Le Nouvelliste
Petits souvenirs de la République dominicaine et de Porto Rico
Jan. 24, 2020, midnight
Nous sommes à la mi-décembre 2019. Même un mercredi soir, le centre commercial Las Americas de San Juan grouille de monde. La capitale de Porto Rico a l’air de tourner à plein régime alors que l’île américaine a connu une année 2019 mouvementée et fait face depuis cinq ans à l’une des pires crises de son histoire. Les activités économiques sont denses. Ce sont, en effet, des dépenses de consommation. Utiliser par exemple American Express pour payer Master Card. Le Dr Emilio Pantojas est très critique envers la situation de Porto Rico. Des entreprises fuient l'île, la population, des jeunes en majorité, migre vers les États-Unis. Pour « masquer la pauvreté » en quelque sorte, l’île reçoit un appui fédéral d’environ trois milliards de dollars l’an. Mis à part les infrastructures, Porto Rico a des similarités avec Haïti. C'est la Caraïbe, nous formons un seul, comme aiment le dire des Portoricains. De l’insurrection de juillet 2019, le professeur Pantojas relève : crise économique, crise fiscale, mauvaise gouvernance, corruption, déficit structurel… Selon lui, « 90 % des institutions sont corrompues ». Porto Rico, souligne-t-il, s'apparente à « un immeuble qui s’effondre, un État failli». Malgré ces problèmes, ce territoire américain est nettement plus avancé dans différents secteurs qu’Haïti, pour ne pas dire que les deux États ne sont pas comparables, sinon sur les points cités plus haut. « L'État portoricain consacre 10% de son budget à l'université tandis que l'État haïtien n'y consacre pas 1% », fait remarquer le Dr Paul Latortue, doyen du programme MBA de l’Université Notre-Dame d’Haïti. Il a été étudiant, professeur, responsable de département ou encore doyen d’université à Porto Rico. C’est en effet dans le cadre d’un programme de mobilité internationale avec une quinzaine de ses étudiants haïtiens que nous l’avons rencontré et visité des institutions en République dominicaine et à Porto Rico. Une expérience inoubliable pour les étudiants qui leur permet de relever des similarités mais surtout des différences Des étudiants témoignent… « La grande différence pour moi entre les deux pays que j’ai visités et le nôtre, c’est que les gens là-bas sont très rationnels, très imbus de ce qu’ils font et surtout conscients des résultats que les responsables ou que le pays attend d’eux : ces derniers sont orientés vers les résultats, avance Clélie Cauvin. Nous avons rencontré des gens très éduqués et très fiers de leurs réalisations ; ils ne négocieront, semble-t-il, pour rien au monde leurs avancées économiques et technologiques (…). Ils sont en quête d’amélioration continue et mettent tout le paquet technologique nécessaire pour y arriver sans avoir besoin de quitter le pays. Leurs universités et centres de formation supérieure prennent de plus en plus de valeur à l’international, ce qui est l’un des meilleurs indices de progrès et de valorisation du capital humain. » « En Haïti, nous ne fixons souvent pas les objectifs liés à nos besoins, c’est le ‘’jan l pase l pase’’, poursuit Clélie Cauvin. Si nous avons un semblant de planification, c’est surtout pour le discours ‘’politique’’ ou pour amuser la galerie, et non parce que nous avons un plan d’action réel auquel nous nous attachons et que nous ne négocions pas parce que nous voulons arriver aux résultats … Nous perdons notre ‘’sérieux’' en route parce que nous ne sommes pas convaincus que ce sont les résultats qui comptent. C’est l’une des grandes différences entre nos voisins et nous. » Son camarade de promotion, le Dr Junior C. Noël, est sur la même longueur d’onde. « Ce qui m’a marqué le plus, c’est la capacité des peuples de ces deux pays de la Caraïbe de réaliser de grandes choses empreintes de modernité et d’efficience avec des moyens modestes, s'étonne-t-il. La Chambre de commerce et de production de Santo Domingo a réussi à favoriser la création d’une entreprise en 24 heures par l’amélioration continuelle de son processus de traitement de l’information. » « Puerto Rico Hardwoods – qui est une microentreprise basée à Caguas PR – a réussi à générer un chiffre d’affaires annuel de 300 000 dollars en recyclant des arbres abattus par le cyclone Maria, alors que ces arbres étaient considérés comme des déchets par la population et l’État, ajoute le médecin. Ce sont là deux exemples fascinants qui témoignent de l’ingéniosité de ces deux peuples. » Le Dr Noël affirme qu’il n’y a aucune comparaison entre les deux pays visités et Haïti en termes d’infrastructures. « Le retard accumulé par notre pays est effarant, note le médecin. On dirait que nous vivons toujours à l’âge de la pierre. Les infrastructures routières (autoroutes en République dominicaine) et énergétiques (éoliennes à Porto Rico) sont les plus frappantes en ce qui concerne leurs avancées par rapport à nous. » Calixte Dorvil, cadre d'une banque commerciale à Port-au-Prince, est aussi marqué par le fonctionnement de la Chambre de commerce et de production de Santo Domingo. « Je trouve leurs opérations très efficaces, avance Dorvil. Alors qu’ils ont pour objectif de travailler à la vitesse du monde, nous, en Haïti, on n’a pas ce repère. Ils sont très compétitifs et misent sur la compétence, les valeurs… » « L’organisation du secteur agricole de Porto Rico et de ses différentes plantations (le rôle joué par l’État et les organisations/agences internationales en matière de support) a été pour moi une découverte extraordinaire, confie, de son côté, Marie Lissa Petit Dé, cadre d’une institution financière à Port-au-Prince. Tous ces partenaires conjuguent leurs efforts afin que les planteurs reçoivent le support nécessaire pour continuer à accroître leurs plantations et contribuer à l’économie de Porto Rico par l’exportation de leurs denrées. » À titre d’exemple, Marie Lissa Petit Dé cite la réglementation sur l’importation, les subventions d’assurance, etc. « Le passage de l’ouragan Maria a certes détruit beaucoup de ces plantations, mais la structure qu’ils ont mise en place facilite le relèvement et la reconstruction de ces plantations, relève Petit Dé. Haïti gagnerait à suivre cet exemple pour faire de notre agriculture un moyen de lutte contre le sous-développement et la pauvreté. » Daniel Louissaint, jeune économiste, a vécu une expérience enrichissante dans le cadre de cette mobilité internationale. Il reste marqué par l’hospitalité des gens. Idem pour sa collègue, la dermatologue Marly Hilaire. «Nous avons été très bien accueillis partout», se réjouit le Dr Hilaire. Ils ont fait montre d’un respect hors pair à notre endroit. Ils se sont montrés attentifs à tout ce qu’on pouvait partager en termes d'expériences. Les plus zélés intellectuellement étaient les plus humbles. Pour eux, il y a toujours une occasion d’apprendre et de partager leurs expériences. Tout ceci, c’est pour témoigner de leur intérêt pour la connaissance et le savoir. » Daniel, qui a fait le trajet Port-au-Prince/Santo Domingo en autobus, relevait déjà une différence entre les deux pays se partageant l’île. « Sur tout le trajet, on a vu des patrouilles policières qui contrôlaient tout, souligne-t-il. Je pense que les Dominicains sont beaucoup plus stricts concernant la protection de leur territoire. En Haïti, on peut parcourir tout le pays sans remarquer une patrouille policière. » « À mon avis, les conditions sont plus favorables à la venue des touristes, poursuit le jeune économiste. Les institutions financières sont mieux organisées. Que ce soit à Santo Domingo ou à San Juan, on sent que le pouvoir d’achat des gens est plus élevé, même si ces derniers contractent beaucoup de dettes. Mais, au moins, le système leur permet de fonctionner. » Francesca Jean-Baptiste a été la plus jeune étudiante en MBA dans cette mobilité internationale. C’était aussi sa première visite dans un pays étranger. « J’ai beaucoup appris, confie-t-elle. C’est une expérience enrichissante mais choquante en même temps. Ce qui m’a impressionnée, c’est l’importance accordée à l’éducation dans ces pays. Peu importe la langue que tu parles, peu importe la couleur de ta peau, si tu choisis l’éducation, tu as raison. »