Le Nouvelliste
Mimose A. Janvier, une figure emblématique de la magistrature haïtienne est partie !
July 1, 2020, midnight
Mimose Alexandre Janvier est le prototype du magistrat honnête et intègre que l’on voudrait répliquer à tous les échelons du système judiciaire. Qu’il s’agisse des collègues qui l’ont côtoyée ou des avocats qui l’ont vue à l’œuvre, tous se plaisent à reconnaitre le parcours exemplaire de cette femme, qui fut aussi femme de pasteur. Si la Covid-19 a empêché qu’on rende un hommage bien mérité à la défunte, elle n’est cependant pas partie dans l’indifférence. Le vendredi 26 juin 2020, une soirée d'hommage s’est tenue en ligne sur Zoom à la mémoire de celle qui de 2017 à 2020 a été présidente du Chapitre haïtien de l’association internationale des femmes juges (CHAIFEJ). Des veillées funèbres ont été organisées le samedi 27 juin 2020 à l’auditorium de la mairie de Delmas de 4h à 6h p.m. et en l’Église baptiste de Flon de 7h à 10h p.m. tandis que les funérailles de ce brillant juge ont eu lieu d’une part à l’École de la magistrature entre 8h a.m. à 12h p.m. et en l’Église baptiste de Flon de Léogâne entre 2h p.m. et 5h p.m. Née aux Gonaïves, le 17 décembre 1960, d’une famille de neuf enfants, Mimose Alexandre Janvier fait ses études primaires chez les sœurs Marianites de Sainte-Croix au Cap-Haïtien et ses études secondaires au Collège Catherine Flon à Port-au-Prince. Licenciée en droit et certifiée en sciences de l’éducation, détentrice d’une maîtrise en administration judiciaire et mémorante en maîtrise en droit international public à l’université de Montréal, elle mène tambour battant deux carrières à travers lesquelles elle met ses compétences au service de la société haïtienne. Mimose fait partie de la première promotion de l’École de la magistrature en 1997-1998. Elle commence sa carrière comme juge au tribunal de paix de Croix-des-Bouquets, puis occupe tour à tour les fonctions de substitute commissaire du gouvernement au parquet de Port-au-Prince et de juge d’instruction au tribunal de première instance de cette même juridiction. Poursuivant sa marche ascendante vers le sommet de la magistrature haïtienne, elle est promue juge à la cour d’appel de Port-au-Prince en 2015 et rêvait de couronner sa carrière à la Cour de cassation. « Un rêve qu’elle aurait réalisé si elle n’avait été fauchée par la mort », confie son amie et collègue la magistrate Gertha Elias. Elle a suivi plusieurs séances de formation de formateurs (cycle court) à l’École de la magistrature et au CHAIFEJ, participé à de nombreux séminaires en Haïti ainsi qu’à l’étranger portant sur son domaine de spécialisation qui était les crimes économiques et financiers et a effectué plusieurs stages en France, plus précisément aux tribunaux de grande instance de Bobigny et de Marseille, au niveau des juridictions spécialisées en infractions économiques et financières. En 2012, la magistrate fonde le kindergarten Paradis des Petits et l’Institution Mixte le Paradis à Léogâne, cette ville dans laquelle elle a toujours vécu. Parallèlement, la magistrate Janvier est aussi formatrice à l’École de la magistrature et au CHAIFEJ, où elle animait les modules « Infractions économiques et financières » / « Traite des personnes ». Grâce aux études qu'elle a menées, elle a été désignée membre du comité d’experts haïtiens sur le mécanisme d’application de la Convention des Nations unies contre la corruption et prêtait ses services à l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC). Dans sa famille, Mimose Alexandre Janvier était très appréciée pour sa grande disponibilité. En effet, l’épouse du pasteur Rosemond Joseph, la mère adoptive de Carl Josué Janvier, veillait au besoin de chacun. Aimée de tous, des plus âgés aux plus jeunes, elle était un peu comme une rassembleuse permettant à la grande famille de se retrouver et de rester en harmonie. « La magistrate Janvier était une grande conciliatrice au sein de la magistrature haïtienne, elle ne pouvait pas accepter que deux magistrats ne puissent pas s’entendre. Dès que survenait un litige entre deux juges, elle se chargeait de les appeler à la table de conciliation. C’était une maman spirituelle. C’est peut-être à cause de sa foi chrétienne qu’elle a pu développer cette qualité-là », confie le juge Jean Wilner Morin, actuel président de l’ANAMAH qui se dit anéanti par le départ de sa collège. Un avis que partage la magistrate Maggie Florestal.