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Le Nouvelliste

Hôpital St Damien : un renfort indispensable aux familles haïtiennes

Feb. 3, 2021, midnight

L’eau coule avec éclaboussure sur ses mains affaiblies par le temps. Sa paume gauche effleure à peine son poignet. Nous sommes à l’hôpital St-Damien auprès des dispositifs de lavage de mains installés pour lutter contre la transmission du Covid-19. Laura, une sexagénaire, laisse ruisseler dans le lavabo les gouttelettes d’eau qui humectent ses doigts. Angeline prend rapidement le relai. Elle se dépêche pour retourner avec son fils à la salle de triage, pièce dans laquelle les médecins identifient les enfants dont les cas nécessitent une admission à la clinique externe. St-Damien est un hôpital materno-infantile situé dans la commune de Tabarre. Il s’agit de l’unique centre hospitalier qui s’occupe du cancer infantile en Haïti. Fondé depuis 1989 par le père Richard Fréchette, l’établissement constitue un réel secours aux personnes vulnérables de l’aire métropolitaine. Selon la directrice exécutive, Dr Jacqueline Gautier, l’hôpital St-Damien a pour principale mission d’offrir des soins de qualité avec la compassion chrétienne. « Personnellement, comme pédiatre, spécialiste en maladies infectieuses et spécialiste en administration hospitalière, je tiens au mot « qualité ». Ce n’est pas parce qu’on soigne des familles vulnérables qu’on n’apporte pas la qualité. Nous allons jusqu’au bout de ce qui peut être possible en Haïti pour soigner les gens », affirme la directrice. Vêtues de blouse blanche, deux infirmières remplissent de longs formulaires. Malgré leur diligence,  plusieurs parents semblent s’impatienter. Pour faire passer le temps, Angeline berce doucement son fils. « Je fréquente l’hôpital depuis le 21 avril 2017 », confie la jeune maman. Et c’est une chance d’avoir un tel hôpital dans le pays. Pas moins de quinze (15) personnes, accompagnées de leurs enfants, masques sur le visage, attendent dans la salle de triage.  A un (1) mètre d’Angeline, Marco s’assied avec désinvolture. Il attend qu’une infirmière l’appelle d’un moment à l’autre. « Je suis arrivé à l’hôpital dès 7 heures », se félicite Marco, qui précise qu’en 2004, l’hôpital St Damien était le meilleur centre hospitalier existant sur le territoire. Il y emmène ses enfants depuis plus de dix ans. « Pour avoir fréquenté l’établissement pendant longtemps, je peux confirmer un ralentissement du service », se désole Marco. M.  Phadoul Amisial, directeur du développement du personnel, confirme la réduction de certains services de l’hôpital. « Autrefois, nous étions  capables de recevoir 100 patients par jour.  A cause des problèmes budgétaires nous avons réduit le nombre à 50. Et depuis janvier 2021, l’hôpital ne peut recevoir que 25 patients par jour » explique ce cadre qui travaille à l’hôpital St-Damien depuis plus de 25 ans.  Auparavant, l’hôpital avait une capacité de 230 lits. Cependant, les difficultés financières ont conduit les responsables à réduire certains services, tels que la clinique externe, le programme de malnutrition et la capacité de la salle d’urgence. Ces difficultés sont dues en grande partie à la fulgurante appréciation de la gourde en septembre 2019. « Puisque nous recevons notre financement en devise étrangère, nous avons perdu 40% de nos ressources financières dans les opérations de change », nous apprend la directrice. St-Damien, un hôpital de référence et de qualité L’hôpital St Damien est sans doute l’un des plus grands centres hospitaliers du pays. Avec ses murs multicolores, l’immeuble est d’une propreté frappante.  L’hôpital comprend une unité de direction médicale et 17 départements, notamment une unité d’anesthésiologie pour les femmes enceintes et pour les enfants, un service d’urgence, un service de soins intensifs, un service de néonatologie, une clinique externe, un département de VIH SIDA, un département de service communautaire, un département de surveillance et évaluation, une pharmacie et un laboratoire, entre autres. Reconnu pour ses soins de qualité, l’hôpital offre en temps normal des soins préventifs et des soins curatifs à plus de 60 000 personnes par an, dont 3 000 hospitalisations.  « Nous voyons les maladies les plus courantes jusqu’aux maladies les plus compliquées ; par exemple : les maladies cardiaques, congénitales, chirurgicales», informe Dr Gautier avec satisfaction. Dans ce souci de qualité, l’hôpital forme, depuis 2013, des chirurgiens pour qu’ils deviennent des chirurgiens-pédiatres, grâce à un partenariat avec une Société de chirurgie pédiatrique italienne. «Jusqu’à 2018, on avait des cardiologues d’adultes qui prenaient soin des maladies cardiaques des enfants. Nous avons envoyé une de nos pédiatres étudier la cardiologie pédiatrique », explique Dr Gautier. Désormais, depuis 2019,   l’hôpital peut réaliser des opérations cardiaques pour les enfants à travers un partenariat avec Gift of Life international. En ce qui concerne le service de maternité, l’établissement dispose d’une unité pour les accouchements à risque qui présentent certaines complications (éclampsie, hémorragie, etc.)  