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Le Nouvelliste

Des Haïtiens au cœur de Ponce…

Dec. 19, 2019, midnight

De San Juan à Ponce, la deuxième plus grande ville de Porto Rico, ce territoire caribéen constitué de montagnes, il faut un peu plus d’une heure de route en voiture. Le conducteur portoricain du camion va vite tomber amoureux du compas, la musique dansante haïtienne. Il n’y comprend rien certes, mais le rythme l’emporte doucement. Il augmente un peu le volume... Une quinzaine de professionnels haïtiens qui font leur MBA à l’Université Notre-Dame d’Haïti, accompagnés de deux responsables, découvrent Porto Rico après un court séjour à Santo Domingo dans le cadre de leur programme de mobilité. À première vue, Porto Rico se relève de María, l’ouragan qui a ravagé l’île en 2017. Il n'a pas l'air de faire face à de graves crises économiques. Tout au long du trajet qui nous conduit vers la côte sud de l'île défilent des villages écrasés par le soleil et battus par le vent. Des maisons juchées sur des montagnes mais accessibles en voiture. Brusquement, un énorme embouteillage se forme et Ponce nous ouvre ses bras. Nous serons logés au campus de l’Université pontificale catholique de Porto Rico dont le campus est situé à Ponce. Logés séparément. Les filles et les garçons d’un extrême à un autre. Moïse Davidson Noël, qui a passé trois ans audit campus pour ses études – et qui travaille aujourd’hui au niveau du marketing du MBA de l’UNDH­ – joue son rôle de leader du groupe. Celui-ci édicte les principes à respecter. Les barrières du campus se ferment à 10 heures p.m. Règle numéro 1. Il est interdit de visiter les dortoirs des filles et vice versa, règle numéro 2… Tout le monde s’y adapte. À contre cœur ou pas. Avec ses stations balnéaires, ses bâtiments de styles architecturaux variés, Ponce, fondée officiellement en 1692, est connue pour quelques-uns des meilleurs musées de l’île. À défaut déjà d’une visite de ces lieux, la délégation haïtienne est attendue à la paroisse La Milagrosa (La Miraculeuse) ce dimanche après-midi-là. Le célébrant principal est haïtien. Le père Socrate Laupe, originaire de Hinche, vit à Porto Rico depuis huit ans et est respecté dans la communauté religieuse catholique. Les Haïtiens sont reçus chaleureusement. Avec la chaleur caribéenne. La soirée continue au bord de la mer où s'alignent entre autres des bars, des restaurants dans un cadre idyllique. Un « sex on the beach » par-ci, un rhum punch par-là pour commencer. De la musique, de la bouffe, un peu de danse. On parle de tout. La frustration n’est jamais loin pour autant quand il est venu de comparer les progrès d’Haïti à ceux des pays de la région. Encore plus quand commencent les visites le lendemain. On quitte le centre-ville de Ponce pour se rendre à Juana Díaz, dans une ferme expérimentale où l’on développe et évalue l’évolution de certaines plantes. Si tout se passe bien, la production se fera à grande échelle pour le marché local et international. Dans cette région, on cultive la banane, la tomate, la mangue, l’ananas, le melon entre autres. On produit aussi le lait en grande quantité. Nous sommes reçus par la Corporation d’assurances agricoles (CSC) qui « offre un large éventail de niveaux de couverture dans les cultures et les plantations, à partir de 65% jusqu'à 85% pour certains produits ». Les risques d’inondations et d’ouragans font fuir les petits agriculteurs. Les autorités essayent donc de trouver un moyen d'améliorer la situation. Ici, à Juana Díaz, un constat saute aux yeux : l’agriculture n’est pas livrée aux petits paysans, aux démunis. On en profite pour visiter des plantations de tomates. Une « petite » ferme de 300 hectares de tomates qui génèrent des revenus annuels de près de 15 millions de dollars. Dans cette « petite » ferme, 50% des tomates produits sont exportés aux États-Unis et dans d’autres pays de la région. Avec des investissements dans l’agriculture, Porto Rico n’importe plus de la banane. « Non seulement ils sont arrivés à produire pour la population, mais ils exportent aussi vers d’autres pays », précise Jevensky Maxime, agronome de formation, étudiant en MBA-UNDH, dirigé par le Dr Paul Latortue. « Il existe une grande différence entre les fermes en Haïti et celle-là, admet-il. Il lui manque la technologie, et l’agriculture en Haïti est livrée à des paysans, de petits agriculteurs qui cultivent de petites parcelles. Ici, à Porto Rico, il y a des machines agricoles et ce sont de grands investisseurs qui pratiquent l’agriculture. » « Des plantations de tomates sur 300 hectares, je n’ai jamais vu ça en Haïti, enchaîne le Dr Junior C. Noël, qui fait aussi son MBA à l’UNDH. En Haïti, on ne pratique pas encore de l’agriculture. On fait quelque chose dont j’ignore encore le nom. Ici (Porto Rico), ils ont des techniques très avancées, des méthodes de culture très modernes, l’agriculture se pratique sur de grandes surfaces et non sur de petits lopins de terre comme en Haïti. Ils maximisent les profits ainsi que la production, c’est vraiment bien. » Les visiteurs quittent la ferme avec toujours ce brin de révolte. Ce ne sont pas de petits périmètres irrigués comme nous l’adorons en Haïti pour faciliter la corruption. Entre les séances de cours académiques animés par le professeur Dr Jaime L. Santiago Canet entre autres, le dîner dimanche soir chez le président de l’Université pontificale catholique de Porto Rico, Dr. Jorge Iván Vélez Arocho, les journées se suivent et se ressemblent à Ponce. Des visites les unes plus enrichissantes que les autres. Celles de l’école d’architecture de Ponce, du Trinity College, du  Med Centro Health Care System (un dispensaire ultra moderne)... resteront longtemps dans un coin de la tête. « Ce dispensaire et ceux que nous avons en Haïti, c’est le jour et la nuit, affirme le Dr Noël. Nos dispensaires en Haïti sont souvent logés dans deux petites pièces non équipées. Ils sont dirigés par une ou deux infirmières munies d’un stéthoscope et de quelques boîtes de comprimés. Souvent, rien de plus. Le Med Centro Center, c’est extraordinaire comme dispensaire… » Et le château musée Serrallés… Il ne fallait pas quitter Ponce sans visiter le musée Castillo Serrallés, un château perché sur une colline surplombant la ville. Une vue vraiment impressionnante. Il s’agit de la demeure d’un baron qui exploitait la canne à sucre au XIXe siècle. Le manoir a été construit dans les années 1930 pour son fils Juan Eugenio Serrallés. Aujourd’hui, la propriété, qui peut accueillir plusieurs centaines de personnes, abrite un musée retraçant l’histoire de l’industrie de la canne à sucre et du rhum.  D'immenses jardins où des mariés ont choisi de dire «oui»... Selon les responsables rencontrés sur place, le château appartient à la municipalité de Ponce mais est administré en tant que musée par le Patronato del Castillo Serrallés Inc., une organisation à but non lucratif issue du secteur privé et engagée dans la culture et le tourisme de Ponce. Dans ses nombreuses salles, le château retrace l’époque et le développement de l’importante industrie sucrière et de son principal dérivé, le rhum. Il retrace aussi le mode de vie d’un riche du sucre dans un luxe inouï. Tout est soigneusement préservé. Tout un savoir-faire...