Le Nouvelliste
La déconstruction de l’État a ses conséquences
March 13, 2020, midnight
Nous nous trompons à chaque fois que nous pensons atteindre le fond. Les dernières manifestations des policiers qui circulent sur le Net nous montrent que nous n’avons pas encore tout vu. Qui avait pensé que la revendication des policiers de se regrouper en syndicat allait nous faire vivre le spectacle de mauvais goût des derniers jours ? Face à la colère des policiers, le gouvernement Jouthe, sans aucune forme de procès, a reconnu le droit de ces derniers de se réunir en syndicat. Dans le mouvement des policiers, y a-t-il un gagnant ? Si oui, ce n’est pas le pays. Les institutions ne sont pas sorties renforcées dans cette bataille. L’institution policière, qui peine à jouer son rôle de protéger et de servir, fait planer des doutes sur son avenir. Certains comparent déjà la route qu'emprunte la PNH avec le début de la fin des Forces armées d’Haïti au cours des décennies 80-90. La justice n’est pas non plus sortie renforcée de ces évènements. Un membre du pouvoir judiciaire, le juge Durin Duret Junior, a failli y laisser sa peau au cours du mouvement des policiers. Son véhicule de service a été endommagé. En attaquant le juge Duret et le ministère de la Justice, les policiers s'en sont pris à la justice dont ils sont l’auxiliaire. En signe de protestation, les juges décident d'observer un arrêt de travail de trois jours. Une nouvelle grève pour un système judiciaire déjà en panne. Comme à notre habitude, il fallait que la situation dégénère pour que l’État surgisse. Il fallait que les protestataires s’attaquent aux institutions publiques pour que leur voix soit écoutée. Notre État pompier a fait ce qu’il sait faire : réagir après la catastrophe. Pourtant le spectacle de mauvais goût que nous ont offert les policiers cette semaine aurait pu être évité si ceux qui sont placés à la tête de l’État se montraient à la hauteur de leur tâche. Le pays, déjà malade, n’avait pas besoin que la PNH, la seule force armée chargée de la sécurité des vies et des biens, soit en crise. Surtout dans un contexte où les bandits armés font la loi, les quartiers de non-droit se multiplient et le kidnapping prend des proportions alarmantes. S’il y a un gagnant dans la bataille opposant les policiers au gouvernement, ce sont les bandits. Plus qu’avant, ils opèrent en toute quiétude. Les manifestations violentes des policiers cette semaine sont les conséquences de la mauvaise gouvernance de la PNH. Même plus que ça, dans la mesure où les revendications exprimées par les policiers sont celles de la majorité de la population haïtienne. À l'instar des policiers, les employés de l’État comme ceux du secteur privé constatent depuis des années la dégradation de leurs conditions de vie. Dans ces conditions, reconnaître le droit des policiers peut ne rien changer. On a déjà vu les hôpitaux publics, la magistrature, les professeurs du secteur public se dotent de syndicat. Pour quels résultats ? La réponse aux problèmes des policiers doit aller au-delà de la reconnaissance du droit de se réunir en syndicat et l’augmentation des frais mensuels qu’ils reçoivent. Il faut surtout un travail de longue haleine pour améliorer le cadre de vie de toute la population. Les autres catégories de professionnels ne sont pas mieux loties que les policiers. Il est aussi urgent que nous mettions en place des mécanismes pour trancher nos différends sans casse. Il n’est pas possible que chaque mésentente sur une question nous fait perdre du temps et occasionne des pertes matérielles et en vie humaine. Toutes ces énergies pourraient être utilisées dans la recherche de solutions à nos problèmes.