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Le Nouvelliste

Peut-être,  se disent-ils !!!    

April 30, 2020, midnight

Mardi 27 avril. Au petit matin, il ne manque que les écoliers dans les rues du grand Port-au-Prince. Le jour est ordinaire pour des habitants de cette agglomération urbaine qui se piétinent, se bousculent, pressés de vivre en ces temps où guette un ennemi invisible : le Covid-19. Le tintouin reste presque le même au carrefour Résistance, l’intersection de Delmas et de Nazon rebaptisée ainsi pour souligner la révolte contre des chefs ayant claqué l’argent de PetroCaribe en éléphants blancs et autres magouilles aux dépens des pauvres.  Entre vrombissements de moteurs, hurlements des « grapyay » (nom donné à des enfants pauvres des rues qui attirent des passagers), des tap-tap déglingués s’emplissent. Plus que les hommes, les femmes portent un cache-nez pour se protéger.  Plus au nord, en face du parc industriel de la SONAPI, dont la réouverture complète a fait polémique alors qu’Haïti accumule les personnes infectées et une demi-douzaine de morts, le marché vit un autre jour. Le terrible bouchon à carrefour Drouillard, à moins d’un kilomètre du parc, ne surprend pas. Ni ce « rache pwèl » dans lequel des passagers s’entassent, s’agrippent comme des animaux pour arriver à destination, quelque part sur la Route Neuve. L’étalement urbain à Canaan explique en partie la difficulté à se frayer un passage vers la route d’Onaville, l’itinéraire censé être le plus rapide pour se rendre dans le Plateau central. Le marché à l’intersection, les vieux camions bons pour la fourrière plombent la circulation. L’anarchie danse et ondule, tout est sacrifié sur l’autel de la débrouillardise. La distance sociale semble être un concept applicable à un autre lieu, à d’autres univers.  Sur toute la route, rien, aucun signe particulier du paysage audiovisuel n’indique que le pays vient tout juste de renouveler pour un mois l’état d’urgence sanitaire. Au pied et tout en haut de Morne à Cabris, jusqu’à Terre-Rouge, le jour s’étire, le soleil déploie ses ailes sur des carrières de sable dont l’exploitation désordonnée fait tache et enlaidit. L’arrêt «  zòrèy kochon » est esquivé non loin du sous-commissariat de police. De loin, dans les « bak », le rose des ailes de poulet, le fumet de griot tentent. Mais manger sans connaître le statut sérologique de ces mains expertes bonnes à faire exploser nos papilles est un risque bien trop grand à prendre. Au sommet du premier plateau, la verdure resplendit après les ondées de la veille au soir. Sur la belle bande d’asphalte, entre Mirebalais et Lascahobas, les mangues Francique qui mûrissent, les jolies filles et quelques agriculteurs en sueur ajoutent à l’aquarelle jusqu’à la frontière de Belladère, la ligne de front où les personnels de Zanmi Lasante, du MSPP, de la mairie se mobilisent pour organiser l’accueil des migrants revenant de la République dominicaine. Chez les voisins de l’Est, le Covid-19 s’étend. On y compte plus de 6 972 contaminés. Plus de 300 précieuses vies ont été emportées. Au complexe administratif accueillant les services publics haïtiens, le dénuement est patent. Il tranche avec ceux des Dominicains. L’entrée est gardée par un préposé peu enthousiaste. En face des douanes et de l’immigration, la carcasse d’une vieille Polaris sert de siège. Le bureau de la quarantaine, celui de l’ONM sont fermés. La crasse et le dénuement contrastent avec les installations de service dominicain. Sur le site où des dizaines et des dizaines de chauffeurs de taxis-motos guettent l’arrivée des autobus de l’immigration dominicaine bondés de rapatriés volontaires, la vie des hommes et des femmes mange l’ordinaire des mêmes gestes. Dans cet écrin dont le déclin s’écrit en pointillé, il y a ce drapeau haïtien tout déchiré et l’urgence de transporter un passager, d’échanger des pesos contre des gourdes. Plus de 8 000 Haïtiens sont passés par ce poste de contrôle. Beaucoup d’autres dans des points de passage non officiels de Belladère où, pour citer son maire, persiste le doute par rapport au Covid-19 qui a laissé dans son sillage un Himalaya de cadavres aux Etats-Unis, en Europe et en Asie.  Entre la frontière où le contrôle, indispensable au traçage, vital pour contenir l’expansion du virus  et l’unité de prise en charge du Covid -19 à l’hôpital universitaire de Mirebalais, l’après-midi, à Lascahobas, tout est tranquille. Il ressemble à ces après-midi sans fin quand le soleil ne se presse d’aller dormir ou d’aller blanchir d’autres terres, dans d’autres contrées. Sur les galeries de ces petites maisons aux couleurs vives, le temps semble s’arrêter. A Petit Pois , non loin de Sarrazin, en contrebas de la route, des gamins jouent au foot. Ils tapent dans le ballon sans faire attention au ballet des camions, des cargaisons de mangues Francique que des « madan sara »  transportent sur Port-au-Prince, la capitale sur laquelle le jour a fui. A Bon-Repos, le couvre-feu décrété des 8 h p.m. n’effraie personne. Tous ou presque sont pressés de vivre. Ils ignorent le virus en attendant de voir autour d’eux la chevauchée funeste du virus.... Peut-être, se disent-ils !!!  Roberson Alphonse