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Le Nouvelliste

Gagner et perdre

April 23, 2020, midnight

En Haïti, il est rare qu’une institution ou une personne présente des excuses pour le mal qu’elle a fait, et accepte qu’elle a eu tort de poser tel acte ou d’avoir tenu tel discours. C’est un peu le tout permis sans conséquence.   On dirait aussi que les gens, quand ils se fâchent, manifestent difficilement leur mécontentement (nous ne parlons pas évidemment des protestations collectives de désapprobation des politiques). Il y a toujours quelque chose à préserver et des intérêts qui font accepter même l’indigne et l’insupportable. On entend dire quelquefois, avec hésitation ou malice, que telle personne en veut à une autre sans trop savoir pour quels motifs. Tout est en soubassement. On se méfie de la roue qui tourne, de la chance qui va finir par changer de camp, de la probable accession de l’autre à un poste dans la gestion des affaires publiques ; donc de disposer de certains leviers importants. On ne sait jamais, au final, qui a raison ou qui a tort, tant l’écheveau est difficile à démêler, quoique la question ne se pose peut-être pas en ces termes-là. Tout le monde, toutes les causes, aussi justes soient-elles, finissent embués, incompréhensibles, submergés par des intérêts politiques ou le besoin de paraître. Pour l’écrivain anglais Rudyard Kipling, la première victime d’une guerre est la vérité. Dans une société de marronnage ou rien ne dit son nom, ou trop souvent triomphent les calculs mesquins, les intérêts de classe, la première sacrifiée est la vérité également, celle que l’on refuse de se dire, celle que l’on refuse de dire à l’autre, celle qui est biaisée dans les messages qui sont transmis au grand public parce que derrière chaque décision doivent prévaloir des calculs pour sauvegarder les zones de confort. C’est une guerre incessante, contre le changement, un refus consommé d’une société démocratique qui ne peut être portée que par l’acceptation de consensus et de vérités communes. Il y a certes un malaise aujourd’hui, une difficulté à trouver l’équilibre.  Les faits ne permettent aucune métaphore pour expliquer aux uns et aux autres qu’ils ont le choix entre prendre des précautions pour ne pas attraper le Covid-19 ou mourir, parce que jamais nous n’avons accepté de construire un pays, jamais n’ont prévalu la nécessité et l’urgence de doter la République d’infrastructures au service de la majorité préférant nous complaire dans des mirages, soldats d’une multitude de batailles qui, additionnées les unes aux autres, ne feront jamais une vraie guerre. Nous avons refusé jusqu’au silence qui aurait donné l’occasion de réfléchir ou d’avoir honte. Il faut des tripes pour entrer dans une guerre, une guerre doit aboutir à la victoire définitive d’un camp sur un autre, d’une idée sur une autre; et dans une guerre gagner peut vite devenir relatif. Régis Debray, dans un article paru dans le magazine « Marianne », dit lui que « la première victime d’une guerre est le mensonge », en précisant que sa phrase ne contredit pas celle de Kipling qui concerne la tactique et le déroulé des opérations, alors que la sienne regarde la stratégie, la conclusion à tirer. Le mensonge, nous dit-il, atteint de plein fouet, il signifie un retour au réel. Nous pouvons prendre l’angle dont avons besoin et braver les contradictions pour dire que nous espérons la mort du mensonge, cette vérité qui couvre des intérêts qui ne sont pas ceux de tout le monde, aboutissent à des crises et des catastrophes qui nous laissent avec des milliers de cadavres et une mémoire en miettes. Emmelie Prophète