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Le Nouvelliste

La prise en charge des AVC en Haïti, un dilemme entre ici et ailleurs

Jan. 26, 2021, midnight

L’ accident vasculaire cérébral, connu également sous le nom de Stroke, est l’obstruction ou la rupture d’une artère ( ou d’une veine ) du cerveau, entraînant une perte de fonction cérébrale et un déficit neurologique d’apparition brutale. Le Dr Quenold Désiré formé en médecine interne à l'HUEH avant de faire sa spécialisation en Neurologie insiste sur le fait que cette maladie est d'apparition brutale donnant aux patients peu de temps pour réagir. "Les symptômes d’un AVC sont: "une faiblesse d’un ou de plusieurs membres, un trouble sensitif d’une partie du corps (diminution de la sensibilité, engourdissements, fourmillements...), un trouble du langage (difficultés à parler, ou à comprendre), déviation de la bouche, une difficulté à marcher ou un trouble de l’équilibre", énumère ce spécialiste en Neuro-imagerie vasculaire qui a déjà vu plusieurs cas d'AVC en Haïti et à l'étranger. "La rapidité, première caractéristique dans la prise en charge des AVC." Dans cette entrevue exclusive accordée au quotidien Le Nouvelliste, le Dr Quenold Désiré soutient l'idée que l'évolution d'un patient victime d'AVC dépend grandement de la rapidité de la prise en charge.  "L’AVC est une urgence absolue qui doit être soignée dans le meilleur délai, idéalement dans les 4h30 suivant le début des symptômes", indique Dr Désiré avant de préciser que l'AVC devrait être pris en charge par le spécialiste en maladies du Cerveau le plus proche, dans le meilleur délai.  Si certains ont tendance à penser au pays étranger le plus accessible pour faire soigner leur proche en cas d'AVC, le Dr Désiré rappelle que si rien n'est fait en Haïti dans le meilleur délai, le voyage peut ne pas servir à grande chose. "Même si un patient atteint d’AVC a les moyens de voyager à l’étranger, ils seront hors délai pour une prise en charge optimale." "Compétence, infrastructures, intrants: tout ou presque nous fait défaut en Haïti" De l'hôpital général où il a fait sa spécialisation en médecine interne à Paris V où il a fait un Fellowship en Neurologie, le Dr Quenold Désiré dresse une liste presqu'exhaustive des manquements du pays pour une prise en charge optimale des AVC. Compétence, infrastructures et intrants, il y a beaucoup de vide à combler pour donner aux patients victimes d'un AVC en Haïti la chance d'un bon rétablissement. "La prise en charge des AVC est pluridisciplinaire, et fait intervenir des médecins spécialistes et des paramédicaux. Un patient qui présente des signes d’AVC devrait voir un médecin spécialisé en neurologie en urgence(idéalement dans les 4 premières heures après le début des symptômes), qui s’assure de la prise en charge et fait appel à d’autres spécialistes au besoin ( neurochirurgiens, neuroradiologue , Médecin rééducateur etc.)." En Haïti, poursuit cet ancien diplômé de la faculté de médecine de l'UEH, "il n’y a pas suffisamment de professionnels compétents dans la prise en charge des patients atteints d’AVC. Il n’y a pas assez de neurologues, il n’y a pas de neuroradiologues. A ma connaissance, il n’y a pas non plus d’orthophonistes  (personnels paramédicaux spécialisés en troubles du langage et de la déglutition)." Sur les intrants et les infrastructures, cet ancien diplômé de la faculté de médecine de l'UEH est tout aussi catégorique dans son inventaire. "Il y a aussi un manque d’infrastructures et d’intrants. Il n’y a pas de centre spécialisé en rééducation (Médecine physique et réadaptation), qui est d’ailleurs une spécialité médicale à part entière.  Il y a un seul centre pouvant réaliser une IRM cérébrale mais qui ne donne pas  toutes les séquences nécessaires pour le diagnostic d’AVC." S'il convient de rappeler que l'hôpital universitaire de Mirebalais est entrain de faire des avancées considérables dans la médecine physique et la réadaptation, le constat de manque de spécialistes dans ce domaine reste sans appel.  "Le scanner cérébral, un élément important dans la prise en charge des AVC" Le scanner cérébral est un examen qu'on réalise en tout urgence en cas D'AVC. Cet examen qui n'est pas disponible à l'HUEH, le plus grand centre hospitalo-universitaire du pays, est un élément clé selon le Dr Quenold Désiré. "Le Scanner est important et doit être réalisé en urgence, dès que le patient arrive à l’hôpital, pour faire la différence entre un Infarctus (artères bouchées) et un hématome (rupture artérielle) ou une inflammation des veines ( thrombophlébite cérébrale). Le scanner des vaisseaux (artères et veines) doit aussi être réalisé (Angioscanner). Malheureusement le scanner n’est pas disponible dans la majorité des Hôpitaux de la zone métropolitaine, et n’est pas disponible dans presque toutes les villes de provinces." À noter que l'hôpital Bernard Mevs dispose d'un scanner, d'ailleurs très sollicité par les autres centres hospitaliers. Un autre examen beaucoup plus performant que le scanner est l’ IRM ( imagerie par résonance magnétique). Un seul centre est doté de cet appareil bien que ce centre n’est pas en mesure de réaliser à l’ heure actuelle toutes les séquences nécessaires au diagnostic d’AVC. Il y a aussi l‘IRM des vaisseaux ( Angio-IRM), qui doit être réalisé en urgence. "Un brin d'espoir dans la prise en charge des AVC en Haïti" La compétence reste un problème clé dans la prise en charge optimale des patients atteints d'AVC en Haïti. Les protocoles ne sont pas clairement définis et les professionnels ne sont pas toujours capables d'interpréter les clichés en Neuro-imagerie.Le Dr Quenold Désiré qui tient sa clinique de neurologie à Turgeau est le seul spécialiste en Neuro-imagerie vasculaire du pays. Il pense que sa présence va aider les autres professionnels à réaliser un meilleur travail. "La prise en charge des AVC évolue constamment. Au cours de mon fellowship en neurologie en France, j’ai apris à faire des traitements spécifiques standardisés pour chaque cas d’AVC. Mon retour dans le pays va aider à instaurer ces traitements qui n’existaient pas en Haïti. Il faut dire que les patients qui bénéficient de ces traitements ont plus de chance de survivre et sans séquelles après un AVC (On peut rappeler que les complications et séquelles de l’AVC sont la mort , la paralysie des membres, les troubles du langage, les troubles de la vision etc...). Il faut aussi rappeler qu’il y a un délai pour commencer ces traitements, donc , même pour les patients qui ont les moyens financiers et économiques suffisants, ils n’auront pas le temps de voyager pour en bénéficier car arrivé à l’étranger, ils seront déjà hors délai dans la plupart des cas." "Des facteurs de risque à combattre" Au delà de la prise en charge des AVC, il y a des facteurs de risque à prendre en compte. L'augmentation des cas d'AVC constatée dans les salles d'hospitalisation en Haïti durant ces dernières années s'expliquent fondamentalement par l'augmentation d'un ensemble de maladies que le pays n'arrive pas à contrôler à travers une politique nationale de santé bien définie.  "L’ AVC a beaucoup de facteurs de risques, dont l’Hypertension artérielle, le diabète (élévation anormale du taux de sucre dans le sang) le tabac,  la sédentarité, la mauvaise alimentation, le stress etc. qui sont les risques des maladies cardiovasculaires en général. La modification du mode de vie peut expliquer l’augmentation des cas d’AVC." En guise de proposition pour une meilleure prise en charge des AVC, le Dr Quenold Désiré propose de "doter chaque département géographique d'un scanner, idéalement d'un IRM; approvisionner les centres en intrants de façon régulière, notamment les thrombolytiques; orienter les patients en urgence vers un professionnel compétent en Neurologie et sensibiliser la population sur les causes et les symptômes de cette maladie. Long est travail qui reste à faire pour une prise en charge optimale des AVC en Haïti  tandis qu'ailleurs, nos patients arrivés trop tard, n'ont pas toujours la chance de sortir sans complication des salles d'hospitalisation.