« C’était une belle âme, une personne généreuse. Une rassembleuse, elle qui disait : « Mesdames, calmez-vous quand la tension monte ». Respectable et respectée, la juge Janvier est de ces juges qui appliquent à la lettre les vœux prononcés lors de leur prestation de serment avant leur entrée en fonction. Elle avait fait du « Je jure d’observer la Constitution, d’appliquer, dans l’exercice de mes fonctions, les lois en vigueur, d’aider à la distribution d’une saine et impartiale justice et de me conduire, en tout, comme un digne et loyal magistrat » son credo. « la Magistrate Janvier était d’une rectitude et d'une honnêteté indescriptible. Sa réputation ne souffrait d’aucun doute, d’aucune égratignure. Elle était, comme la femme de César, au-dessus de tout soupçon. Elle appliquait à la lettre la loi. Même si vous étiez son amie, si elle devait appliquer la loi contre vous, elle n’hésiterait pas. Pour moi, elle était cette femme aux yeux bandés qui représente la justice », se rappelle le juge Jean Wilner Morin. « Un juge intègre et honnête. Une magistrate hors pair. Ou pa janm tande non li nan okenn vye dosye », lâche la magistrate Farah Cadet. Elle ne ménage jamais son courage pour protéger dans ses actions et ses prises de positions les droits de la personne. Est-ce pourquoi elle se verra décerner en 2011 le prix Roc Cadet par SOS Liberté. Appliquée, son bureau était toujours en activité même en période de crise. « C’était une femme très ponctuelle. Même lorsqu’elle habitait à Léogâne, si elle avait des cours à 8 heures du matin, elle était toujours là », ajoute la magistrate Élias. « Je ne l’ai jamais vue prendre un siège en retard », retient le juge Florestal, sa consœur à la cour d’appel de Port-au-Prince. Le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, dans une note publiée en la circonstance, soulignait : « Ce décès est une perte pour la magistrature et la communauté judiciaire en général. La juge Mimose Janvier s’est toujours signalée par son sens de l’éthique, sa compétence, son impartialité et sa rectitude » Son assiduité à la tâche a inspiré plus d’un. « Quand je suis devenu magistrat en 2010, c’est elle qui m’a insufflé la volonté de me spécialiser dans le domaine des crimes financiers. Elle était avec Yves Altidor mes modèles dans ce domaine », précise le juge Morin. Son savoir n’était pas mis en doute non plus. Selon Farah Cadet, magistrate à la cour d’appel de Port-au-Prince et membre de CHAIFEJ, qui a pris la parole au nom du CHAIFEJ : « Nous avons perdu notre baronne de la lutte contre les crimes financiers, plus particulièrement de la lutte contre la corruption, cette élève de la vie, insatiable d’apprendre au jour le jour et soucieuse de peaufiner le travail à fournir dans l’exercice de ses fonctions. » Au nombre de ses réalisations figure l’ANAMAH. En effet, Mimose Alexandre Janvier est l’un des membres fondateurs de l’Association nationale des magistrats haïtiens en 1998, entité à laquelle elle est restée très attachée. « C’est quelqu’un qui portait l’ANAMAH dans son cœur. La magistrate Janvier n’a jamais manqué à une de nos Assemblées générales. Je l’ai vu se débrouiller coûte que coûte pour arriver avant la fin de la dernière assemblée afin de pouvoir voter. C’est son vote ainsi que celui de Wendelle Coq, qui m’ont porté à victoire pour la présidence de l’ANAMAH en 2018 », confie Me Morin. On la trouvera aussi aux côtés des juges Durin Duret Jr., Merlin Toussaint, Robert Jourdain, luttant et mettant la pression pour l’installation en 2012 du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), qui avait été créé par la loi de novembre 2007. Dans une magistrature où moins de 10 % du millier de juges sont des juges, celle qui s’est éteinte à 59 ans 6 mois et 2 jours des suites d’une maladie courageusement supportée aura tracé un parcours extraordinaire. Avec humilité, rigueur et professionnalisme, la magistrate Janvier s’est attelée à la lutte contre la corruption et les crimes financiers et s’est érigé en modèle de droiture et d’excellence dans l'accomplissement de ses fonctions.