Le Nouvelliste
Dernier hommage aux ingénieurs Lionel Henriquez et Leslie Augustin
May 5, 2020, midnight
En Juillet 1973, l'Institut supérieur technique d'Haïti, l’ISTH, communément appelé « Kay Leconte » (première école privée d’enseignement des sciences de l’ingénieur fondée par l’ingénieur Richard Leconte en 1962) organise en grande pompe la cérémonie de collation de diplômes d’une nouvelle promotion d'ingénieurs civils, d’ingénieurs-architectes et d’ingénieurs en électromécanique. Les membres de cette promotion portant le nom de l’ingénieur Maurice Salomon, célèbre pour avoir réalisé avec succès les calculs de la dalle en béton du kiosque Occide Jeanty, avaient juré d’être des professionnels de haut niveau et à cette fin, dès la première année, ils avaient pris leurs études très au sérieux en formant des groupes de travail qui se rencontraient régulièrement tout au long de l’année académique. Il convient de signaler que les rencontres s’intensifiaient au cours des périodes d’examens et spécialement à l’occasion d'études de projets réguliers et de projets de sortie. Chaque groupe de travail était identifié par le lieu où se rassemblaient ses membres. Pour la promotion 1973, l'un de ces groupes se réunissait à Turgeau chez Mme Antoine Gabriel, la mère de Jacques Gabriel (« Jacques Haut » (de taille), pour le distinguer de l’autre Jacques Gabriel, « Jacques Dent »). Il était composé de Jacques Gabriel, Lionel Henriquez, Lionel Fanfan, Leslie Augustin, Raymond Mondésir et Fritz Longchamp. Après leur graduation, certains d’entre eux rejoignirent l’administration publique, d’autres préférèrent intégrer le secteur privé ou le secteur parapublic. Ainsi, Raymond Mondésir et Jean Cadet étaient recrutés par « Le Ciment d'Haïti ». Première fatalité, ces deux derniers ont perdu la vie à la suite d’un accident de la route en revenant de leur longue journée de travail à « Le Ciment d’Haïti ». Le groupe pris un gros coup. Mais on ne choisit pas la date de sa mort. Le cœur blessé et l’âme endolorie, les autres membres du groupe acceptèrent le départ pour l’Orient éternel de deux des leurs. Leslie Augustin et Lionel Henriquez furent parmi les membres de la promotion Maurice Salomon qui intègrent le Ministère des Travaux Publics, Transports et Communications (MTPTC). L'ingénieur Augustin fit carrière au ministère en occupant différents postes aux services centraux et en province. Jusqu’à tout récemment, il était Directeur départemental du Nord d'où il a été rappelé pour occuper le poste d'Assistant-directeur de la direction des travaux publics. En 1984, l'ingénieur Augustin fut victime d'une rupture d'anévrisme, il a été opéré avec succès et repris ses activités sans problème apparent. Et le samedi 25 avril en cours, il s'est réveillé avec des difficultés d'élocution. Conduit immédiatement à l'hôpital, il n'a pas pu être sauvé. Quant à Lionel Henriquez, pendant qu’il était encore étudiant, il enseignait les mathématiques aux Cours privés Roger Anglade. Après ses études, il entra au MTPTC. Voulant ouvrir davantage l’horizon de ses connaissances, il intégra la première promotion de la Faculté des sciences humaines de l’université d’État d’Haïti en 1975. Puis, il partit pour Cordoba (Argentine) où il décrocha un diplôme de maîtrise en Transport. À son retour au pays, il intégra la direction des transports du MTPTC. Un peu plus tard, il mit le cap sur la France en vue d’approfondir ses études en transport. Ses études parisiennes une fois bouclées, il revient au pays. Il est nommé Directeur de la Compagnie nationale de transport (CONATRA). Après son départ de cette institution en 1986, il revint au MTPTC où il déploya ses grandes qualités de leader et démontra une fois de plus sa grande connaissance des hommes et des institutions haïtiennes. Il fut le premier responsable de la Coordination des organismes sous tutelle (COAST) du ministre des TPTC, cellule mise en place en 1988 qu’il marqua de son empreinte indélébile. Le pays doit à l’ingénieur Henriquez l’ouverture des conseils d’administration de la Centrale autonome métropolitaine d’eau potable (CAMEP) et de l’Électricité d’Haïti (EDH) aux groupes organisés de la société civile. Son poste de Responsable de la Coordination des Organismes Sous Tutelle (COAST) du Ministre des TPTC lui donna toute latitude pour savoir ce que faisaient, l’Autorité aéroportuaire nationale (AAN), l’Office national de l'aviation civile (OFNAC), le Service maritime de navigation d'Haïti (SEMANAH), le Conseil National