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Le Nouvelliste

Nos maisons sont des «armes de destruction massive»

Jan. 7, 2020, midnight

En réalité, un séisme n’a jamais tué personne. Ce sont les masses de béton qui tuent. Après chaque séisme dévastateur, les ingénieurs de la reconstruction se posent deux questions cruciales:1) pourquoi toutes ces structures se sont-elles effondrées ? ; 2)  à quelles accélérations du sol les nouvelles constructions seront-elles exposées (1)? Après le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti, plusieurs ingénieurs, architectes et géologues ont analysé les bâtiments et les pratiques de construire pour essayer de comprendre ce désastre. L’un des premiers constats venait de l’éminent professeur de l’Université de Colorado Roger Bilham qui affirmait que la raison du désastre était claire dans les décombres. « Toutes les erreurs possibles étaient évidentes : acier fragile, agrégats grossiers non angulaires, ciment faible mélangé avec du sable impur ou salé, et la terminaison systématique des armatures au niveau des joints entre les colonnes et les étages des bâtiments où les contraintes sismiques sont les plus importantes », a rapporté le géologue dans une publication (2). Aucune règle de base n’a été respectée. « Les bâtiments avaient été condamnés au moment de leur construction », a-t-il poursuivi. Formation non adaptée En étudiant les bâtiments endommagés après le 12 janvier 2010, l’architecte Joël Audefroy a remarqué que les constructions traditionnelles montraient souvent une meilleure résilience aux séismes que les bâtiments construits avec des matériaux modernes (3). Toutefois, les rares maçons et contremaîtres formés en constructions traditionnelles subissent la pression de la modernité. Le temps évolue comme on dit, les propriétaires veulent des constructions modernes. On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas. Ces professionnels utilisent leurs connaissances et techniques traditionnelles pour des constructions modernes. Ils construisent avec des matériaux et des techniques qu’ils ne maîtrisent pas. Cette étude souligne la nécessité de mieux comprendre et de tirer parti des connaissances traditionnelles tout en reconnaissant que ces connaissances doivent évoluer et innover. Cela comprend, le cas échéant, l'utilisation de techniques et de matériaux modernes pour aider à réhabiliter les structures traditionnelles et ainsi combiner sécurité et préservation de notre riche patrimoine architectural. Problème économique et absence des autorités Après le séisme, plusieurs campagnes de formation des maçons ont été mises sur pied. Des formations sur les constructions sûres sont inscrites dans tous les projets résilience des ONG et des agences des Nations unies. Cependant, Kijewski-Correa et ses collaborateurs vont constater que la formation des maçons ne suffisait pas (4). Les constructions vont faire face au manque de moyens des propriétaires. Ils ne peuvent ni engager des ingénieurs ni se payer les bons matériaux nécessaires à une bonne construction. Le maçon, bien que formé, est obligé de s’y adapter. Mezi lajan w mezi wanga w ! Ces scientifiques ont même donné l’exemple d’une maison qui s'est complètement écroulée à Léogâne lors du séisme. Dès le mois d’août 2010, la maison était en reconstruction par un contremaître formé aux principes de construction parasismique. En décembre 2011, la maison était reconstruite avec un étage supplémentaire par les mêmes méthodes ayant créé la vulnérabilité originelle. On pourrait se dire qu’au lieu d’un étage supplémentaire, ce propriétaire aurait pu se contenter d’un seul niveau, mais bien construit avec de bons matériaux. Parce que les maçons, les propriétaires aussi, ont besoin d’être éduqués. Un autre triste constat fait par cette équipe de chercheurs. Après le tremblement de terre de 2010, ils ont vu des gens draguer des matériaux tels que du fer et des blocs dans les décombres pour construire ou reconstruire leurs propres maisons. Les mêmes mauvais matériaux qui sont à l’origine des dégâts. Mauvaises pratiques tout simplement McWilliams et Griffin (5) ont constaté que la construction de bâtiments récents en Haïti, et en particulier ceux qui ont été sévèrement endommagés lors du séisme de 2010, ont tous été construits avec un mauvais mélange de béton. Lors du malaxage du béton, les constructeurs utilisaient la plus mauvaise qualité de sable pour le béton et économisaient le meilleur sable pour le stuc extérieur des bâtiments. On peut se demander d’où vient cette pratique. Difficile de trouver une explication rationnelle, mais nos maçons procèdent ainsi. Ils conservent le meilleur matériau pour l’extérieur, pour faire beau en négligeant les poteaux, la structure. Corruption Quand on voit comment l’État laisse les habitants se « démêler », une question surgit souvent: Pourquoi l’État n’investit pas dans des logements sociaux? S'il prenait cela en main, on aurait une chance d’avoir des constructions sérieuses. Ne rêvez pas trop vite. Le rapport de la Cour supérieure des comptes sur le fonds PetroCaribe nous a renseignés sur la manière dont certains contrats ont été attribués. Très peu d’importance a été accordée à la capacité des firmes sélectionnées. On a donc aucune garantie que ces logements sociaux seraient biens construits. Ici, ils sont nombreux à vouloir dépecer les projets, du plus haut fonctionnaire au pelleteur. Il ne reste plus d’argent pour la qualité et la sécurité. Le séisme du 12 janvier 2010 a fait 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,5 million de sans-abri. Quand on voit les pratiques de construction révélées par ces chercheurs et l’absence de surveillance de l’État, on comprend mieux pourquoi ces constructions ont agi comme des « armes de destruction massive ». Aujourd’hui encore, la situation ne s’est pas améliorée. Pour un séisme similaire à celui de 2010, doit-on s’attendre à un pire bilan? (1) Bilham, R., & Gaur, V. (2013), Buildings as weapons of mass destruction, Science, 341(6146), 618-619. (2) Bilham, R. (2010), Lessons from the Haiti earthquake, Nature, 463(7283), 878. (3) Audefroy, J. F. (2011), Haiti: post-earthquake lessons learned from traditional construction, Environment and Urbanization, 23(2), 447-462. (4) Kijewski-Correa, T., Taflanidis, A. A., Mix, D., & Kavanagh, R. (2012). Empowerment model for sustainable residential reconstruction in Léogâne, Haiti, after the January 2010 earthquake, Leadership and Management in Engineering, 12(4), 271-287. (5) McWilliams, H., & Griffin, C. T. (2013), A critical assessment of concrete and masonry structures for reconstruction after seismic events in developing countries. Department of Architecture, Portland State University, Portland, Oregon, United States.