Ainsi, 40 lits de maternité sont disponibles en dépit des difficultés auxquelles l’hôpital est confronté. Après le tremblement de terre de janvier 2010, l’hôpital St Damien a développé considérablement sa maternité (2 689 naissances en 2018) et son service de néonatologie pour répondre aux besoins croissants, a fait savoir M. Phadoul Amisial. « Nous prenons notre travail au sérieux pour avoir ce que les français appellent ‘la permanence des soins’.  C’est pourquoi l’hôpital fonctionne 24/7 » confie Dr Gautier. Angeline affirme être satisfaite de la qualité du service offert. Si elle s’est plainte de la hausse des frais de consultation, elle avoue que l’hôpital St Damien offre un chaleureux accueil et des soins de qualité. « Avant, je devais payer 100 gourdes  pour la consultation, maintenant je dois payer 400 gourdes. Sinon, tout est resté comme avant », explique Angeline. M. Phadoul a précisé que ce  réajustement est malheureusement causé par le déficit budgétaire. Cependant, la participation des parents reste un geste symbolique malgré tout. « Pour un drainage thoracique, le parent paie 20 000 gourdes tandis qu’ailleurs c’est 100 000 gourdes. Et nous payons le médecin qui fait le travail au prix du marché », explique M. Amisial. Pour l’instant, 51 médecins, dont une dizaine d’obstétriciens et une dizaine d’anesthésiologistes, desservent la communauté. Solidarité nationale pour soutenir St Damien Si l’hôpital arrive à offrir des services de qualité au meilleur des prix, c’est grâce à la contribution de ses partenaires. S’il a sonné l’alarme de ses bailleurs internationaux, c’est à cause du taux de change, du fait que le financement ne suffisait pas à répondre à ses besoins. « Nous voyant dans l’obligation de réduire progressivement nos services, voire d’en fermer certains, nous avons demandé à nos compatriotes de collaborer. Et nous sommes contents que notre appel ait été entendu », se réjouit la directrice. Depuis décembre 2020, des particuliers et des compagnies ont commencé à faire des dons à l’hôpital. L’établissement avait fixé un objectif de 70 000 dollars et a reçu pour le moment 43 000 dollars.  C’est dans cette perspective que l’entreprise NASSAGROUP, une compagnie d’assurance œuvrant en Haïti depuis les années 80, a contribué à soutenir l’hôpital St Damien à travers un don d’1 million de gourdes. Selon les responsables de la NASSAGROUP, ce don rentre dans le cadre de leur politique interne de responsabilité sociale, et la participation en tant qu’entreprise privée haïtienne est importante voire plus,  nécessaire. Par ce geste, elle souhaite encourager plus d’initiatives sociales au sein des entreprises privées. Malgré la conjoncture et les défis médicaux, il est toujours possible d’apporter sa petite contribution. « Cette année-ci, par exemple, au lieu de cadeaux physiques aux clients, nous avons fait ce don en leur nom », affirment les responsables de l’entreprise. « Nous allons mettre fin à l’appel à contribution le 31 janvier 2021 et nous ne sommes pas trop loin de notre but », estime Dr Gautier. La Nassa n’a pas donné  ce qu’elle a de surplus, mais elle a partagé les fruits de son dur travail pour aider des milliers de familles et garder vivante la mémoire de St Damien. Petite historicité de l’hôpital L’Hôpital St Damien relève de l’association humanitaire « Nos petits frères et sœurs ». Cette association  existe depuis 1954 et est présente dans 9 pays. Cependant, c’est seulement en Haïti qu’elle dispose des deux pôles Santé et Education. Après le départ de Duvalier, un prêtre américain est venu en Haïti pour ouvrir un orphelinat. Comme certains orphelins étaient parfois malades, il a ouvert une petite clinique à Pétion-Ville, devant l’espace qui loge actuellement l’Hôtel Oasis. L’orphelinat, pour sa part,  a été construit à Kenscoff. La clinique a grandi depuis 1989 et  a été reconstruite à Tabarre, jusqu’à devenir un hôpital de plus de 200 lits. Un modèle à reproduire Aujourd’hui, certains enfants de l’orphelinat sont à l’Université, d’autres sont même devenus médecins. Les responsables de St Damien se donnent entièrement pour garantir le bon fonctionnement de l’Institution et servir leur pays. « A cause des problèmes politiques, les spécialistes sont obligés de laisser le pays », regrette Laura qui refuse de dire un mot de plus. «Lorsque le pays est ‘fermé’, nos soins sont encore plus valables parce que d’autres hôpitaux, qui n’ont pas autant de moyens que nous, ne disposent pas de transport et n’ont pas la capacité d’héberger les gens qui ne peuvent pas retourner chez eux » estime Dr Gautier. Dans la salle de triage, le visage d’Angeline s’éclaircit d’un trait. Elle ne sait toujours pas quand elle rentrera chez elle. Mais on vient de citer son nom. Un médecin verra bientôt son fils. Ses yeux reflètent alors l’espoir de toutes les mères du monde. Il est 10 heures et quart. Patrick Erwin Michel