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Le Nouvelliste

Graffiti de Printemps, portraits de graffeurs d'Haïti

Jan. 26, 2021, midnight

En plein jour. Ils vont créer leur graffiti sans aucune intimité ni moyen de garder l’anonymat comme souvent pour les adeptes de ce street art. La précision, la créativité, les mélanges de couleurs, la maitrise des lignes et des courbes de ces artistes vont être épiés en directs. Cette journée inédite se déroulera avec quinze gaffeurs dont deux femmes, qui devront exécutés deux tableaux à partir de thèmes imposés par les organisateurs du festival : l’écologie et Haïti, le Printemps de l’Art. Pour chacun de ses graffeurs, le graffiti est une forme d’expression, un art, une passion, un passe-temps, une profession. Petits portraits de ces artistes réunis pour le #HAPA21 par le festival Haïti Graffiti. Certains textes sont extraits d’articles anciens publiés par Ticket. Assaf Hamson Elysée alias Assaf a été un garçon amateur de dessin. Pour donner des ailes à son talent, son père le confie aux bons soins de Maître Savain, pour une formation en peinture. Le jeune curieux aura rapidement remarqué les graffitis de Olrich Mocha. « De remarquables têtes de rasta qui figuraient sur plusieurs murs au début des années 2000 », explique-t-il. Le jeune artiste dans l’âme en prend le feu sacré pour cette discipline et s’y lance tout de go. Aujourd’hui, Assaf est reconnu par ses pairs et son talent illumine ses fresques. Adou S’il est une matière dans laquelle Frantz Jeanty n’avait pas la moindre rivalité à l’école, c’est bien le dessin. « J’avais toujours la meilleure note pour cette matière qui ne représentait pas grand-chose pour obtenir la moyenne générale », confie l’homme qui a adopté Adou Manje Gèp comme nom d’artiste. À l’école, en primaire, l’artiste est mû par une passion puérile, mais vers la fin du secondaire, le dessin et la peinture sont devenus la principale source de financement de cette famille pauvre de Cité Boston. « Mon père ne pouvait plus payer la scolarité, ma mère n’avait plus l’âge pour travailler ; ce que je faisais jusque-là comme hobby est donc devenu un métier », raconte-t-il sans langue de bois. Le graffiti au fur et à mesure s’est ajouté à ses dessins et à ses peintures. Freddy Un matin un télescopage s’est produit dans la carrière d’Andrès Maxime Monterros : la peinture qu’il professait depuis 10 ans a rencontré le graffiti qu’il a adopté en chemin. Ce choix a été fait, dit-il, parce que le graffiti lui donne une liberté pour s’exprimer sur des sujets sociaux et politiques. " Le graffiti permet de passer des messages directs entre le public et l’artiste" soutient l’homme de 28 ans qui pratique aussi l’art-digital. Gary Ancien étudiant de l’ENARTS, Garry François côtoie le monde de l’art depuis l’âge de 14 ans. Après la peinture, en 2010, il a connu le graffiti. Son rêve est de laisser son empreinte sur cette terre grâce à cet art. Les murs de Port-au-Prince portent déjà les marques de cet homme. Sur la Place Jérémie, par exemple, il a laissé libre cours à son imagination pour produire une œuvre qui exprime sa vision sur les raretés récurrentes de gazoline dans le pays, au carrefour « Tifou » il s’exprime sur le dossier Petrocaribe. Son envie est de se faire des bombes (de peinture) sur des sujets qui fâchent. Never spray L’écologie sera au cœur de l’œuvre de Wesner Clermont AKA « Never spray » ce dimanche. Après la catastrophe du 12 janvier 2010 sa carrière a connu un essor. A cette époque, il a produit des murales pour redonner de l’espoir aux personnes qui étaient touchées par le cataclysme. L’artiste caresse le rêve de représenter son pays dans un festival