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Le Nouvelliste

La pandémie de COVID-19 et les patients atteints de cancer en Haïti

July 9, 2020, midnight

Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré comme pandémie (épidémie à l’échelle mondiale) le Syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) causé par le nouveau coronavirus 19 (rebaptisé SARS-CoV2), communément appelé COVID-19 1. Dans sa démarche d’optimiser la prise en charge des patients atteints de COVID-19, l’OMS a identifié les patients les plus susceptibles de développer la forme sévère de la COVID-19. La prise en charge des patients avec ces comorbidités doit donc être renforcée. Dans ce groupe de patients dit à haut risque se retrouvent ceux atteints des maladies chroniques, dont le cancer. Dans les pays à ressources limitées comme Haïti, le cancer, selon les récentes publications, se retrouve en quatrième position parmi les maladies non transmissibles 2. Entre 2000 et 2020, les experts médicaux ont prédit une augmentation de 73 % du nombre de cas de cancer dans ces pays dont fait partie Haïti 3. Cette réalité est bien exprimée dans une publication au congrès 2019 de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) par l’un des principaux centres de prise en charge du cancer en Haïti : 1481 cas de cancers ont été diagnostiqués entre 2016 et 2018, respectivement 282 en 2016, 513 en 2017 et 686 en 2018 4. Cette tendance illustre bien l’augmentation significative des nouveaux cas de cancer en Haïti. Le cancer n’est malgré tout pas une priorité sanitaire pour le Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP), en témoignent les nombreuses limites dans la prise en charge (médicaments peu disponibles et accessibles, pas de radiothérapie) et surtout l’absence de recommandations spécifiques pour les patients cancéreux atteints de COVID-19 dans les documents en vigueur en Haïti. De nombreux patients qui ont le privilège de se faire traiter à l’étranger sont restés coincés en Haïti, incapables de poursuivre correctement leur traitement. Face à ce tableau sombre sur le cancer en Haïti et une pandémie de COVID-19 avec plus de 6000 cas confirmés au 2 juillet 2020 au sein de notre population, il est judicieux de porter un regard particulier sur cette sous-population de patients vulnérables tant par la chronicité de leur maladie que par la réalité de la COVID-19. La plupart des patients traités pour cancer en Haïti arrivent à un stade avancé et reçoivent la chimiothérapie, une des modalités de traitement de la maladie cancéreuse. Comme tout traitement, la chimiothérapie anticancéreuse a des effets secondaires notamment une anémie, une neutropénie (baisse d’une sous-population de globules blancs chargées de combattre les infections) pour ne citer que ceux-là. Ces patients ont donc un système immunitaire affaibli dans les 7-14 jours qui suivent l’administration du traitement, ce qui les rend plus vulnérables au virus de la COVID-19. Une étude publiée le 10 juin 2020 dans l’European Journal of Cancer (EJC) souligne que l’administration des médicaments de chimiothérapie augmente le risque d’infection chez les patients qui la reçoivent et ils sont donc plus à risque de contracter des infections virales comme la COVID-195. De ce fait, la mortalité liée à la COVID-19 est assez élevée chez les patients atteints de cancer. Elle varie selon les études de 27 % pour les patients ne nécessitant que d’oxygénothépie à 38% pour ceux nécessitant une prise en charge en soins intensifs6. 21 % des patients atteints de COVID-19 avec un PCR-positif au frottis nasopharyngé meurent dans les 25 jours après le début des premiers symptômes de la COVID-19.7 Il est donc recommandé que ces patients soient monitorés par un personnel médical compétent de manière rigoureuse et rechercher systématiquement les symptômes comme la fièvre, la faiblesse musculaire, le mal de gorge, une perte d’appétit, des troubles du sommeil, voire l’insomnie et surtout les difficultés respiratoires. Face à cet état de fait, la famille doit être plus sensible à l’apparition de nouveaux symptômes chez leurs proches atteints de cancer et sous chimiothérapie. L’appel en urgence d’un patient cancéreux sous chimiothérapie ou de l’un de ses proches aux autorités sanitaires doit être pris en considération et selon les recommandations de l’European Society for Clinical Oncology (ESMO), il doit systématiquement bénéficier d’un test de diagnostic pour la COVID-19 tout en restant sous surveillance médicale 8. L’hormonothérapie est une autre modalité de traitement du cancer disponible en Haïti. Ce traitement est largement utilisé pour les cancers du sein et de la prostate, les deux cancers les plus prédominants respectivement dans les deux sexes. Elle