Le Nouvelliste
Dr Jessica Jeanniton, rien ne passe après tout...
Sept. 1, 2020, midnight
Âgée de 32 ans, Jessica Jeanniton est l'aînée et la fille unique d'une famille de trois enfants. «Il n'y a rien à ajouter, tout le monde la connaît sous le même angle. On répète tous la même chose. Elle n'a pas changé, elle est toujours cette personne», confie son mari, le Dr Vincent. Taciturne et introvertie, Jessica Jeanniton a traversé la vie d'un trait, sans relique, conservant le même goût, la même passion et le même désir: son amour pour les enfants. Philanthrope résolue, très jeune, elle rêvait d'une carrière dans l'humanitaire. Mettant les enfants au centre de son univers, à l'école, elle se voyait comme fondatrice d'un orphelinat qui aurait accueilli les démunis, les enfants abandonnés, ceux qui sont en quête d'un mieux-être pour en faire des hommes et des femmes au service de la société. Ce rêve, elle l'arrosait par son dévouement, son assiduité et sa discipline rarement égalés. «À l'école, elle était studieuse, généreuse et attachante», confie son mari d'une voix fluette. Membre de la fanfare et de la chorale de Sacré-Coeur, Jessica Jeanniton fond facilement dans le décor au point de ressembler à tout le monde. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'était pas conflictuelle. Elle tirait sa singularité de sa ligne de conduite, sa sagesse et sa quête d'excellence sans cesse renouvelée. Après avoir terminé ses études classiques en 2007 comme lauréate de sa promotion au baccalauréat, elle a opté pour la médecine. Elle lorgnait déjà la pédiatrie au bout du chemin. Elle voulait se rapporcher des enfants. Quittant sa zone de confort à l'Institution Sacré-Coeur de Turgeau, il a fallu une semaine pour que, à la préfac Univers 9, Jessica Jeanniton se révèlât aux autres. «Elle a été majorette de ma promotion à Univers 9. Pour être majorette, il fallait avoir les meilleures notes dès la première semaine. Elle était très brillante», raconte Dr Delvales Doccy qui la côtoyait à Univers 9. Elle a réussi le concours d'admission de la Faculté de médecine et de pharmacie de l'Université d'État d'Haïti. Dès sa première année, elle a galvanisé et séduit par sa générosité. «Elle était très appliquée. On multipliait la copie de ses cahiers pour préparer nos examens. Elle prenait toutes les notes avec minutie, mais le plus important, c'était sa générosité. Parfois ses cahiers s'égaraient entre nos mains, mais elle ne se mettait jamais en colère, elle achetait un nouveau et recopiait ses notes en se servant à son tour de nos copies», se souvient Dr Doccy Delvales. En 2009, la Faculté de médecine et de pharmacie a connu une grève qui paralysait toutes les activités rendant sa réouverture incertaine. Les mois se suivaient et la grève persistait Jessica Jeanniton a donc décidé de s'inscrire à l'UNDH en vue de poursuivre ses études médicales. Déterminée, elle n'a pas perdu une seule syllabe de sa détermination. Elle a su garder le cap malgré cette déconvenue. Elle poursuivait ses études comme si elle ne s'était jamais interrompue avec l'excellence pour horizon. Effort payant: elle a terminé lauréate de sa promotion de médecine à l'Université Notre-Dame d'Haïti, couronnée lors de sa graduation en décembre 2015. Amoureuse des enfants, de tous les enfants, férue des services de pédiatrie, elle a choisi sans détour la pédiatrie. «Elle a fait sa spécialité dans un programme dirigé par un consortium de l'Université Notre-Dame d'Haïti, l'hôpital Saint Damien et l'hôpital Bernard Mevs. Elle était dans son monde», précise le Dr Wilnet Junior Vincent, veuf du Dr Jessica Jeanniton, terassé par cette perte. Perfectionniste et exigeante envers elle-même, elle faisait tout avec amour et droiture, sans bavure comme l'eau qui décroît. «Elle fut un médecin qui s’est distingué par son intelligence, sa sagesse, son souci du bien-être de ses patients et son humanisme», témoigne le comité des anciens étudiants de la Faculté de médecine de l'Université Notre-Dame d'Haïti. «Médecin de formation et pédiatre de spécialité, Jessica Jeanniton fut un modèle d’abnégation, d’humilité, de sérieux et de savoir-faire», rappellent les pédiatres et résidents en pédiatrie du programme de formation dirigé par le consortium de l'Université Notre-Dame d’Haïti/Hôpital Saint-Damien/Hôpital Bernard Mevs. Pour les Drs Bitar, à la tête de l'hôpital Bernard Mevs, elle fut un modèle de médecin. «Cela ne nous arrive pas souvent de garder un médecin qui vennait à peine de terminer sa résidence. Elle a été une exception en ce sens parce qu'elle nous avait impressionnés par son intelligence depuis son stage en chirurgie sous notre direction quand elle a été étudiante. Son amour pour les enfants et sa discipline durant ses années de résidence ne laissaient personne indifférente. Elle faisait partie de notre staff à l'hôpital Bernard Mevs», expliquent les Drs Bitar, dévastés par cette disparition. Après sa résidence, elle est restée travailler à l'hôpital Bernard Mevs. Elle avait à peine 4 mois de carrière au poste pédiatre à l'hôpital Bernard Mevs avant qu'elle ne disparût comme les nuages que le vent poussait vers le soleil en fuite ce dimanche 23 août 2020. Courte aura été sa carrière en pédiatrie, mais importante sera la place qu'elle occupera dans le silence des souvenirs indicibles. Elle est partie avec son fils, mais ses oeuvres et son parcours exemplaire sont inamovibles. Comme écrivait si bien Louis Aragon : «Rien ne passe après tout si ce n'est le passant.»