, grâce à cet arrangement  historique, a fonctionné comme un mécanisme d’action collective. Mis à part le profil et l’expérience personnelle des différents candidats– et tous ceux qui ont été officiellement ou officieusement mentionnés sont des personnalités ayant des mérites et des trajectoires propres –, la question principale est de savoir pourquoi un arrangement qui a permis une collaboration et un dialogue substantiels entre les pays membres devrait  être rejeté ? Bien sûr, il y a eu des moments de tension dans cette relation. Il est également vrai que la région LAC a considérablement changé depuis 1959 et qu’elle fait face à des problèmes toujours plus importants : certains de longue date, tels que les inégalités sociales et la dégradation de l’environnement ; certains nouveaux comme la Covid-19  ainsi que le besoin permanent de renforcer nos démocraties. Mais l’on peut dire que non seulement pour LAC, mais aussi pour les USA, la modification du pacte historique comporte plus de risques que d’avantages. Au lieu de confirmer  l’intérêt des USA pour LAC, une banque perçue comme dominée par son puissant actionnaire n’aura pas la même acceptation ni la même  légitimité dans la région. De plus , la notation AAA de la BID dérive , entre autres, de ce que les agences estiment que l’institution bénéficie d’un soutien très fort  des pays membres de LAC, à la fois les principaux débiteurs et les principaux actionnaires de la Banque. Tout ce qui affaiblit ce soutien affaiblit également la situation financière de la BID. Nous vivons des temps dangereux. LAC et les USA doivent renforcer leur dialogue pour trouver des solutions efficaces aux multiples problèmes qui affectent actuellement notre continent. Il est certainement nécessaire de repenser la Banque et les rôles qu’elle joue et d’envisager la nécessité  d’une rénovation démocratique dans son leadership. Cependant, renier de façon unilatérale le Pacte historique entre l’Administration Eisenhower et la région LAC, pacte qui a été poursuivi par l’Administration Kennedy, puis par tous les gouvernements américains, démocrates et républicains, ne semble pas être le meilleur moyen de commencer cette réévaluation. Eugenio Diaz-Bonilla. Commentaires de M. Ericq Pierre Diaz-Bonilla, de nationalité argentine, a été de 2003 à 2012 administrateur pour l’Argentine et Haïti à la BID. Il a beaucoup publié sur l’Amérique latine et le rôle de la BID  dans la région. Pendant son mandat, j’ai été, en qualité de représentant d’Haïti au conseil d’administration, le conseiller principal de la circonscription formée par l’Argentine et Haïti à la BID. A la réception de cet article qu’il m’a fait parvenir en anglais, j’ai décidé, pour une meilleure information de mes compatriotes, de le mettre en français et de le faire publier en Haïti; ce que Diaz-Bonilla a accepté avec plaisir.   Les thèmes soulevés intéressent au plus haut point la République d’Haïti qui est , après les USA et l’Argentine, le troisième membre fondateur à ratifier l'acte constitutif de la BID dans la création de laquelle notre pays avait joué un rôle important. Il faut dire qu’à l’époque nous n’étions pas le pays le moins respecté de l’hémisphère. D’éminentes personnalités haïtiennes avaient porté l’institution sur les fonts baptismaux. Les archives de la BID livrent les noms de  Clément Jumelle, Massillon Coicou Fils et Lucien  Hibbert. Ce dernier, reconnu internationalement comme un éminent mathématicien, allait être élu administrateur pour la circonscription formée à l’époque par le Mexique, Haïti et le Panama dans le premier conseil d’administration de l’institution.   