consiste en l’arrêt de la production des hormones qui contribuent à la croissance des cellules cancéreuses. Pour ces patients recevant l’hormonothérapie, il faut surveiller les signes de récidive du cancer, ce qui pourrait aggraver leur état de santé mais aussi déceler plus rapidement chez eux les symptômes liés à la COVID-19. Une notification doit être faite aux prestataires de soins sur la prise de l’hormonothérapie dès qu’une ligne de prise en charge pour la COVID-19 est décidée par ces derniers. Concernant la prise en charge de la COVID-19 chez les patients cancéreux, une récente étude présentée et publiée au congrès 2020 à l’ASCO (étude CCC19) a clairement démontré que l’administration de chloroquine ou d’azithromycine n’est associée à aucun bénéfice thérapeutique, et que l’association des deux médicaments augmente le risque de décès pour cause cardiaque910. Ces deux médicaments sont donc déconseillés chez les patients avec cancer, or les protocoles de prise en charge en Haïti les recommandent encore pour tous patients atteints de COVID-19. Il est donc impératif de modifier les algorithmes de prise en charge : 1- Un paragraphe clair et précis doit être rédigé pour bien expliquer aux prestataires de soins les étapes à suivre pour la prise en charge des patients cancéreux comme cela a été fait pour ceux atteints du VIH et de la tuberculose 2- Il faut mettre en place un registre national de surveillance des patients cancéreux avec COVID-19, alimenté par les principaux centres de prise en charge des cancers et de COVID-19. 3- Les centres de prise en charge de la COVID-19 doivent également notifier les centres de prise en charge des cancers en vue d’une prise en charge concertée des patients cancéreux atteints de COVID-19. Une fois passé l’étape de l’épidémie de COVID-19, les actions doivent se poursuivre pour améliorer la prise en charge des patients avec cancer par l’implémentation d’un Programme national de lutte contre le cancer (PNLC). Cette instance devra s’assurer de la disponibilité des médicaments essentiels, garantir l’accessibilité aux différents traitements et finalement mettre en place le centre de radiothérapie, projet mis en suspens depuis plusieurs années. Ce programme permettra aux patients atteints de cancer en Haïti de ne plus se retrouver seuls face à leur cancer donc l’impact est à la fois physique, moral, social, familial et financier. Nous avons pour devoir de mettre en place une politique de prise en charge beaucoup plus intégrée et beaucoup plus moderne permettant à ces patients de recevoir les meilleurs traitements disponibles, car le but du traitement du cancer est non seulement de guérir les patients diagnostiqués à un stade précoce, mais aussi d’allonger l’espérance de vie et d’améliorer la qualité de vie de ceux qui se retrouvent à un stade avancé de la maladie (maladie métastatique). S’il est vrai que la pandémie de COVID-19 a encore une fois mis à nu les grandes défaillances du système sanitaire haïtien, elle représente un défi important qui doit nous porter à changer de paradigme pour une meilleure prise en soin de nos concitoyens, particulièrement ceux souffrant de cancer, les véritables oubliés du système sanitaire haïtien. Dr Lynn Gabrielle ALEXIS, Oncologie médicale / Médecine interne, Dr Joseph BERNARD junior, Oncologie médicale / Maladies infectieuses ________________ Références European Society for Clinical Oncology , 2020. CANCER PATIENT MANAGEMENT DURING THE COVID-19 PANDEMIC, s.l.: European Society for Clinical Oncology Joseph Bernard, Lynn Gabrielle Alexis, Lenz Sacha Christyl Pierre, Vincent DeGennaro, 2019. A threeyear epidemiological profile of cancers managed by a Haitian cancer program from 2016 to 2018.. American Society of Clinical Oncology, 37(15), p. e13079. Nancy Refilwe Phaswana-Mafuya, Dimitri Tassiopoulos, S. Mkhonto, Adlai Davids, 2011. Epidemiology of chronic non-communicable diseases in low and middle income countries - a review. New-York: Nova Science Publishers. Nicole M Kuderer, Toni K Choueiri, Dimpy P Shah, 2020. Clinical impact of COVID-19 on patients with cancer (CCC19): a cohort study. Lancet, Volume 395, p. 1907–18. Paul Gougis, M.D. Charlotte Fenioux MD, Christian Funck-Brentano MD-PhD et all, 2020. Anticancer drugs and COVID-19 antiviral treatments in cancer patients: what can we safely use?. European Journal of Cancer. Souad Assaad, Virginie Avrillon, Marie-line Fournier et all, 2020. High mortality rate in cancer patients with symptoms of COVID-19 or without SARS-COV-2on RT-PCR. European Journal of Cancer, june.pp. 1-9. World Health Organization, W., 2020. World Health Organization. [Online] Available at: http://www.imo.org/fr/MediaCentre/HotTopics/Pages/Coronavirus.aspx [Accessed june 2020].