des Télécommunications (CONATEL), le service de Géodésie et de Cartographie qui sera absorbé par le Centre national de l'information géo-spatiale (CNIGS)), le Bureau des mines et de l’énergie (BME), l’Électricité d’Haïti (EDH), l’Office national du cadastre (ONACA), le Service métropolitain de collecte des résidus solides (SMCRS) devenu Service national de gestion de résidus solides (SNGRS), le Laboratoire national des bâtiments et travaux publics (LNBTP), la Centrale autonome métropolitaine d’eau potable (CAMEP), le Service national d’eau potable (SNEP), ces deux organisme fusionneront pour devenir l’actuelle Direction nationale de l'eau potable et de l'assainissement (DINEPA). En même temps, il reprenait ses activités d’enseignant mais cette fois-ci, au niveau universitaire. Au Centre technique de planification et d’économie appliquée (CTPEA), il fut très apprécié par ses étudiants qui pour rien au monde ne rataient un de ses cours. En 1995, il sortait d’une semi-retraite pour devenir chef de cabinet du ministre des MTPTC, le géographe Georges Anglade appelé en catastrophe pour tenter de sauver le MTPTC du naufrage. Aidé par son chef de cabinet qui sut lui indiquer les changements à opérer et surtout les nouveaux paradigmes à mettre en place, le ministre Anglade s’acquitta si bien de sa mission que le MTPTC se redressa avant la fin de la première présidence de Jean-Bertrand Aristide et devint la pépite de la présidence Préval I. Mais quand des faiseurs de rois, dans la grande tradition haïtienne, obéissant à des pulsions négatives et voulant se débarrasser d’une personnalité gênante, lui offrirent le poste de Monsieur Anglade, la réponse de Lionel à ces avances fut un NIET sec et définitif. Ainsi était l’homme d’une intégrité à toute épreuve envers ses amitiés et ses idées. En 2008, à la suite de la signature de l'Accord de coopération entre Haïti, Cuba et le Venezuela, il devint coordonnateur de la commission tripartite. À ce titre, il supervisait le déploiement des coopérants cubains et vénézuéliens sur le terrain, la construction des hôpitaux de référence, l'espace garage pour abriter le matériel mécanique du CNE et du SMCRS et la construction des centrales thermiques du Cap-Haïtien, des Gonaïves et de Thorland. En 2011, il repartait en retraite pour de bon tout en continuant à s'intéresser aux questions de transport et de circulation, ce qui l’amenait de temps en temps à publier des articles sur la problématique du transport en Haïti, les conditions de transport des passagers et des marchandises, la tarification des transports publics et des carburants et particulièrement sur le transport des marchandises entre la République dominicaine et Haïti. L'un des sujets qui l’intéressaient pendant ses derniers jours, était la fermeture de certaines rues ou des tronçons de rue, en violation des règles régissant la matière. Pour ses archives, il prenait l'habitude d'écrire des lettres ouvertes sur des questions d'intérêt public, des lettres qu’il ne publiait pas. Le dimanche 26 avril, l'ingénieur Henriquez apprenait la mort de son condisciple et collègue, Leslie Augustin. La nouvelle le terrassa. Il était triste comme un bonnet de coton et se mit au lit le soir, malgré tout, comme à l’ordinaire. En général, depuis qu’il était étudiant, il se réveille toujours très tôt. Pourtant, au petit matin sa femme et son fils constatèrent qu'il ne s'était pas réveillé. Il était mort dans son sommeil, sans trop déranger, comme il a vécu. Deux hommes, deux parcours différents, mais liés par le même destin au point de partir l’un après l’autre dans un délai de vingt-quatre heures. Deux professionnels conscients de leur devoir envers leurs amis, envers les membres de leur famille et envers leur pays. Deux passionnés des chiffres, de la nature et du travail bien fait. Esprits disciplinés comme l’exige la rigueur des sciences mathématiques, amants de la solidarité humaine au point d’en faire un sacerdoce, amis sincères et attentifs, Leslie et Lionel sont vraiment partis trop tôt. La communauté haïtienne a perdu deux professionnels, deux hommes dont l’exemplarité mérite d’être signalée à tous ceux qui croient encore dans l’avenir de notre pays. Dieu a donné Dieu a repris que Son nom soit béni. Camarades ! Partez en paix, vous avez terminé votre journée. La promotion Maurice Salomon vous remercie pour votre dévouement, votre discipline et votre sens du bien commun. La patrie vous en sera toujours reconnaissante. Des Amis de Lionel et de Leslie