Les différents présidents de la BID ont toujours montré de l’intérêt pour aider Haïti, indépendamment du fait que le pays a voté pour eux ou non. Je me rappelle à cet effet qu’en 2005, pour son premier mandat, Luis Alberto Moreno n’avait pas obtenu le vote d’Haïti. Il y avait aussi un candidat brésilien et le Premier ministre haïtien d’alors, Gérard Latortue,  avait promis au président Lula le vote d’Haïti. Même quand il était devenu évident que Moreno allait gagner et que plusieurs gouverneurs d’autres pays (les Etats-Unis, le Canada entre autres) encourageaient le gouvernement  haïtien  à  rejoindre le camp du vainqueur, Henri Bazin, ministre des Finances et gouverneur de la BID pour Haïti, a déclaré officiellement en séance que son pays avait donné son mot au Brésil et qu’il n’allait pas changer. Cette position d’Haïti a été très remarquée et a même valu des applaudissements au ministre. Luis  Alberto Moreno, élu président, sans le vote d’Haïti, n’a jamais marchandé son appui au pays. Tous les ministres des Finances qui ont occupé le poste de gouverneur de la BID avec lesquels j’ai eu à collaborer  se sont montrés à la hauteur de leur tâche. Mais, dépendamment des thèmes en débat, certains ont eu de meilleures opportunités de se faire valoir. C’est ainsi que l’ex-ministre de l’Economie et des Finances Daniel Dorsainvil, dans le cadre des négociations avec les institutions de Bretton Woods et la BID pour la réduction de la dette multilatérale d’Haïti, a laissé le souvenir d’un ministre professionnel et très à la hauteur. Je me rappelle qu’il avait très éloquemment défendu la cause d’Haïti aux  discussions finales qui avaient eu lieu à Amsterdam. Par la suite, au cours de ses voyages en Haïti, Moreno rencontrait toujours le ministre de l’Economie et des Finances avant son rendez-vous avec le président de la République. Il y a lieu de rappeler que les Etats-Unis  ont toujours joué un rôle déterminant à la BID , sans jamais  occuper la présidence. Et  la décision de l’Administration Trump de proposer un candidat de nationalité américaine  est effectivement un rejet d’un arrangement adopté d’un commun accord depuis la création de l’institution. L’élection du président de la BID est généralement le résultat d’un processus  assez complexe d’échanges et de consultations qui permet   à tous les pays membres de participer et qui donne lieu à un dialogue assez intense  sur l’avenir et l’évolution de l’institution. Certes, personne ne peut  être élu sans l’accord des Etats-Unis. Mais personne ne souhaite non plus être élu sans l’aval des membres les moins favorisés comme Haïti, ce qui nous a donné dans le temps  une  certaine marge de manœuvre pour négocier de meilleurs projets et/ou une augmentation du support budgétaire dont nous avons généralement besoin . Outre Mauricio Claver-Carone des Etats-Unis, les autres noms qui circulent sont : M. Augusto –Lopez Claros de la Bolivie, Rodrigo Xavier du Brésil, Gustavo Beliz de l’Argentine , Felipe Larrain du Chili, Laura Chinchilla de Costa-Rica, Ricardo Martinez de l’Equateur, Benito Lopez du Paraguay. Cette liste n’est pas du tout limitative : d’autres noms  pourraient y être encore ajoutés.   Que va-t-il se passer ? Difficile de prévoir. D’autant que la décision de l’Administration Trump n’a pas été très bien accueillie dans la région. Plusieurs anciens présidents des pays comme le Brésil (Henri Cardozo, 1995-2003), le  Chili (Ricardo Lagos, 2000-2006),  l’Uruguay (Julio Maria Sanguinetti, 1985-1990),  la Colombie (Juan Manuel Santos, 2010-2018) et le Mexique ( Ernesto Zedillo, 1994-2000) ont fait connaitre leur désaccord. Mais l’Amérique latine n’a jamais été aussi faible et LAC ne parle pas d’une seule voix. Certains, comme le président haïtien Jovenel Moïse, pensent que le candidat américain est déjà président. Il lui a déjà garanti en conséquence le vote d’Haïti. S’est-il soucié  de se concerter avec ses collègues de la région et particulièrement du Caricom ?    Ericq Pierre          Rochasse091@yahoo.com        1er juillet 2020.