Le Nouvelliste
Les chirurgiens-dentistes, grandes victimes de la Covid-19 en Haïti
May 14, 2020, midnight
L'Organisation mondiale de la santé estime que près de 3,5 milliards de personnes dans le monde sont touchées par des affections bucco-dentaires. Cette branche médico-chirurgicale, souvent négligée en Haïti, provoque des maladies et affections qui sont à l'origine d’une importante charge de morbidité dans de nombreux pays et font ressentir leurs effets tout au long de la vie. Le Dr Jacques Denis, président de l'Association dentaire haïtienne, considère l'apparition de cette pandémie comme un coup de massue à cette profession qui souffre de tous les maux. « Les autorités sanitaires ne pensent pas véritablement aux chirurgiens-dentistes. On essaie de nous accommoder en fonction de cette nouvelle réalité aux multiples conséquences», lâche le médecin. Le Dr Denis est également vice-doyen de la Faculté d'odontologie de l'UEH. À ce titre, il explique que la grande clinique bucco-dentaire de la Faculté d'odontologie est fermée, faute notamment de matériel de protection individuelle. «Notre champ de travail principal est la cavité buccale. Donc nous sommes à la fois les plus exposés et les plus affectés par cette pandémie. Il ne suffit plus de stérilisation des instruments. À cause des risques liés désormais au crachat des patients, après chaque intervention, il faut désinfecter tous les meubles d'une salle de consultation», a fait remarquer le chirurgien-dentiste. Pour le côté financier, le Dr Jacques Denis constate que la diminution de la quantité des patients fait augmenter considérablement le coût d'une consultation. La situation se complique pour le professionnel de santé ainsi que les patients, puisque désormais, il doit sélectionner les cas les plus urgents. Même son de cloche pour le Dr Esdras Excellent Jean-Louis. Chirurgien-dentiste affecté à l'hôpital La Providence des Gonaïves, c'est le matériel de protection qu'il achète pour sa pratique privée pour les consultations dans cet hôpital public. « Non seulement aucun message n'a été adressé à l'attention des chirurgiens-dentistes qui sont contraints parfois de fermer leur clinique, de plus il n'y a aucun matériel de protection individuelle dans les centres hospitaliers publics », déplore le Dr Esdras Excellent Jean-Louis. Le cabinet du chirurgien-dentiste peut être une source de propagation de la maladie si aucune mesure de précaution n'est appliquée. Le Dr Jean-Louis souligne que les dentistes ne savent pas quoi faire ; chacun essaie de se protéger à sa manière, quitte à réduire le nombre de consultations. Aucune directive n'a été donnée à cette catégorie de professionnels. « Les chirurgiens-dentistes se trouvent dans un dilemme. Par rapport au risque et au manque de matériel de protection, il est difficile de travailler et de nous exposer sans l'appui de l'État, notamment dans les hôpitaux publics. En revanche, souvent c'est une surinfection qui tue les gens dans le cadre de cette pandémie. Dans ce cas, un simple nettoyage dentaire peut aider à prévenir une septicémie à l'avenir », analyse le Dr Sanley Civy Jean-Gilles, qui pense qu'il faut accompagner les chirurgiens-dentistes pour qu'ils continuent à accompagner à leur tour la population. Les douleurs dentaires sont parmi les plus intenses, elles représentent un grand motif de consultation dans les urgences. Souvent, cela ne peut pas attendre, les chirurgiens-dentistes doivent être en mesure de voir ceux qui souffrent. « On travaille dans la cavité buccale, on ne peut appliquer les mesures de distanciation sociale avec les patients ; tout ce qu'on demande, ce sont des mesures d'accompagnement », argue ce chirurgien-dentiste qui exerce au Cap-Haïtien et à Trou-du-Nord.