international. Pour lui, cet art est un métier avec lequel il aimerait vivre dignement. Point besoin de lui demander. Son désir brûlant est de voir ce secteur encadré par l’Etat haïtien. OliGa Combiner des éléments graphiques qui insufflent la bonne humeur, telle est la volonté nettement déclarée de ce jeune plasticien issu de l’École nationale des arts (ENARTS). Pour Olivier A. Ganthier, les vertus du sourire sont communicables sur le plan visuel. Pendant Art Basel, grande foire américaine de l’art contemporain, un dessin de OliGa, jeune pop artiste haïtien, a déjà sillonné la Floride sur des véhicules de la flotte de Lyft, une compagnie de taxi similaire à Uber. Il avait composé une fresque où il représente notre rara, les madan-sara, le Centre culturel haïtien de Little Haïti qui est un élégant Gingerbread, comme ceux du Bois-Verna, planté à Miami. Pens Le graffiti, cet art contemporain est une arme silencieuse. Il représente l’avenir du peuple haïtien qui fait face à de nombreuses difficultés, parce qu’elle dénonce et sensibilise sur le sort des Haïtiens, croit le graffeur Laurent Philipe, dit Pens de son nom d’artiste. Grâce au graffiti il a su se tailler une place dans la société. Il pense avoir commencé un début de révolution calme en Haïti avec ses murales « La révolution n’est pas physique. Elle est mentale. C’est le plus important », professe l’artiste. Rayza Une préférence poussée pour la métaphysique, les réflexions sur l’existence et la méditation… Raynald Beaufort aka Rayza aurait pu être un moine dans une autre vie. Longtemps avant son immersion dans le monde du graffiti, le jeune homme a toujours baigné dans l’océan de l’art. C’est un ancien de l’Enarts, c’est aussi un chanteur qui a fait l’expérience de la structure Haïti en Scène. Son basculement survient quand il devient pote de Gary François. « Il est tombé sur mon cahier de dessin et il m’a dit que j’avais la fibre pour le graffiti et que j’étais fait pour une carrière dans ce champ », raconte Rayza. Gary, comme un grand frère, l’a entraîné quelque temps çà et là avec une bombe pour enjoliver nos murs défraichis. Snoopy Tag Dencin Livenson sur l’acte de naissance, Snoopy Tag sur les graffitis, était un élève bon en dessin à l’école. « Genlè se sèl bagay m te konn fè byen lè m te lekòl », raconte l’artiste avec auto-dérision. Il n’a d’yeux que pour cela. Tout ce qu’il voit comme dessin l’attire. Il dessinait sur les cahiers, les livres… Mais quand on est un petit garçon on ne sait pas forcément ce qu’est un graffiti, même si on adore les admirer sur les murs de son quartier ou ailleurs à travers la ville. Et oui, le natif du quartier de Jacquet (Delmas 95) n’était même pas pubère quand il arrivait à distinguer les œuvres de Jerry et d’Epizòd, deux artistes-références de ce courant. « Je me suis dit que j’aurais aimé en faire quand je serai grand », ajoute-t-il dans son récit. Le petit poisson est effectivement devenu grand et le destin a voulu qu’il croise l’un de ses modèles, Epizòd, qui le prend en quelque sorte sous ses ailes. Et c’est ainsi que l’aventure a commencé. Aujourd’hui Snoopy Tag assure un post de graphic designer au sein de HPS et monte un « crew » comme il le dit du nom de « Tag 509 Crew » avec son frère de métier Zack. Tchooko De cet ado qui admirait en sortant de l'école les murs tout en couleurs de la rue Nicolas, Patrick Edouarzin a troqué son costume de spectateur contre celui d’acteur. Entre 2013 et 2014, c'est au cours de cette période que ce natif de Delmas a fait ses premiers pas dans le domaine. A « Pòs Machan », il a illuminé le corridor Icare, quartier général de « Rezistans », cet ancien groupe de rap kreyòl. D'où le début d'une belle