Le Nouvelliste
Pour les compagnies pétrolières, l'Etat transfère ses torts et irresponsabilités sur elles
Aug. 20, 2020, midnight
« Le gouvernement fait état de bénéfices indus alors qu’il définit de manière souveraine la structure des prix. Les prix des carburants en Haïti sont définis par l’État qui peut retracer les produits au gallon près », lit-on dans un communiqué de l’Association des professionnels du pétrole (APPE), jeudi 20 août, 24 heures après la publication d'un rapport accusant les compagnies pétrolières d’avoir engrangé 94 millions de dollars de bénéfices indus entre mars 2019 et mai 2020. « Les rapports, comme celui établi par IGF-ULCC-UCREF, doivent servir à fixer les responsabilités, aider l’État à prendre les bonnes décisions, sans transférer torts et responsabilités à ceux qui n’ont fait que respecter les règles en vigueur en utilisant les structures de prix définies par le ministère de l’Économie et des Finances », affirme l’APPE, qui soutient que les auteurs de ce rapport ont menti sur « les pertes enregistrées par l’État haïtien dans le cadre des marchés pétroliers d’acquisition de produits pétroliers, particulièrement entre mars 2010 et mai 2020 ». « Les rédacteurs du rapport attribuent faussement une marge bénéficiaire mirobolante aux compagnies sans prendre en compte les charges dont elles doivent s’acquitter. Il s’agit de montants desquels elles doivent payer les coûts associés à la commercialisation des produits pétroliers, puis leurs impôts », soutient le communiqué de l’APPE, association regroupant cinq compagnies pétrolières. « La différence entre le Caribbean Posting et le Platts varie à chaque importation et la moyenne sur les quatre dernières années a été de 20 centimes », a indiqué l’APPE, insistant sur le fait que « les compagnies qui commercialisent les produits pétroliers en Haïti n’ont aucun contrôle sur ces indices et l’augmentation de leur différence en 2019 n’a donc absolument rien à voir avec la libéralisation du marché local ». « Il est curieux que ne soit nulle part précisé dans ledit rapport que la structure des prix des carburants est gérée depuis 30 ans exclusivement par le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) qui utilise pour cela l’indice Caribbean Posting. Les compagnies pétrolières ont l’obligation de respecter les règles établies par l’État en commercialisant le carburant selon la structure des prix mise en place par le MEF. Cette dernière s’est toujours appliquée à calculer la différence entre le Caribbean Posting et le Platts après chaque importation », a indiqué l’APPE, qui évoque des détails sur des opérations du secteur. « La dévaluation systématique de la gourde ces 10 dernières années a engendré des baisses conséquentes des taxes perçues par l’État en raison de l’augmentation significative du coût du carburant en 2019, de l’augmentation des coûts du transport maritime et des commandes toujours placées dans l’urgence, ce qui fait encore grimper les factures », selon l’APPE. L’APPE a aussi souligné « qu’ il est important de rappeler que l’État subventionne le carburant afin que son prix reste fixe à la pompe ». « Entre mars 2019 et mai 2020, à la demande des compagnies pétrolières, l’État libéralise le marché pétrolier haïtien, mais conserve le principe de la subvention du pétrole. Très vite, de nombreuses irrégularités et anomalies ont été repérées dans le fonctionnement du marché des produits pétroliers libéralisé », avait indiqué la veille le Premier ministre Joseph Jouthe au moment d’évoquer le rapport soumis par le task force (ULCC-UCREF-IGF) sur les produits pétroliers faisant état des 94 millions de dollars de bénéfices accumulés par les compagnies pétrolières. « Grâce à une enquête minutieuse, l’IGF, l’UCREF, l’ULCC ont pu mettre en évidence un stratagème orchestré par les compagnies pétrolières pour engranger d’importants profits aux dépens de l’État. Ce stratagème repose sur deux éléments fondamentaux. Le premier est la différence entre l’indice à l’achat et l’indice de la facturation : l’achat est effectué sur la base de l’indice Platts dont le coût est bas, alors que la facture adressée à l’État est calculée sur la base de l’indice Caribbean Posting avec un coût plus élevé. Le deuxième élément du stratagème est l’opacité des premium : c’est une marge appliquée par les compagnies pétrolières qui prend en compte le coût des dépenses diverses associées à l’acquisition des produits pétroliers , a-t-il indiqué. En se basant sur les données du BMPAD, entre mars 2019 et mai 2020, période de la libéralisation du marché pétrolier haïtien, sur une moyenne de 1 million de barils par mois, les premium sont passés de 0,12 dollar (avant la libéralisation) à 0,22 dollar US (durant la période de la libéralisation). Cela dit, les gains des compagnies pétrolières sont passés de 39 millions de dollars, avant la libéralisation, à 71 millions de dollars, durant la libéralisation, soit une augmentation de 82%. Pendant que les compagnies pétrolières prospéraient, sans se soucier du bien-être collectif, l’Etat continuait à enregistrer les manques à gagner », a détaillé le PM. Dans le résumé exécutif du rapport, l’ULCC, l’UCREF et l’IGF ont fait état des contraintes qui les ont empêchés d'atteindre les objectifs préalablement fixés. « Plusieurs documents essentiels n’ont pas été soumis à l'analyse, notamment les dossiers d’appels d’offres complets et des dossiers d’importations pour la période allant de mars 2010 à mai 2020 (période au cours de laquelle l’Etat avait pris le contrôle de l’importation des produits pétroliers) », peut-on lire dans le document. Le Premier ministre Joseph Jouthe a révélé que sur les dix dernières années, « le manque à gagner de l’État lié à la subvention du pétrole culmine à plus de 113 milliards de gourdes ». « Cependant il est important de souligner que de ces 113 milliards de gourdes de manque à gagner, plus de 39 milliards de gourdes de pertes ont été enregistrées au cours de la période de libéralisation, entre mars 2019 et mai 2020, soit en un an. Ces 39 milliards de gourdes représentent en moyenne 46 fois les dépenses en agriculture, 5 fois les dépenses en éducation et 13 fois les dépenses en santé », a souligné le chef du gouvernement. Le chef du gouvernement a annoncé plusieurs mesures pour remédier à cette situation, notamment la reprise totale par l’Etat de l’importation des produits pétroliers. « Devant cette situation, l’Etat ne peut rester impassible. Les distorsions de marché doivent et vont être corrigées. C’est en sens que le rapport recommande : le renforcement des capacités du BMPAD ; la transparence au niveau des prix des produits pétroliers à l’importation qui doivent être connus de tous ; l’accès par l’Etat via le ministère de l’Economie et des Finances aux différentes bases de données relatives aux indices utilisés; la suppression des intermédiaires lors des importations ; la reprise totale par l’Etat haïtien du contrôle de l’importation des produits pétroliers (incluant le propane) ; l’augmentation de la capacité de stockage des produits pétroliers sensibles; l’approfondissement de l’enquête par toute autorité compétente, aux fins de fixer la responsabilité pénale des personnes physiques et morales », avait détaillé le chef du gouvernement.