Le Nouvelliste
«Peyi lòk» : le calvaire sera long pour le système de santé haïtien
Nov. 7, 2019, midnight
« Malgré le manque de données statistiques formelles, nous savons que la crise impacte les structures de santé tant en amont qu’en aval de la livraison des services», constate le Dr Franck Généus qui fait également office de directeur médical de l'Hôpital adventiste d'Haïti. Il poursuit ce douloureux constat en mettant l'accent sur les nombreuses difficultés qui ont entaché l'offre des services de santé aussi bien dans les institutions privées que dans les institutions publiques quand celles-ci ne sont pas tout simplement effondrées. « C'est particulièrement le cas des grands hôpitaux publics de la zone métropolitaine », ajoute-t-il. En plus des difficultés rencontrées par les professionnels de santé et les malades, rendant toute dispensation de soins hypothétique, dans une note rendue publique ce mercredi 6 novembre, le Dr Franck Généus croit que « cette crise politique, devenue multisectorielle est destructrice et déstructurante pour le système de santé dans son ensemble. D’une part, elle porte un coup majeur à la capacité de la haute autorité de santé du pays à assurer son leadership et à maintenir le contrôle du système de santé, d’autre part, les structures hospitalières ont dû faire face à des défis dont la nature ou la magnitude bouleversent significativement leur aptitude à fonctionner». En plus des actes de violence directe ou indirecte subis par les hôpitaux en Haïti, le spécialiste en santé communautaire rappelle les circonstances qui ont occasionné le chemin de croix emprunté par les institutions sanitaires du pays. « Les institutions de santé se sont retrouvées face à leurs limites quand, toutes causes confondues, les assurances ne payaient plus, les banques n’étaient plus ouvertes au quotidien, les fournisseurs ne pouvaient plus délivrer les produits, les factures ne pouvaient plus être payées, les déchets hospitaliers s’accumulaient pendant plusieurs semaines d’affilée, les malades arrivaient sans ressources, les employés sur place étaient surmenés, les produits sanguins et dérivés étaient indisponibles, l’oxygène, l’essence, les gants, les solutés et tous les autres produits consommables devenaient des denrées rares.» «Il faut agir» À côté de ce sombre tableau, le président de l'Association des hôpitaux privés d'Haïti pense que les acteurs doivent agir en vue de tirer le système de santé haïtien du feu destructeur qui plane au-dessus du pays. «Plus de 50 jours de "peyi lòk" ! C’est incompatible avec le fonctionnement optimal d’un système de santé aussi fragile que le nôtre. À cette date, il n’existe pas un bilan de l’impact réel de cette crise sur le bien-être et la santé des Haïtiens. On dispose de peu de données, mais le fait est qu'il faut agir ! Il est impératif que, dans son ensemble, tous les opérateurs du système de santé agissent ensemble et fournissent une réponse efficace à cette crise du secteur. Cette crise politique doit déboucher sur un système de santé complètement réformé, repensé et redéfini.» Pour y parvenir, le directeur médical de l'hôpital adventiste de Diquini esquisse des recommandations en 3 points. 1- L’État haïtien doit rapidement évaluer l’impact de la crise sur le bien-être global de la population et déclarer le pays ou certaines zones du pays en état de crise humanitaire ou en grande vulnérabilité. Des mesures exceptionnelles doivent être prises dès maintenant pour assister la population en matière de soins et de services de santé. Si l’État ne reconnaît pas la situation de crise humanitaire, nous continuerons à traiter des problèmes exceptionnels avec des solutions de routine, inefficaces même en temps normaux. 2- Tous les secteurs de la vie nationale doivent se rallier aux causes nationales prioritaires en matière de droit à la vie et de droit à la santé. Des partenariats entre les secteurs publics et privés doivent se mettre en place et adresser au moins trois atteintes majeures à l’intégrité du citoyen haïtien ; l’accès au sang en quantité et en qualité pour tous les malades, le droit de circuler pour tous et en particulier pour les vulnérables, les urgences et les travailleurs de santé, l’accès à des services d’urgences accessible à tous. 3- La fin durable de la violence systématique et de la crise nationale par les moyens nécessaires, y compris par le dialogue politique, inclusif et multisectoriel. Omniprésent, au fait et au prendre, depuis le début du phénomène « Peyi lòk » ayant de graves répercussions sur la sûreté du système de santé haïtien, le Dr Franck Généus a conscience que l'après-crise sera le plus dur, le plus long et le plus douloureux pour le secteur médical. Cependant, il exhorte tous les acteurs à ne pas s'engluer dans le spiral du pire. «Faisons en sorte que cette crise ne soit pas le commencement de la fin pour Haïti, mais plutôt l’étincelle qui enflammera notre détermination à nous renouveler nous-mêmes, à inventer une meilleure version de nous-même et à sauver notre pays. Parce que c’est possible, parce que nous le méritons et parce que Haïti doit changer !»