aventure pour ce caricaturiste qui considère les graffitis comme un « prolongement » du genre caricatural. Son autre dada. « À l'instar des caricatures qui sont ancrées dans l'actualité, les graffitis sont également un outil d'expression. Les murs représentent le support papier tandis que les sprays sont comparables aux crayons », explique-t-il. Vicky O Le monde des arts en Haïti est un monde d’homme dit constater Jeanne Will Victoria qui se sert de cette réalité comme leitmotiv pour se motiver, s’imposer. Elle veut pousser ses limites chaque jour davantage pour dompter tout type d’art allant de l’art visuel en passant par la peinture, la photographie… et le graffiti. Son rêve est ambitieux mais Vicky O est nouvelle dans ce domaine, elle n’a débuté avec le graffiti que l’année dernière avec le festival Street art au féminin, une activité de Festi-Graffiti et de l’ambassade du Canada qui visait à intégrer plus de femme dans cet univers. Vlad Le festival « Haïti, le Printemps de l’Art » arrive trop tard de l’avis de Vladimir Laurent, graffeurs depuis environs 4 ans. Selon lui, cet évènement aurait dû avoir lieu il y a de cela depuis des années afin de créer des ouvertures pour les artistes qui évoluent dans le pays. Le graffiti est le quotidien, un outil de combat pour Vlad, non d’artiste de Vladimir Laurent. C’est aussi pour lui un art nouveau qu’il entend exploiter pour s’exprimer et faire rêver son entourage. Youri Le graffiti est une forme de manifestation populaire qu’Aristide Youri veut utiliser pour faire passer les revendications des masses. Son parcours a connu un pic en 2018 avec une série de murales produites pour réclamer l’encadrement pour les jeunes du pays. En 2019, lors du festival Festi-Graffiti il a rencontré un Guadeloupéen qui l’a aidé à grandir et depuis cet art contemporain fait partie de sa vie. « C’est un art, un passe-temps, un outil de combat », résume-t-il.   Zebra Gloria Isabelle Sylvain a pratiquement un parcours similaire à celui de Vicky O toutes deux ont commencé avec le festival Street-art au féminin qui leur a permis de participer à des ateliers de formation. Pour cette débutante l’organisation du festival « Haïti, le Printemps de l’Art » est une occasion en or qui lui permettra de se faire connaître davantage. L’artiste peintre espère partager son art au maximum. Dans sa vie, l’étudiante en médecine sait déjà qu’elle aura en mains un stéthoscope et des sprays.  2son Alexandre Renel, alias « 2son En Valeur », sait depuis l’enfance que le dessin est le monde auquel il appartient. « Je transformais tous mes cahiers en cahier de dessin », confie le natif de Cité Soleil. Mais il lui faudra attendre la classe de seconde pour qu’il décide d’en faire son métier. « Ma petite amie est tombée enceinte de moi. Et dans mon milieu de gens pauvres, quand cela arrive, le géniteur n’est plus considéré comme un jeune garçon à la charge de ses parents. Il doit gagner sa vie », explique-t-il. Les responsabilités du jeune homme l’obligent à quitter l’école et à se mettre sous les ailes d’un artiste de Santo qu’il appelle Lovens. Il esquisse les dessins, son tuteur les peint. 2son, au début, végète pour ensuite devenir une référence dans sa cité. Il découvrira le graffiti malgré lui. Il s’est vu attribuer par les comités de quartier du célèbre bidonville la tâche d’écrire des messages du genre « Pa jete fatra la », « Kenbe lari a pwòp » et aussi d’illustrer en images les bienfaits de la propreté. « On m'a proposé une bombe de spray, moi qui n'était habile qu’avec le crayon à l’époque. J’ai donc déduit que cette proposition était un signe du ciel, que je venais de découvrir ma vocation », raconte l’artiste très croyant.